lundi 10 octobre 2011

TAHAR ZBIRI-HOUARI BOUMEDIÈNE : Les dessous d’un coup d’Etat manqué ((1re partie)

(1re partie)

L’affaire du 14 décembre 1967 n’est pas une «sédition » militaire fomentée par une poignée d’officiers «ignares» liés par des liens de parenté. Elle n’est pas non plus la réaction de maquisards révoltés par l’entrisme envahissant des anciens de l’armée française présents dans l’ANP, comme beaucoup ont voulu le faire accroire. Elle est loin d’être une tentative de coup d’Etat déclenchée pour «assouvir des ambitions malsaines», comme le démontrera l’instruction hautement impartiale du capitaine Mohamed Touati (futur général-major de l’ANP). Elle est l’aboutissement fatal des contradictions apparues dès la venue au monde du phénomène juridico- politique appelé Conseil de la révolution. 

La plus grave de ces contradictions est la présence de militaires censés, d’une part, jouer un rôle politique et, d’autre part, respecter l’obligation de réserve et la discipline. Lorsque s’exprimera une distance par rapport à la ligne tracée par l’intransigeant tuteur de l’assemblée de mineurs politiques que ce dernier préside, la dynamique née des calculs, des surenchères et des entêtements conduira inéluctablement à l’épreuve de force. L’aboutissement sanglant de décembre 1967 est la confrontation entre deux visions diamétralement opposées : la première, celle de Houari Boumediène qui veut imposer une construction des institutions inscrite dans le long terme avec lui comme unique maître d’œuvre et selon son bon vouloir. Un maître d’œuvre qui ne veut être comptable devant personne de ses choix et de ses actes. La seconde, défendue par Zbiri, propose d’abord un centralisme démocratique au niveau du directoire issu du 19 Juin, lequel devait en «référé» aboutir à doter le pays d’institutions élues en toute liberté par les Algériens, sans passer par une période de dictature dont la durée serait calquée sur la durée de l’existence de son architecte. Le temps a démontré quelles ont été les conséquences pour l’Algérie du parti-pris de Houari Boumediène.

 
La tragédie de 1967

Tahar Zbiri vient de publier ses mémoires. L’homme du 1er Novembre, le compagnon de Mustapha Ben Boulaïd, a parlé de son parcours personnel. A l’instar de celui de beaucoup de ses compagnons, ce parcours est plein de bruit et de fureur. Zbiri a été de ces hommes qui, malgré les douleurs et les désillusions, ont porté l’espoir de leur pays jusqu’au bout. Parce qu’ils ont été à l’avant-garde, les Algériens attendent d’eux un récit, le plus fidèle possible, de ce qu’ont été ces années où le destin du pays a basculé. Pour certains, Tahar Zbiri est l’homme qui a tenté de prendre le pouvoir par la force en décembre 1967, un putschiste malchanceux ! Pour d’autres, peut-être plus avertis, il est celui qui a eu le courage de s’opposer à la dictature et qui est allé jusqu’au bout de sa conviction. Tahar Zbiri écrit. Il parle aussi. Ses contributions sont les bienvenues. Tant mieux pour l’Histoire. Tant mieux pour la vérité si ce qu’il dit suscite le débat ! C’est dans cette optique que nous avons sollicité Mohamed Maârfia, lequel a été au cœur des événements de décembre 1967, pour nous donner son éclairage sur leurs causes profondes, sur leur déroulement et sur les hommes qui en furent les acteurs. Il le fait sans passion et en gardant à l’esprit — nous a-t-il assuré — ce vieil adage du terroir : «Lorsque les aînés habitent encore dans le quartier…» Ceux qui ont vécu dans leur chair la tragédie du 14 décembre 1967 apprécieront, sans aucun doute, un tel engagement pour la vérité.


1. Un combattant transparent

Tahar Zbiri est un Chaoui des hautes collines de l’ouest de Souk-Ahras. Il est né au douar Oumeladaim, à une coudée de Sedrata, un gros bourg enrichi par le travail des colons français. Berbère jusqu’au bout des ongles, mais acceptant et assumant l’héritage arabe ; dans sa famille, on passe du dialecte local à la langue du prophète aussi naturellement que l’est l’acte de respirer. Alors qu’il est encore enfant, sa famille déménage pour Lekberit, à proximité de la ville minière de Louenza où il y a du travail. Son frère aîné, hadj Belgacem Zbiri, guide ses premiers pas de jeune militant de la cause indépendantiste. Mineur de fond, sa vision politique s’affine au contact des animateurs du syndicat très activiste de la mine de fer et de grands noms du mouvement indépendantiste, tels Badji Mokhtar ou Souidani Boudjemaâ. Présent le 1er novembre, il est arrêté blessé, et aussitôt jugé et condamné à mort par le tribunal des forces armées de Constantine. Il partage avec Mostefa Ben Boulaïd, pendant presque toute l’année 1955, les fers aux pieds, le cachot des condamnés à mort dans la sinistre prison du Coudiat avant de s’en évader, en compagnie de ce dernier en septembre de la même année. Les fugitifs se séparent dès le mur d’enceinte franchi et rejoignent, chacun de son côté, l’Aurès. Les désordres que connaît ce haut lieu de la résistance après la disparition de Ben Boulaïd, en mars 1956, le contraignent à rejoindre la région qui fut son premier tremplin, la zone de Souk-Ahras. Il arrive au bon endroit, au bon moment. Le colonel Amara Bouglez lui confie le commandement de la troisième région qui va du sud de Souk-Ahras jusqu’aux confins nord de Tébessa. Il fait du bataillon placé sous ses ordres une formation d’élite. Il refuse, en 1959, de s’engager dans l’aventure hasardeuse contre le GPRA qui conduira les colonels Aouachria, Lamouri Nouaoura et le commandant Mostafa Lakehal à la mort. Isolé par Aouachria, mis dans l’impossibilité d’exercer son commandement sur la troisième région, il se retire et se met à la disposition du ministère de la Guerre. Pressenti, il refuse de requérir contre ses anciens compagnons, tout comme il rejette l’idée de faire partie des juges qui vont les condamner, par contre, il sollicite le privilège de les défendre. Ce sera l’occasion pour lui de dire, devant le tribunal, certaines vérités au pouvoir d’alors. Son plaidoyer courageux est vain. Le complot dit «des colonels» trouve son tragique épilogue. Le GPRA lui propose le commandement de la base de l’Est, il refuse. Mille bonnes raisons l’incitent à quitter l’atmosphère délétère de la frontière. Il demande instamment à Krim une affectation à l’intérieur. Krim accède à sa demande. Zbiri franchit les barrages fortifiés et rejoint l’Aurès. Confronté aux conséquences des crises à répétition qu’a connues le grand massif berbère, ressentant cruellement la perte du commandant Amar Radjai, mort lors de la traversée des lignes, en butte à des entreprises subversives multiformes, Zbiri, une fois nommé chef de wilaya et colonel, réussit le remarquable tour de force de remettre de l’ordre dans cette fosse aux vents qu’était devenu l’Aurès, où celui qui n’a ni tribu ni clan ne peut s’imposer, face aux intrigues et aux zizanies, que par le courage physique ou la sagesse. Comme il avait ces deux qualités en partage, il fut, lui «l’étranger», adopté par les rudes maquisards chaouis. Il opère une refonte de fond en comble du commandement. Parmi les officiers promus émerge un jeune maquisard dont le calme, le courage et l’intelligence l’impressionnent : Amar Mellah, lequel jouera un rôle de premier plan lors des événements de 1967. 1962. Zbiri engage la Wilaya I des grands maquisards et des héroïques champs d’honneur aux côtés de Houari Boumediène et de Ahmed Ben Bella. L’inestimable caution morale de l’Aurès pèsera lourd dans le rapport de forces. Prisonnier d’une dynamique dont il n’est pas le maître, Zbiri sera entraîné dans les affrontements sanglants de l’été de toutes les discordes. S’il est vrai qu’il fut sur le théâtre des combats fratricides, jamais, par contre, il ne prendra une arme. Seul, debout au milieu de la route, entre Aïn Lahdjel et Sidi Aïssa, alors que les balles sifflaient et marquaient d’impacts l’asphalte, il répétait le même mot, prémonitoire, «karitha !» «karitha !». 1963. Zbiri est commandant de l’Ecole interarmes de Cherchell. Au contraire des autres chefs de wilaya qui refusent de quitter leur poste, il accepte sans broncher sa nouvelle affectation. C’est un combattant de l’intérieur, beaucoup plus proche par l’expérience et la sensibilité de Hassen Khatib, de Mohamed Oulhadj et de Salah Boubnider que de Boumediène, malgré les gages de 1962. Ben Bella, à la recherche d’alternative à son tête-à-tête désormais difficile avec Boumediène, nomme, sans crier gare, Zbiri chef d’état-major. Le nouveau promu reçoit l’annonce comme un beau paquet de problèmes, plutôt qu’autre chose ! A Moscou, où il apprend qu’il a désormais un rival potentiel, Boumediène a quelques mots, mais affublés d’un nombre incalculable de points de suspension : «Ils ne sont pas logiques !» Il sait que Ben Bella vient de concocter une nouvelle tentative de division de l’armée. Il appréhende déjà ce qui en sortira…

