Dans la foulée d'un retour presque forcé sur l'affaire Ben Barka en France, un film – une fiction qui se veut la plus proche possible de la réalité – vient d'être diffusé sur une chaîne de France Télévision. Premier problème, évident même s'il n'est pas des moindres, pour qu'une fiction se rapproche de la réalité, il faudrait d'abord que celle-ci soit connue.
Le film était donc construit sur des faits et un ordre de déroulement vraisemblables. Et comme dans toutes les productions inspirées par ce genre d'«affaires» qui se respectent, le cinéma, dans ce qu'il a de moins artistique, pour ne pas dire le moins noble, tire un maximum d'artifices «esthétiques» ou tout vulgairement commerciaux.
Le cas précis n'a donc pas dérogé à la règle : d'un assassinat politique scandaleux et d'un drame humain affreux, on a fait un polar de la dernière catégorie. Toute la panoplie du genre était là.
Le général Oufkir, instigateur matériel de l'enlèvement-exécution est campé par un personnage ambigu. Monstre froid et roublard quand il tire les ficelles loin de sa victime, il devient l'ancien ami capable de tous les états d'âme – y compris celui de panser les blessures de Ben Barka et de verser une larme face à son intransigeance sur les principes – et même parfois embarrasé.
Il était tout aussi bien le patriote inébranlable et de fine rhétorique que l'homme du monde expliquant à une vulgaire barbouse comment décortiquer délicatement une crevette royale. Bien sûr, il y avait aussi le flic intègre, incorruptible, professionnel jusqu'au bout des ongles et jaloux de ses prérogatives légales pour sauver l'honneur de la police française, impliquée jusqu'au cou dans cette «sale affaire».
Et aussi le bouc émissaire consentant pour mettre à l'abri du scandale un général de Gaulle en pleine tourmente politique et pas du tout rassuré sur l'issue proche d'une première élection présidentielle au suffrage universel de son histoire.
Le général Dlimi assurait le rôle d'un soldat pas bête mais discipliné que la tournure des événements a dépassé, puisque le film suggérait aussi en filigrane que si l'enlèvement de Mehdi Ben Barka était planifié, ce n'était pas aussi évident pour son assassinat. Planifié et commandité. Par qui donc ?
Mystère, puisqu'en dehors des discussions latérales entre les «chargés de mission», le nom du roi Hassan II n'a pas été évoqué dans le film.
Il a fallu que Benjamin Stora, interrogé après la projection, intervienne pour dire, catégorique, qu'il était exclu que le tout jeune souverain alaouite de l'époque était bel et bien derrière la liquidation du leader de l'opposition marocaine et il y avait intérêt.
Entre la logique implacable des faits et des motivations, les contorsions de la fiction n'y a rien changé. Même en faisant la part belle au général Oufkir qui a terminé avec des applaudissements, en répondant à la question d'un journaliste qui lui demandait
comment il prend le mandat d'arrêt international lancé contre lui : si un homme politique français se faisait enlever sur le sol marocain, je ne crois pas que je vais lancer un mandat d'arrêt contre le ministre de l'Intérieur de son pays ! Comme dans la réalité, le régime marocain s'en sort finalement à très bon compte dans la «fiction».
Slimane Laouari
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