mercredi 21 octobre 2009

Justice, société et réconciliation nationale

Hier, s’ouvrait à Alger un Salon de la main-d’œuvre carcérale. Louable initiative que d’encourager la mission éducative et sociale de la prison !

“Un jeune qui plante et manipule des fleurs aussi délicatement et produit des articles de haute qualité n’a pas sa place en milieu criminel. Il mérite sa place au sein de la société. Mais encore faudra-t-il changer les mentalités pour accepter ces jeunes qui ont purgé leurs peines au sein de notre société.” C’est le ministre de la Justice qui s’exprime ainsi à propos des bienfaits de cet effort pédagogique en milieu carcéral.

À entendre le ministre expliquer que ce détenu à la main verte n’est pas recyclable dans la société avant qu’il ne purge sa peine, on a de la peine à croire que nous sommes au pays de la “réconciliation nationale”. Ce pays où, en une journée, l’État a lâché dans la nature quelque deux mille six cents individus aux mains rouges.

En un week-end, l’appareil judiciaire fut mobilisé pour retirer des milliers de dossiers d’affaires de terrorisme, contenant souvent des photos de carnages comme pièces à conviction, et décerner à chacun de ces monstres un certificat de virginité dûment paraphé, qui les mettra à l’abri de toute velléité de justice et leur procurera les droits inhérents à leur statut d’intouchables.

Une société qui fait le saut psychologique d’admettre que des massacreurs collectifs, des éventreurs de femmes enceintes, des tueurs d’enfants et des violeurs peuvent, sans même répondre de leurs crimes, prendre place dans le vaisseau social, peut certainement s’accommoder du retour d’un pickpocket, d’un truand, voire même d’un criminel de droit commun. Au demeurant, de quel droit une société qui a enduré l’accueil courtois de tueurs ayant décimé, souvent en innovant dans la barbarie, près de deux cent mille de ses membres, refuserait-elle de souffrir l’élargissement d’un délinquant ordinaire ?

Avoir des scrupules à rejeter un fautif dans une société à qui l’on fait faire le pas du déni de justice et de vérité à propos d’un génocide relève de la simple fine bouche. Il y a comme des thèmes qu’il vaut mieux éviter d’évoquer ; cela reviendrait à “parler de corde dans la maison d’un pendu”. Il en va ainsi des mentalités nationales qui s’effaroucheraient de la libération d’un prisonnier converti à l’horticulture.

Il n’est pas évident qu’une justice revienne aisément du compromis par lequel elle a assumé l’immunité politique de la pire catégorie de criminels. Et ce n’est pas demain que la société algérienne se relèvera d’avoir été contrainte, ou de s’être contrainte, d’assumer, fut-ce par le subterfuge d’un référendum, un cas historique de déni de justice à une catégorie de victimes qui aura enduré le pire.

Si l’on veut sauver ce qui peut encore l’être, ce n’est pas en faisant semblant de s’accrocher à des repères sociaux qu’on a préalablement détruits. Ce n’est pas non plus en plagiant l’État de droit dont on ne veut pas. Il suffit juste de mettre fin à la funeste fuite en avant. Sinon, et selon la formule tirée des “aventures de la famille Fenouillard” et citée par Lacan, “quand la borne est dépassée, il n’y a plus de limites”.

Par : Mustapha Hammouche

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