2. L’homme qui venait de loin

Issu d’une famille pauvre installée dans une région marquée par les innombrables exactions des Maltais de Guelma, élevé à la dure par un père vivant d’un petit négoce de peaux, Boumediène a grandi dans la puanteur des dépouilles mal conservées des moutons, se suffisant, à longueur d’année, d’un quart de galette et d’un broc de petit lait. La pitance quotidienne de l’immense majorité des campagnards. Il en gardera une haine farouche des «bourgeois». L’effroyable répression du 8 mai 1945, et la défaite des armées arabes en Palestine marqueront d’un impact douloureux la surface lisse, plane, terne, monotone des années de jeunesse. Ces deux traumatismes marqueront à jamais sa mémoire. Ils expliquent le côté inconditionnel, entier, presque passionnel, de sa démarche de militant de la cause indépendantiste et, plus tard, de dirigeant politique. L’incendie, le sang et les larmes, les râles d’agonie qui s’élevaient des fosses communes forgent sa vision cosmogonique de ce qui l’entoure. Elle est simple, manichéenne, invariable : l’existence de deux mondes que tout oppose, le sien : faible et exploité ; l’autre, violent et dominateur. Le fondement et les constantes de sa pensée politique découleront de cette certitude. Il vient à l’ALN par la mer. Ses détracteurs diront : «De la nuit et du brouillard.» A la fin de l’hiver 1955, dans une crique du rivage oranais, non loin du Maroc, par une aube grise, froide et pluvieuse, un bateau furtif, rempli d’armes et de munitions, accoste. Un homme grand, maigre, aux traits anguleux en descend. Il vient d’Egypte, chaudron bouillonnant de tous les nationalismes arabes fondus, confondus, imbriqués dans une seule et tragique aspiration : la lutte armée, partout et par tous les moyens. Le verbe brûlant de Nasser, l’écho des mausers de l’Aurès, les clameurs du Rif marocain et des foules tunisiennes font frémir toute une génération. La délégation extérieure du FLN en Egypte n’a que faire de recrues, Houari Boumediène, jeune étudiant, éconduit plusieurs fois, se jette littéralement à la mer. Il fait le maquis à l’Ouest. «Calme» d’abord, l’Oranie s’embrasera à son tour à l’instar de l’Aurès, du Nord constantinois et de la Kabylie. Il rencontre Ben M’hidi, Lotfi et surtout Boussouf. Le futur créateur du Malg remarque cet homme sérieux et taciturne. Ils sont tous les deux étrangers à la région. Leur connivence rapide est l’addition de deux solitudes. Les affinités de terroir les rapprochent. Comme la concurrence est faible, il prendra vite du galon, s’affirme dans les fonctions qu’il assume. Boussouf, qui sait apprécier l’efficacité, en fait son adjoint. L’état-major de la Wilaya V s’installe au Maroc fraîchement débarrassé de la tutelle française. C’est pour Boumediène le début de la très longue hibernation aux confins extérieurs de l’Algérie en guerre. Le CCE (Comité de coordination et d’exécution), institué par le Congrès de la Soummam, commence son programme de restructuration, de remise en ordre et de renforcement de l’ALN. Boumediène visite la Tunisie au milieu de l’année 1957. Le colonel Bouglez, patron de la base de l’Est, lui fait faire «une tournée des popotes». Il visitera, entre autres, l’école des artificiers de Sakiet-Sidi-Youcef et les camps d'entraînement de l’ALN implantés tout le long de la frontière. Il parle devant les cadres réunis par Bouglez à Souk-El-Arbaâ. Le premier contact avec la région, où il allait vivre si longtemps et dont il fera son tremplin pour la prise du pouvoir, est à son avantage. C’est là qu’il rencontre pour la première fois Zbiri, chef d’une unité d’élite le 3e bataillon de la base de l’Est. (On se souvient que Zbiri était revenu de l’Aurès fin 1956). Zbiri est séduit par la personnalité de cet homme qui situe le combat qu’ils mènent dans une perspective qui dépasse les frontières de leur pays. Le Tiers-Monde enchaîne et la Palestine, la Palestine surtout !... «Chkoun hadh lyabess ?» se demandent les rudes maquisards de la base de l’Est frappés par la silhouette efflanquée de l’homme, les traits de son visage, son nom, la tonalité de son discours et son accent. Des «k» transformés en «g» et des «ou» contractés en «e» qui transforment le sens des mots. «goult el hem» (j’ai prêché la misère) «jebt el hem» (j’ai ramené la misère). Jamais programme n’a été décliné avec aussi peu de mots !» se gaussent les pamphlétaires qui peuplent la périphérie du commandement de la base de l’Est et qui sont férocement attentifs aux «anomalies» du langage de leurs supérieurs. Les prophéties les enchantent. Le visage de Houari Boumediène, qui restera indélébile pendant les dix années difficiles qui l’attendent, n’est pas de ceux qu’on oublie. Le front immense est dégarni. Le fusain léger des sourcils s’estompe à la naissance du nez, net et droit, dans deux plis de peau, deux rides. Les pommettes sont hautes. Les joues sont émaciées. La main droite, souvent posée en écran devant une lippe lourde et malgracieuse, cache, pudiquement, des crocs déchaussés et jaunis. Ce visage anguleux, taillé à coups de serpe, est rendu plus sévère encore par des yeux petits, sans cils d’où fulgure un regard vif, acéré, méfiant, qui va au-delà des apparences, disséquer mettre à nu, impitoyablement, tous les ressorts secrets du vis-à-vis. Les deux prénoms d’emprunt qu’il porte sont ceux de deux vénérables saints de l’Oranie. L’homme estil superstitieux ? Ou bien le but qu’il s’est d’emblée fixé nécessite-t-il des patronages de bon augure ? Il parle sobrement et son discours est fluide et aéré. L’argument toujours porteur. De toute son attitude se dégage une observation studieuse de ceux qui lui font face. Il pose des questions précises sur celui qui retient son attention comme si déjà il dressait son fichier. Au moment où Houari Boumediène arrive en Tunisie, l’ALN n’a pas encore dépassé ses moments difficiles. Le quotidien fait d’intrigues, de régionalisme et de clanisme amoindrit toujours sa valeur combative. Krim a fait énormément de choses mais tant de choses restent encore à faire… Boumediène repart pour le Maroc par la voie des airs, via l’Italie et l’Espagne. Il succède à Boussouf, lorsque ce dernier, promu au CCE, quittera son commandement occidental. Une intense activité commence pour Houari Boumediène, désormais chef de wilaya et colonel. Il organise les régions frontalières en profondeurs stratégiques. Il améliore ce qu’a créé Boussouf : structures administratives, camps d’entraînement, dépôts d’armes, étend l’emprise de l’organisation sur la communauté algérienne vivant au Maroc, toujours très proche de Boussouf, lequel garde un pied dans son fief d’origine. Cette proximité avec Boussouf et le contrôle absolu qu’il exerce sur les bases de l’ALN et les structures du FLN au Maroc l’amèneront à participer directement (par la mise en place des moyens nécessaires et quelques fois par sa présence personnelle) à l’exécution de toutes les basses œuvres du CCE. Le CCE poursuit son action par la création en avril 1958 d’un directoire de commandement unifié : le COM (Comité opérationnel militaire) avec à sa tête Mohammed-Saïd Nasser, à l’Est, et Houari Boumediène à l’Ouest. Ce Comité, malgré des efforts méritoires et quelques succès, n’a pu empêcher l’édification des fortifications françaises sur les frontières, connues sous le nom de lignes Morice et Challe qui saigneront l’ALN à blanc. Des milliers d’hommes périront dans les tentatives de franchissement des glacis défensifs, un désastre. La rébellion des colonels Lamouri, Nouaoura, Aouachria et de leurs compagnons, la reddition de Ali Hambli, les hécatombes dans l’enchevêtrement des barbelés sont à mettre en grande partie au débit du COM. Le COM, c’est l’échec personnel de Belkacem Krim par les hommes qu’il a imposés et par son éloignement personnel du théâtre des combats. Il lui en sera tenu compte le moment venu… Le COM qui a épuisé ses possibilités est disqualifié. L’expérience d’un directoire militaire collégial réunissant une dizaine d’officiers s’est révélée inopérante. L’option d’un commandement unique est retenue pour moins de zizanies et plus d’efficacité. Boumediène est rappelé du Maroc pour devenir le généralissime dont l’ALN a tant besoin. C’est Boussouf qui le propose à la tête de l’état-major, pensant que son ancien adjoint ne saurait être autre chose qu’un allié docile, à même de s’insérer dans le canevas compliqué de son vaste et discret système. Le débonnaire Bentobal acquiesce, puisque le candidat est «un pays». Krim n’a pas été difficile à convaincre. Boumediène n’a-t-il pas fait la preuve de son engagement à ses côtés ? N’est-ce pas lui, grand, droit, mince, inflexible comme un glaive qui a présidé le tribunal de Goumblat qui a envoyé à la mort, par le garrot, toute une charretée de colonels? N’est-ce pas lui encore qui a frappé d’une main de fer toutes les rébellions, toutes les dissidences à l’Ouest ? Sa réputation de patriote passionné et impitoyable lorsque l’intérêt de la Révolution est en jeu n’est plus à faire. Il est désormais chef d’état-major. A l’époque, l’histoire se faisait à l’Est. Il est déjà le maître de l’Est. Son destin est en marche… Son intelligence se révèle d’emblée dans la méthode. D’abord s’installer au contact immédiat des combattants. Au contact de l’Algérie, ensuite s’entourer d’une équipe ! Lorsque Houari Boumediène accède au commandement suprême de l’armée, les bureaux techniques lancés par Amara Bouglez, les centres d'entraînement, les fabrications militaires, les grandes norias d’armes et d’équipement fonctionnent à plein régime. Il exploite immédiatement, à l’avantage de l’ALN, les structures auxquelles Belkacem Krim a consacré le meilleur de son temps. L’ancien chef de la Wilaya III, usant tour à tour de persuasion ou de brutalité, a élagué, émondé, taillé, souvent dans la chair vive, pour tenter de faire d’une armée, aux mains de seigneurs de la guerre indisciplinés et frondeurs, un outil moderne et performant.

3. Les silences du colonel Boumediène

Dans la pénombre confortable où les stratégies s’élaborent, il est aux aguets, à l’écoute, vibrant intérieurement au gré des moindres péripéties, mais sans en rien laisser paraître son sentiment profond. Il maîtrise ses émotions. Le silence où il se complaît et la moue perpétuelle plaquée sur le bas du visage ne sont que des faux semblants, un masque affecté. Il force le trait à son avantage pour mieux cultiver l’énigme de ses origines, de son caractère et de ses desseins. Connaissant les maquisards, il sait qu’ils sont imbus de leurs années de maquis, cette carapace dure et rêche qui en fait des partenaires impossibles et des adversaires coriaces. Il leur préfère des cadres plus jeunes, frais émoulus des lycées du Maroc et d’Algérie ou des écoles militaires françaises, intelligents, capables et disciplinés. Les transfuges de l’armée française, «venus trop tard pour asseoir une glorieuse réputation», selon ceux qui les jalousent, et qui seront toujours décrits par ces derniers comme des «ralliés» de la dernière heure, tout juste bons à apprendre aux jeunes recrues à marcher au pas, il saura utiliser leur légitime rancœur pour en faire, à des postes de plus en plus importants, les éléments les plus solides de la structure de son système. Les jeunes issus de la vieille émigration algérienne au Maroc et qu’il a ramenés dans ses bagages, déjà façonnés à l’école rigoureuse de Boussouf, seront les rouages d’une machine efficace de prise du pouvoir d’abord, de gestion du pays ensuite. Cette équipe soudée autour de sa personne comme une garde rapprochée sera la cohorte solide où il puisera son inspiration, retrempera son optimisme. Ses membres ne confondant pas le rang avec la place ne seront jamais ses concurrents ni ne prétendront relever d’autres défis que ceux qu’il s’est lui-même assignés. Lorsque plus tard, l’un ou l’autre de ceux qu’il a distingués et rapprochés de sa personne prétendra agir de son propre chef, hors le cercle protégé qu’il a tracé, il laissera le téméraire seul face à la meute de chiens. (Moussa Hassani en saura quelque chose). Comme il frappera impitoyablement quand l’un deux, proche parmi les proches, s’oubliant jusqu’à confondre corps de garde et jardin secret, osera passer de l’autre côté du mur et prétendre y imposer son inconvenante censure. Son génie, c’est que la soudure, l’homogénéité de l’équipe avec laquelle il vaincra tous les obstacles et prendra le pouvoir s’est faite autour d’un programme politique, économique et social et d’un principe «légitimant» : «Nous qui avons fait plier l’ennemi sommes les seuls dignes de prendre en main les destinées de l’Algérie.» La légitimité révolutionnaire primant la légitimité historique ! L’équipe est étagée. Le premier niveau, la base, le socle, compte à peine une demi-douzaine de privilégiés. C’est la quintessence de son escadron qui poinçonnera au cachet sec la longue, longue feuille de route de son futur régime. Ses adjoints directs : A. Mendjeli, Kaïd Ahmed, A. Zerari n’appartiennent pas à ce cénacle. Ce ne sont que des seconds désignés par le pouvoir politique et qu’il est parvenu, un temps, à circonvenir. Ils le quitteront plus tard, dès qu’il commencera à incurver sa route. Quand il ne déambule pas seul, la démarche légèrement heurtée, le regard lointain, perdu dans de profondes cogitations, il «apprend» par cœur les hommes en provoquant leurs confidences et en les écoutant parler. Il trie, répertorie, note dans un petit coin de sa mémoire ce qui mérite d’y demeurer, sans doute pour s’en servir le jour où il commencera à édifier son propre enclos et à hisser ses propres couleurs.

Observateur attentif des jeux mortels du sérail alaouite, il a appris dans le microcosme des camps de l’ALN installés au Maroc que la politique est un labyrinthe compliqué et impitoyable et que les ronces de ce dédale sont les passions des hommes. L’art, lorsqu’ils se font jour, c’est de les faire converger en sa faveur. Dire que d’emblée, il a visé le pouvoir suprême et qu’il était déjà en mesure de regarder et de voir plus loin pour son propre compte ne serait ni aventureux ni présomptueux. Les hommes du gotha de la révolution, sur le haut du glacis où il est pour l’instant et dont il n’aimerait pour rien au monde descendre, sont divisés par lui en trois catégories. La première est composée de ceux dont il craint les entreprises ou la concurrence. Ils sont légion. L’Est, c’est le trop-plein de baroudeurs, la chienlit historique, la zizanie atavique, la migraine quotidienne. Il les connaît désormais un par un. Ils ne lui feront jamais illusion. Il saura les neutraliser plus tard, pour la quiétude de sa dictature, grâce à un «prêt» bancaire, un aller simple pour l’exil ou un cul de basse fosse. La seconde, c‘est la piétaille sans culture et sans ambition, bonne à tout faire dans les régimes autoritaires, la troisième enfin ainsi que nous venons de le voir est faite d’oiseaux rares qui possèdent l’étincelle créatrice ; apprivoisés, ils seront le foyer où éclosent les idées et se forgent les stratégies.

Par Mohamed Maârfia, moudjahed

En quête de financements «hallal» : Des jeunes boudent le dispositif Ansej

Non contents de voir le dispositif Ansej allégé et les taux d’intérêt sur les crédits bancaires réduits à leur plus simple expression, certains jeunes désireux de souscrire à ce dispositif émettent encore quelques réserves. Ils se demandent en effet s’il est licite ou pas du point de vue religieux de souscrire à ce dispositif, considérant le taux d’intérêt de 1% appliqué par les banques sur les projets financés dans ce cadre, comme de l’usure (riba).

J’avais l’intention de déposer mon dossier à l’Ansej mais un ami m’en a dissuadé sous prétexte que c’est h’ram (illicite), même si le taux est faible», nous témoigne un jeune rencontré près d’une agence de l’Ansej à Alger. Il est loin d’être le seul puisqu’il nous parle d’une «dizaine» de jeunes de son quartier à Belcourt qui sont dans la même situation. «Nous sommes allés poser la question à l’imam de notre mosquée, mais il nous a dit la même chose», explique-t-il, en précisant qu’il devra «renoncer à son projet de transport frigorifique à cause de cet obstacle».

Interrogé sur le sujet, Nacer Hider, secrétaire général à Al Baraka Banque, déclare à El Watan Economie : «Beaucoup de jeunes intéressés par l’Ansej qui viennent nous voir souhaitent bénéficier du concours des banques par uniquement la nôtre sans qu’il y ait ce taux d’intérêt qu’on leur impose même s’il est insignifiant, parce ce que c’est une problématique religieuse et pas seulement financière».La préoccupation n’est pas anodine puisqu’elle a même donné lieu à la création d’un groupe sur le réseau social le plus en vue du moment, à savoir facebook. Se faisant appeler «30 000 signatures pour que l’Ansej annule le 1% d’intérêt», le groupe se donne pour mission de sensibiliser le plus grand nombre de personnes à cette cause afin de pousser les pouvoirs publics à reconsidérer la question, mais il a recueilli moins de 300 signatures.

Sur la page, les adhérents au groupe expriment leur frustration et font leurs propositions. «Moi je veux vraiment travailler, mais je ne trouve pas de financement hallal», déplore l’un d’entre eux, et de proposer, «pourquoi ne pas créer une association avec la banque de sorte à ce qu’elle touche 5% à 10% de mon bénéfice sur le projet que je réaliserai. Ce sera plus rentable aussi bien pour elle que pour moi». Un autre membre relève que l’Etat «n’arrête pas de frimer avec les 150 milliards de dollars de réserves et le fait que le pays ne soit pas endetté, alors pourquoi ne pas prévoir dans ce cas un budget spécialement pour l’Ansej».
 
Limites du financement mixte

Pourtant, le dispositif Ansej ne rend pas obligatoire pour les souscripteurs de recourir au crédit bancaire. Il prévoit en effet aussi un financement mixte qui repose sur apport personnel majoritaire, complété par un prêt sans intérêt (PNR), inférieur à 30%, accordé par l’Agence pour des montants de projets compris entre moins de 5 millions et 10 millions de dinars.

Seulement un apport personnel de plus de 70% du montant du projet, ce n’est pas donné à tout le monde et comme le fait remarquer un jeune rencontré à l’agence Ansej de Hassiba Ben Bouali à Alger : «Si j’avais 70% d’une telle somme, je n’aurais pas eu besoin de venir à l’Ansej». D’ailleurs, les statistiques de l’Ansej le montrent bien ; sur l’ensemble des projets d’investissement financés dans le cadre de ce dispositif, la part des PNR ne dépasse pas les 21%, contre 64% pour les montants financés par les banques et 15% pour le montant des apports personnels.

Les jeunes intéressés par la formule Ansej n’ont pas d’autres alternatives puisque seules les banques publiques sont conventionnées avec l’agence pour prendre en charge les projets. La banque Al Baraka, qui détient 95% de parts de marchés de la finance islamique en Algérie, a, selon M. Hider, entamé «des discussions, il y a quelque temps» avec l’agence dans l’optique de travailler ensemble, mais «sur des bases saines et professionnelles», mais pour l’heure, il n’y a rien de concret.
 
Sans alternatives

La banque islamique semble avoir quelques préalables. «Il y a au niveau de l’Ansej des comités de validation qui obligent en quelque sorte les banques à accorder les crédits une fois le projet validé», nous explique le représentant de cette Banque. «Si nous rentrons dans ce dispositif, il faut que le processus de validation tienne compte de l’éligibilité économique du projet au financement bancaire. Cela y va aussi d’un souci pédagogique pour que ces jeunes, une fois le crédit obtenu, puissent mener le projet jusqu’au bout et assurer sa pérennité», argumente-t-il. Selon M. Hider, «il faut qu’il y ait une réelle volonté de la part de ces jeunes d’aller au bout du chemin et non pas d’obtenir des fonds sans que l’on sache qu’elles ont été leur usage et l’issue des projets financés, d’où la nécessité de faire une évaluation permanente et continue des projets financés dans le cadre de l’Ansej pour essayer de tirer les enseignements en cas de résultats non concluants».

Pour l’heure, l’Ansej dit n’avoir rejeté aucun dossier parmi ceux qu’elle a réceptionnés, au moment où les informations faisant état de fonds détournés par les jeunes promoteurs sont nombreuses. L’Agence se veut néanmoins rassurante et admet que ces cas sont minimes. Négligeables ou pas, l’existence de ces cas, renseigne, selon certains observateurs sur la réelle velléité derrière le souhait de voir supprimer le taux de 1% par certains jeunes. L’objectif pour certain étant de se débarrasser du poids que constitue l’obligation de devoir rembourser le prêt, nous dit-on, même si d’autres sont réellement préoccupés par la question de «Riba».

L’Ansej dit avoir déjà validé 108 573 dossiers de jeunes promoteurs sur les 333 705 dossiers déposés durant le premier semestre 2011.
Safia Berkouk

Agrément de nouveaux partis en prévision des prochaines législatives : Cacophonie au sommet de l’Etat

Le ministre de l’Intérieur dénonce «des parties à l’APN» qui veulent faire avorter la démarche de réforme du paysage politique national. Les partis de l’Alliance présidentielle, en particulier le FLN, semblent vouloir accaparer, pour cinq années supplémentaires.

La question relative à l’agrément de nouvelles formations politiques révèle au grand jour les différends au sommet de l’Etat. La «grande ouverture politique» promise dans le cadre «des réformes» entreprises par le président Bouteflika bute sur les appétits grandissants des partis de l’Alliance présidentielle (FLN, RND, MSP) qui veulent accaparer, pour cinq années supplémentaires, les institutions élues. Pour ce faire, ils retardent la programmation de l’examen à l’APN du nouveau projet de loi sur les partis qui devra servir de base à l’agrément de nouvelles formations politiques. Ce blocage agace le ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, qui se met à le dénoncer publiquement, sans citer bien sûr explicitement les auteurs de ce blocage. «Il y a des parties qui craignent d’affronter les prochaines élections avec de nouvelles donnes politiques qui seront la conséquence de l’adoption de la nouvelle loi sur les partis», dénonce-t-il dans une déclaration faite, hier, au quotidien arabophone Wakt El Djazaïr.

M. Ould Kablia va encore plus loin en parlant de «pressions exercées par ces parties afin de faire avorter la démarche de réforme du paysage politique national à travers la révision de la loi sur les partis». «Ces parties veulent protéger leurs intérêts et ceux de leurs partis pour éviter une éventuelle concurrence avec de nouvelles formations politiques à l’occasion des prochaines élections», ajoute-t-il. Quelles sont ces parties qui bloquent le projet ? M. Ould Kablia ne donne pas plus de détails. Mais il fait clairement allusion au FLN et ses partenaires au sein de l’Alliance présidentielle, accusés de vouloir tailler à leur mesure les projets de loi de «la réforme». Pourquoi réagissent-ils maintenant, alors qu’ils ont tous applaudi l’adoption de tous les projets de loi en Conseil des ministres ?

Le FLN, le RND et le MSP sont largement représentés au sein du gouvernement et leurs ministres ont avalisé tous les projets de texte sans aucune objection. Comment expliquer alors leurs positions à l’APN ? Il n’y a qu’une seule explication possible : l’intérêt partisan prime sur l’intérêt général qui suppose une synergie des efforts en vue d’instaurer un Etat démocratique. On peut même croire, vu les accointances de ces partis de l’Alliance avec les «centres» communément appelés «clans» du pouvoir, que cette guéguerre à l’Assemblée n’est que la partie visible d’un désaccord en haut lieu. On nous sert alors de la cacophonie !
Les responsables des partis de l’Alliance présidentielle et leurs «mentors» savent que le temps jouera en leur faveur s’ils retardent l’examen de ce projet. Car si le nouveau projet de loi n’est pas adopté avant la fin de l’année en cours, les nouveaux partis n’auront pas suffisamment de temps pour préparer leur participation aux prochaines législatives devant intervenir, au plus tard, en mai 2012.

Le FLN : «Qu’est-ce qui empêche le ministère d’appliquer l’actuelle loi ?»     

Afin de contrecarrer les visées des partis de l’Alliance, M. Ould Kablia menace d’agréer des nouveaux partis en application de la loi en vigueur actuellement. «En cas du report de l’examen du projet de loi sur les partis, nous allons donner le feu vert aux formations politiques dont les dossiers remplissent toutes les conditions», lance-t-il. Il y a pourtant quelques mois, ces conditions étaient, à son avis, introuvables. En mai dernier, M. Ould Kablia avait, rappelons-le, affirmé que l’agrément de nouveaux partis se ferait selon les dispositions de la nouvelle loi. «On ne peut pas préjuger sur ce que va être cette loi sur les partis qui sera adoptée au niveau du Parlement. Si elle apporte des conditions très libérales, il y aura de la place pour tout le monde. Et s’il y a des conditions restrictives, il y aura des restrictions», avait-il précisé.

Contacté par nos soins pour avoir une réaction, le chargé de communication du FLN, Kassa Aïssi, décline la responsabilité de son parti sur le blocage des textes de loi. «Il faut commencer par l’actuelle loi. En attendant la présentation du nouveau projet à l’APN, qu’est-ce qui a empêché le ministre d’appliquer la loi en vigueur ?», dit-il. Selon lui, «le pouvoir exécutif n’a pas le droit de s’arroger les prérogatives du pouvoir législatif». «Si ce projet est prioritaire, le gouvernement aurait dû l’envoyer en premier à l’Assemblée», ajoute-t-il. Mais lors de sa première réunion, le bureau de l’APN avait décidé, affirme Ramdan Taâzibt, député du PT, «de donner la priorité aux textes de la réforme».Comment veut-on convaincre du bien-fondé d’une pseudo-réforme qui ne convainc même pas ses initiateurs ?

Madjid Makedhi

Le monde est inquiet : "Où est Kadhafi?" partout et "Où est Boutef" en Algérie

Le monde est inquiet : "Où est Kadhafi?" partout et "Où est Boutef" en Algérie

Et après ça, vous oseriez venir pavaner devant nous et jacter ? T’fou !

Que risque l’intégriste Hachemi Sahnouni après sa fatwa
contre les bars ? D’après une source digne de foie, il va…

… trinquer !
Voilà où on en arrive ! Forcément ! Lorsqu’on ne s’occupe plus que des bars, des gamines qui portent des shorts en été, des couples dans les jardins publics, des «déjeuneurs» du Ramadan, de l’amnistie générale aux tangos annoncée par un commis du Palais comme «imminente sous peu dans quelques instants tout de suite», des fatwas d’un fou de Dieu aveugle présenté comme Baba Rabbi, de la couleur des blouses à la rentrée scolaire, du nombre de bus à distribuer aux associations gentilles comme du miel, des pages de pub à envoyer aux journaux exemplaires, quel que soit leur nombre d’exemplaires vendus, des coquins amis du Golfe qui nous offrent 500 outardes aujourd’hui pour mieux venir les tirer plus tard, de la bourse du p’tit dernier à renouveler et à revaloriser, même s’il redouble pour la 78e fois son année universitaire à Londres ou à Paris, des femmes divorcées à qui l’on envoie un huissier et un policier le matin à l’aube, les poussant à se foutre en l’air comme seul moyen d’en finir, des petits vendeurs à la sauvette, alors que des requins ont mis sous coupe réglée Sonatrach, l’autoroute Est-Ouest, l’accès aux crédits bancaires, les marchés de gré à gré et de gré ou de force, on en arrive là, mesdames et messieurs.

Et là, c’est le service de radiothérapie du Centre Pierre et Marie Curie de lutte contre le cancer qui ferme ses portes. Plus possible de soigner par les rayons des milliers de malades, des citoyens que l’on pousse doucement mais sûrement vers le cimetière. C’est pour cette raison, quand on en arrive là, qu’il faudrait une loi pour interdire à quiconque dans le Palais, châtelain et conseillers compris, ainsi que dans l’exécutif de venir nous parler d’avenir, de perspectives, de programmes de développement, d’espoir, de relance, de lutte contre la corruption, de compétitivité, de challenge exaltant pour le devenir du pays et de toute autre «Tbal'iîta», baratin du même genre.

Quand on en arrive à fermer un centre pour cancéreux, on devrait au moins avoir une humilité, une seule : celle de se déshabiller sur la place publique, d’ôter son précieux costume, veste et pantalon, de tomber sa chemise en soie, de les poser en tas par terre, à ses pieds eux aussi déchaussés de leurs précieux mocassins, de s’habiller ensuite d’un sac de jute, et d’aller vers le peuple ainsi vêtu pour lui demander pardon. Pardon pour ce crime contre l’humanité. Cette portion d’humanité de 36 millions d’âmes prises en otages par un des gangs les plus dangereux qu’ait connus la civilisation humaine, de mémoire d’homme. Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue.

Par Hakim Laâlam

Treize, six, quatre, impair et...

Comme à la roulette, un père de treize enfants ayant donné six coups de couteau à madame, est jugé et écope de quatre ans ferme. Cheh!

Oum El Khir avait bouclé ses cinquante-trois ans en cette mi-Ramadhan 2011 qu'elle n'est pas près d'oublier. Jamais elle n'oubliera ces douze minutes infernales. Jamais elle ne pourra effacer de sa mémoire ni de sa «pure-mémoire» les faits graves qu'elle a subis face à son époux, Berhouma, soixante et onze ans, qui lui a fait treize enfants dont dix en vie et deux filles mariées et mamans déjà, sachant que la benjamine avait, il y a une année, cinq ans!

Les faits qu'elle - Oum El Khir - avait subis sont simples à raconter mais affreux à répéter. Il restait deux heures avant le coup de la première cuillère de chorba avalée du côté de Staouéli (Alger) lorsque Berhouma,qui était dans un «coma» propre aux jeûneurs-veilleurs, entra avec sous les bras, une corbeille de figues de barbarie. Des figues de barbarie pour assister à une scène digne des Barbares que l'histoire évoque à longueur de siècles...

Le père de famille marmonne, balbutie et ordonne quelque chose qu'Oum El Khir, elle aussi à moitié assommée par seigneur jeûne, ne saisit pas d'abord. Elle lui fait un signe voulant probablement comprendre qu'elle n'a pas entendu ses «ordres». C'est à son tour de tendre l'oreille: «Quoi, quoi? que dis-tu? Ô femme!» Et madame de crier sa question. Monsieur entre dans une colère noire. Il crie son désaccord de voir une épouse, grand-mère et mère de dix enfants qui fait entendre sa voix extra-muros.

«Et puis quoi encore? Suis-je un homme ou non» en lui balançant un coup en plein visage. Et hop! c'est parti. Il se retourne, sa femme étant toujours debout, comme si elle le défiait. La colère noire devient démence car Berhouma s'empare d'un couteau et se met à frapper là où la chair peut encaisser. La raclée est mémorable. Des coups, des coups de pied, de mains, de poings et même de tête. La femme crie. Les enfants qui étaient à la maison crient, impuissants, de ne pouvoir désarmer le père entré dans une presque folie-démence passagère difficilement maîtrisable.

Finalement, il ne s'arrêtera qu'à la vue du sang. Sa femme venait de recevoir six coups de lame de divers degrés de gravité. Entre-temps, les proches qui s'étaient aventurés à l'intérieur du home parvinrent à calmer l'homme qui ne cessait de crier sa furie d'être une victime d'une indigne épouse, qui est à ses yeux, coupable d'adultère! A cinquante-trois ans! Il n'y a qu'à voir sa bobine pour s'apercevoir qu'elle en fait dix de plus! Les enquêteurs prennent le dossier en mains.

Le chapelet de poursuites d'auditions, de témoignages, les confrontations des uns et des autres mènent droit chez Lynda Dabouci qui ne s'amusera pas à faire du sentiment. Et surtout par ce sacré Abdallah enfoui dans le fauteuil du ministère public. Il suivra religieusement les débats pour réclamer, le moment venu, une peine d'emprisonnement ferme de cinq ans pour coups et blessures volontaires.

La partie civile parle de tentative de meurtre. On grossit les faits. On exagère la scène, on dramatise, on voudra sans l'articuler le passer à la potence, sur la chaise électrique, lui faire une injection foudroyante, le fusiller de six balles, le même nombre que les coups de couteau donnés à madame qui crie sa douleur à la barre face à une juge qui ne bat jamais des cils lorsqu'elle entre à l'audience sans pression ni recommandations...

Abdallahy, le représentant du ministère public qui en a vu et entendu d'autres depuis sept ans qu'il résiste aux «tempêtes» du bateau «Cheraga», attend le moment favorable pour s'exprimer. Il ne le fera pas par affection envers la victime ni haine pour l'inculpé que la détention préventive a fait encore vieillir encore plus car en taule, il fait figure d'ancien bagnard au milieu de très jeunes détenus dont certains, ayant eu vent de ce drame, ont tourné la tête pour ne pas voir le regard de ce «Hagar» coupable de hogra envers une femme (remarquez qu'ils ne disent pas «Sa» femme!) Tenez, c'est une occasion en «or» pour informer nos chers lecteurs qu'en prison, il y a de grands criminels condamnés à titre définitif qui font la chasse à ceux des détenus qui sont condamnés pour avoir battu leurs parents, ou pour avoir joué aux pédophiles de bas étage ou encore ceux qui se sont attaqués à des femmes seules dans la rue pour s'emparer d'un portable ou d'un bijou ou encore d'un sac à main souvent vide... Revenons à Si Barhouma et Lala Oulm El Khir pour insister sur les forts moments de haine de rancune partagées, d'exclamations de X...accusations, de mots qui dépassant la pensée.

Heureusement que Dabouci, en juge avisée et en maman prévenante, était là pour rappeler aux parents, les enfants et leur devenir au milieu de ce séisme, avant d'infliger une peine d'emprisonnement ferme de quatre ans pour coups et blessures volontaires à l'aide d'une arme blanche ayant occasionné un arrêt de travail de un mois! Comme quoi, on ne doit jamais battre une femme même avec une...rose...rose! Et en appel, ce sera Maître Nassima Aïd, une femme qui va défendre Oum El Khir!

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Les ministres du futur


On vient d’apprendre, subitement, que l’Algérie sera le troisième pôle de biotechnologie du monde. Plusieurs ministres se sont retrouvés autour d’une conseillère d’ambassade américaine pour nous annoncer que le projet “Algérie Vision 2020” sera finalisé dans… trois mois et fera de l’Algérie un pays exportateur de médicaments.

Mais en attendant, la radiothérapie vient d’être suspendue et les concitoyens cancéreux ne peuvent bénéficier du protocole de soins minimum.

C’est remarquable comme nos dirigeants aiment parler des projets qu’ils comptent réaliser et peinent à regarder la situation qu’ils ont déjà créée, par leur incapacité ou par leur inaction. Ils étaient six ministres à Djenane El-Mithak pour se disputer le bénéfice politique d’une virtualité ; ils auraient été moins nombreux à venir s’expliquer sur une réalité. Souvenons-nous de nos anciens ministres du commerce et de l’agriculture se rejetant la responsabilité de la pénurie de pomme de terre et la soudaine ascension du prix du tubercule !
Une simple amorce d’ébauche de canevas de projet scientifique-industriel et tous les secteurs sont réhabilités ! Le ministre des Affaires étrangères y voit la réappropriation de son crédit par l’Algérie, le partenariat américain faisant foi : pour lui, “l’accord, c’est déjà une avancée en soi” ! Il aurait pu se suffire de la cérémonie.

Le ministre de la santé y lit “la fin du statut de consommateur-importateur” et le début de celui de “producteur-exportateur”. Le ministre de l’Industrie était là pour prendre sa part de la révolution biotechnologique qui devrait rayonner sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Le ministre de l’Environnement entrevoit un Sidi-Abdallah qui, en plus du cyber-park où, paraît-il, fleurissent déjà des start-up, hébergera de la nanotechnolologie et de la robotique. Le ministre de l’Enseignement supérieur y trouve l’occasion de réhabiliter notre université retardataire en jumelant Harvard à Alger, c’est-à-dire la première université du monde à la… 7 849e (classement Ranking Web World Universities), croyant que ce sont les fréquentations qui font le statut. Le ministre du travail n’a pas voulu manquer l’occasion, même s’il n’a pas su formuler l’apport du projet à nos futures conditions sociales.

Il ne manquait que le ministre de la prospective qui, étrangement, ne serait donc pas concerné par cet effort de projection aux implications plurisectorielles. Il est vrai que la genèse de ce bébé éprouvette de la planification est accidentelle : il suffit d’un forum algéro-américain sur le médicament et d’une visite de Ould-Abbès à Boston et Washington pour que l’Algérie devienne, sur papier, une puissance pharmaceutique, une puissance aux retombées diplomatiques, scientifiques, financières, sociales, environnementales inestimables.
 
D’ici là, la voiture de Temmar et Benbada et les bateaux de Tou seront venus enrichir la boîte à merveilles qu’on ouvrira en 2020.

Mais pour l’instant qu’en est-il de la pénurie de médicaments, du retard de réalisation du métro d’Alger et de l’autoroute est-ouest, des emplois et des logements du programme quinquennal, des infrastructures d’El-Bayadh, de l’autosuffisance agricole, du parc d’El-Kala ? Qu’en est-il du plan “Algérie 2015” ?
Comme dans un tour de magie collectif, l’Algérie n’est belle qu’à l’horizon. Dommage que l’horizon recule à mesure qu’on s’en approche.

Par : Hammouche Mustapha

Fermeture des bars : La pression des islamistes

Fermeture des bars : La pression des islamistes - Dilem Lundi, 10 Octobre 2011 , Édition N°5816

Caracoler

«Les investissements d'aujourd'hui sont les profits de demain et les emplois d'après-demain.» Helmut Schmidt

Sincèrement, je ne me suis jamais intéressé à cet animal que je n'ai jamais rencontré et qui est affublé d'un nom qui, ma foi, me paraît assez poétique puisqu'il m'a rappelé par sa phonétique le verbe caracoler qui, lui-même, signifie pour un cheval: trotter en sautillant joyeusement. C'est dire l'importance de la sonorité d'un mot dans l'imaginaire d'un individu. Mais, j'ai voulu en savoir plus sur le caracal! Le dictionnaire me dit: «Caracal signifie oreilles noires en turc. C'est un mammifère de la famille des félidés. Il vit dans des endroits secs, comme la savane. Comme tout félin, il est territorial et n'accepte pas d'autres félins dans son domaine qu'il marque en urinant sur les rochers et les arbres afin d'y laisser des traces olfactives. Mais parfois, on peut le rencontrer en couple et en groupe. Le caracal est un animal nocturne. Le corps de ce félin est plus délié que celui des lynx nordiques, ce qui en fait un excellent coureur. Sa robe unie d'un jaune fauve s'harmonise parfaitement avec la couleur générale du désert.

Ses longues oreilles pointues, ornées de pinceaux noirs, lui assurent une excellente ouïe. Il a une longueur de 60 à 91 cm (la queue mesure environ 28 cm). Sa hauteur au garrot est de 40 à 45 cm. Il pèse entre 6 et 19 kg. Sa longévité est de 15 ans en moyenne mais c'est le félin le plus rapide pour sa taille. Les femelles peuvent mettre au monde de un à six petits par portée, au terme d'une gestation de 70 à 78 jours. Le caracal atteint sa maturité sexuelle après environ deux ans.

Le caracal grimpe et saute très bien. C'est un chasseur nocturne: à la manière d'un chat, il rampe en silence, le corps aplati contre le sol et s'approche de sa proie avant de fondre sur elle.

Il chasse surtout des damans, des rongeurs, des lapins, des petites antilopes (ourébis par exemple) et des volailles. C'est presque un chacal! Ses neuf sous-espèces qui le composent peuplent tous les déserts chauds du monde et portent des noms scientifiques différents. Celui qui vit chez nous porte le nom barbare de caracal caracal algira. Le dictionnaire ne nous dit pas si ce caracal se décline au pluriel comme cheval ou comme chacal. L'avenir nous le dira. Mais j'ai voulu en savoir plus.

Et je découvre que ce nom désigne aussi un type d'hélicoptères très performants utilisés par l'armée française.

Ses caractéristiques décrites dans le catalogue gracieusement fourni aux seigneurs de la guerre, feraient saliver tout trafiquant d'armements. Et, paraît-il qu'il est conçu pour les opérations genre «Tempête du désert».

Ce n'est pas tout, ce n'est pas tout! Caracal désigne aussi un joli jouet qui sert à faire de jolis petits trous dans la peau des individus qui ne vous reviennent pas. Ce bijou est fabriqué par «Caracal International», société dont le siège se trouve à Abou Dhabi. C'est une équipe dirigée par un expert autrichien qui a mis au point cette arme de poing qui équipe déjà les forces de police du Golfe clair. Ce n'est pas tout! Cette société émiratie du groupe Tawazun, vient de signer avec la société Epic-Ecmk, dépendant du ministère de la Défense, un accord portant sur la création d'une société mixte «Caracal Algérie». C'est encore une nouvelle réjouissante qui vient confirmer l'intérêt que portent depuis quelques années les émirs du Golfe au désert industriel qu'est devenu notre pays.

Ce qu'on désignait souvent à tort de chasseurs d'outardes font caracoler leurs investissements dans notre pays: après la téléphonie mobile, la gestion des ports et le tourisme, voilà un nouveau créneau stratégique. Un bémol cependant à notre enthousiasme: le projet «Desertec» vient d'être capté par les Marocains!

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Nessma TV fait de la laïcité son nouveau fonds de commerce

«Nessma une chaîne moderniste du Maghreb, on ne se laissera pas intimider et nous continuerons à diffuser les films qu'on veut. On n'a pas chassé une dictature pour revenir à une autre.» Nabil Karoui, P-DG de Nessma TV.

A quelques jours des premières élections démocratiques en Tunisie, la chaîne de télévision privée Nessma TV a été attaquée par environ 300 islamistes, a rapporté la presse française, qui a fait circuler l'information sur les sites des chaînes françaises comme TF1, France Télévision mais aussi sur les sites du Monde ou Le Nouvelobs. Tout a commencé après la diffusion vendredi (sacré pour les musulmans) du film d'animation franco-iranien Persépolis traduit pour cette occasion en dialecte tunisien.

Ce film qui met en image Dieu sous la forme d'un vieil homme avec une longue barbe blanche a provoqué un véritable tollé, notamment sur Facebook. Les messages d'indignation et d'insultes envers la chaîne se sont multipliés à une vitesse vertigineuse. Un événement a été créé pour organiser une manifestation et «fermer» la chaîne, a rassemblé beaucoup de personnes. Une tentative d'attaque sur le local de Nessma TV a été avortée par les forces de l'ordre.

Ces dernières ont dû employer, des bombes lacrymogènes pour repousser ces attaques. Les forces de l'ordre ont par ailleurs arrêté une trentaine de personnes, a indiqué Hichem Meddeb, porte-parole du ministère tunisien de l'Intérieur. Il faut dire que la représentation de Dieu, sous n'importe quelle forme, est considérée par les musulmans comme un blasphème, mais ce qui a irrité le plus, les manifestants parlent d'une campagne de Nessma TV contre les partis islamistes et plus particulièrement Ennahda de Ghennouchi, qui est présenté par les instituts de sondage comme vainqueurs dans la prochaine élection en Tunisie.

Pour preuve, Nessma TV a organisé après la diffusion du film un débat faisant le lien entre l'histoire du film et la Tunisie, si jamais un parti islamique prenait le pouvoir, allusion faite à l'instauration de la République islamique en Iran dénoncé par Persépolis. Il y a deux ans, avec la série "House of Saddam" dont l'acteur principal est Israélien, Nessma TV avait été accusée d'être de mauvaise foi. Durant le Ramadhan 2009, elle s'est distinguée en diffusant le feuilleton iranien Youcef Seddik, qui avait été interdit dans la majorité des pays arabes car il personnifiait l'un des gens du Livre Saint.

Durant le Ramadhan 2010, Nessma TV récidive en diffusant le feuilleton polémique «Hassen oua El hussein», qui avait été refusé dans certains pays arabes, car il donnait la parole aux compagnons du prophète Ali. Bref, Nessma TV, qui applique un style audiovisuel très décolleté, comme on le voit sur les télévisions de Berlusconi, n'a jamais censuré les baisers ou les scènes dénudées des films occidentaux qu'elle diffuse.

Une manière de se démarquer des autres télévisions maghrébines et surtout de revendiquer cette identité occidentale non déclarée. Cet acte va en tout cas comme pour le documentaire Ni Allah, ni maître, de Nadia El feni, faire de Nessma TV une victime de l'islamisme politique et devenir aux yeux de certains médias occidentaux comme une icône de laïcité.

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36 millions de demandeurs, un poste

Peut-on arrêter un chômeur qui demande du travail ? A première vue non, c’est comme noyer un enfant qui demande à respirer. Pourtant, c’est ce qui s’est passé, hier, devant la Présidence où les chômeurs qui s’étaient rassemblés pour exiger du travail et la fin du harcèlement policier ont été arrêtés et empêchés d’aller plus loin. Des chômeurs qui donnent du travail à la police, une boucle sans fin dans laquelle des syndicats sont harcelés, manifestent pour faire cesser le harcèlement et sont embarqués et harcelés. Et pendant qu’ils sont au commissariat ou devant la justice, ils n’ont pas le temps de chercher du travail, ils restent donc chômeurs et manifestent pour se faire encore arrêter. Comment casser cette boucle diabolique ?

Evidemment, il serait plus intelligent de laisser les chômeurs manifester puisque le gouvernement est incapable de leur donner du travail. Mais la Présidence n’aime pas être dérangée, surtout par des mendiants insolents. Car on l’oublie souvent, si être chômeur n’est pas facile, le métier de Président n’est pas de tout repos. Il faut gérer les équilibres, payer la police, nourrir les dobermans, surveiller Ouyahia, éviter les bombes, les empoisonnements et les élections, bloquer les prétendants et les libertés sans tirer sur la foule. En plus, il faut trouver du travail aux chômeurs et, bien sûr, être obligé d’être à son bureau pour écouter les clameurs quotidiennes des différentes catégories qui revendiquent.

D’ailleurs, avant d’être Président, M. Bouteflika était lui-même chômeur et il n’a pas manifesté pour avoir un emploi, c’est la société Algérie, sur CV, qui lui a offert ce poste en CDD, qu’il tente intelligemment de convertir en CDI. On ne peut donc pas lui demander d’être solidaire avec ces chômeurs. Mais on peut lui demander de regarder de temps en temps par la fenêtre, car même pour lui, il n’y a pas de stabilité de l’emploi.

Chawki Amari

Synagogue prématurée à Tripoli

David Gerbi, Juif libyen exilé en Italie depuis 1967, est revenu à Tripoli après la victoire de la rébellion contre Kadhafi. C'est ce qu'ont fait de tout temps les exilés de toutes confessions après la disparition des causes de leur exode, le despotisme de Kadhafi en l'occurrence. L'exilé n'avait pas oublié qu'après sa prise du pouvoir, au détriment de notre cousin Senoussi, le frère Maâmar(1) avait expulsé les derniers Juifs vivant dans le pays et il avait confisqué leurs biens.

Le prétexte était alors imparable : il fallait venger les Palestiniens chassés de leur patrie occupée par des Juifs. Les Palestiniens, c'est connu, ont eu et ont toujours bon dos. Après la chute du responsable de ses malheurs, David Gerbi s'est cru en droit de célébrer la victoire, en même temps que ses compatriotes libyens. Les nouveaux maîtres du pays n'ont-ils pas promis d'inaugurer une ère de libertés, au pluriel, et de démocratie, au singulier ? Notre homme a donc décidé de restaurer, sur ses propres deniers qui ne doivent rien à Juda, faut-il le rappeler, la synagogue de sa ville natale. Initiative tout à fait louable et susceptible de rétablir le dialogue des religions avec les dizaines de mosquées environnantes. Seulement, quelques minarets ne l'ont pas entendu de cette oreille. David Gerbi s'est d'abord plaint d'avoir reçu des menaces directes contre son intégrité physique. Jeudi dernier, des citoyens se disant révolutionnaires, comme ils ont dû se réclamer de Kadhafi il y a quelques mois, ont manifesté contre la synagogue.


A peine ouverte, celle-ci a d'ailleurs refermé ses portes, sur injonction des autorités, ont indiqué des manifestants à la presse. Selon le quotidien Al-Quds, qui a publié l'information en première page, le CNT libyen a démenti avoir donné son agrément à la réouverture du temple. Un porte-parole des manifestants a estimé que l'initiative d'une synagogue était «prématurée». Le maître mot pour différer ad vitam aeternam la réalisation d'un projet. Quant au nombre des manifestants, il varie selon le média qui rapporte, réécrit ou triture l'information originelle. Jugez-en : Al-Quds, qui cite l'agence France presse (AFP), reste imprécis sur les effectifs des protestataires. Il parle d'un «petit nombre» de partisans de la révolution du 17 février, alors que l'AFP avait annoncé une quinzaine de personnes.

Sans doute pour ne pas donner plus de sujets d'inquiétude à Bernard-Henri Lévy, proclamé nouveau «Che» arabe par nos médias. Al-Quds, qui est hostile à toute intervention étrangère(2) en Libye, a donc raison de se méfier des chiffres de l'AFP, agence d'un pays engagé résolument dans le conflit. Et puis, un «petit nombre» passe mieux qu'une dérisoire «quinzaine ». Le quotidien londonien est un journal pan-arabiste, qui annonce en passant l'assassinat du leader kurde Mechaal Tammou(3). Si ce dernier avait été membre du Hamas palestinien, et qu'il aurait été tué par les Israéliens, il aurait eu droit à sa photo en page une. Mais revenons à nos manifestants anti-synagogue : de la «quinzaine » de l'AFP, et du «petit nombre» indéfini d' Al-Quds, on passe à la formule magique utilisée par Echourouk, le quotidien au tirage non moins magique.

Ce mot passe-partout qui vous épargne l'effort de compter et de recompter, quand vous ambitionnez d'être objectif. Un seul mot «hachida», et les rues et les places sont noires de monde et les balcons croulent sous la poussée impétueuse des foules. «Moudhaharate hachida», manifestations imposantes ou massives, est destiné à remplir le vide et les tirets des articles pré-digérés. Pourquoi s'embarrasser à compter les poils de la barbe(4) de Belkhadem alors qu'il suffit d'un qualificatif pour vous dire ce que vous devez voir et croire ? Ceci est donc la version enflée façon Echourouk de la manifestation «révolutionnaire », jeudi dernier à Tripoli. Cependant, quels que soient le nombre et la qualité des participants, cette démonstration est le premier «couac» dans la partition démocratique que nous jouent les rebelles et les Occidentaux.

Comme en écho à cette manifestation, des inconnus, qualifiés d'extrémistes par les médias israéliens, ont profané le lendemain vendredi des tombes musulmanes et chrétiennes à Jaffa. Selon la méthode affectionnée de nos profanateurs de sépultures, ces individus ont brisé des stèles et peint en plus des inscriptions hostiles aux Arabes. Les autorités israéliennes ont beau jeu de clamer que ce sont des actes d'extrémistes minoritaires. Elles ont mieux à faire avec la poursuite de la colonisation, au profit de ces «minoritaires », et la perpétuation du fait accompli.

Qu'y a-t-il donc de commun entre les imbéciles israéliens qui ont profané des tombes musulmanes et chrétiennes et les tarés libyens qui ont manifesté contre la réouverture d'une synagogue à Tripoli ? Tout les unit, et d'abord la religion qu'ils pratiquent en commun, une religion qui prêche la haine du prochain, avec ses prophètes et ses apôtres : l'intolérance. C'est cette intolérance qui nous conduit à faire la chasse aux buveurs de bière, pendant que d'autres boivent le sang d'un peuple subjugué.

Cette nouvelle religion, faite de rêves hallucinés et de croyances absurdes, comme celle qui circule actuellement à propos de Victor Hugo. Un lecteur tardif de la Légende des siècles fait circuler sur le Net un texte où il affirme que l'écrivain français s'est converti en secret à l'Islam(5). Cette conversion est attestée, selon ce monsieur, par le poème que Victor Hugo a consacré au Prophète de l'Islam. Absurde, quand on sait que le grand poète a aussi chanté Jésus, Booz et même Caïn dont il a décrit la pathétique fuite devant la culpabilité. Un sentiment quasiment inconnu de nos jours et sous les cieux marqués du croissant et de l'étoile.
 

Par Ahmed Halli
 
(1) Le comble, c'est que Kadhafi lui-même a fait l'objet d'une opération de judaïsation, a posteriori, de la part d'une chaîne de télévision israélienne. Il y a quelques mois, une dame originaire de Libye avait affirmé que sa grand-mère et celle de Maâmar étaient sœurs. La mammy de Maâmar avait quitté son mari juif pour les beaux yeux d'un chef bédouin. Dur, dur d'être juif pour un Arabe !
(2) Il faut s'entendre sur cette formulation : quand l'Arabie saoudite intervient à Bahreïn, ce n'est pas une intervention étrangère, mais en exécution des statuts du Conseil de coopération du Golfe, que le Maroc devrait intégrer. Je suppose que si le Qatar nous attaque, caméras d'Al-Jazeera à l'appui, par Figuig à l'ouest, voire par Ghadamès à l'est, on criera à la libération.
(3) Mechaal Tammou, dirigeant du mouvement kurde «Courant du futur», a été tué par balle vendredi dernier par un commando de cagoulés. Son fils, qui avait été blessé lors de l'attaque, est également décédé le lendemain.
(4) La dernière trouvaille, ou resucée journalistique, consiste à demander à un barbu de carrière à quoi il pense en se rasant tous les matins.
(5) Pour connaître la véritable opinion de Victor Hugo sur la religion et surtout sur les religieux, il faut lire son discours à l'Assemblée, lors du débat sur le système éducatif.

Une immolation, trois escroqueries

Quand Mama Gasmi a mis le feu à son corps pour en ôter la vie, elle ne devait pas avoir le souci de savoir si cette forme de suicide était «étrangère à notre culture», comme semble s'en préoccuper le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem.  Mama Gasmi a été victime d'une double escroquerie.

De ceux qui avaient la possibilité de lui attribuer un logement, un «droit» que même… Belkhadem lui reconnaît, même s'il n'est «pas  d'accord avec la manière» de le revendiquer puisque «l'immolation est étrangère à notre culture et notre société en dépit du fait qu'elle exprime un état de détresse extrême».
On ne sait pas si Madame Gasmi aurait suscité plus de solidarité et trouvé meilleures oreilles à ses cris de détresse si elle n'avait pas été jusqu'à l'acte tragique. On ne sait pas non plus si sa mort aurait bouleversé plus de monde si elle avait choisi un moyen de quitter la vie plus «conforme  à notre culture et notre société». On sait par contre que cette femme a été victime d'une triple escroquerie. D'abord celle de la vie qui n'a pas été un long fleuve tranquille pour elle.

Élever seule des enfants est toujours dur pour une femme algérienne, et quand s'ajoute à la solitude la difficulté matérielle, ça se complique encore plus. On peut être une maman courage, mais la détresse n'est jamais loin. Trop d'impasse pousse à l'impasse et Mama a été au-delà. L'escroquerie de ceux dont le «métier» est de lui donner un logement et qui le lui ont refusé, comme ils l'ont refusé pour pouvoir en donner plusieurs à ceux qui en ont le moins besoin.


Ceux qui ont inventé le logement social parce que le désarroi social est un comptoir de négoce, un coffre-fort de la corruption,  une machine à compresser les rêves et juguler les colères. Ils ne lui ont pas donné un logement et les mères -courage pensent qu'elles peuvent toujours se débrouiller toutes seules. Sinon elles ne seraient pas des mères-courage. La dernière escroquerie, celle qui lui a été fatale, est l'œuvre d'une armée d'… escrocs générée par la crise. Ils savent que c'est facile.


Il n'y a pas plus facile à berner qu'un homme ou une femme en désarroi. Alors ils escroquent. De faux cadres qui amassent des fortunes en promettant des logements parce que ce sont de vrais cadres qui ont commencé et «déblayé le terrain». De vrais officiers qui attribuent de vrais appartements contre de vraies liasses et de faux officiers et de faux officiers supérieurs qui se font arrêter, non pas parce qu'ils ont commis des escroqueries au logement mais parce qu'ils ont usurpé une fonction.


Madame Gasmi est une vraie femme qui voulait un logement pour élever ses enfants. Escroquée par tout le monde, elle s'est immolée. Un vraie mort, même si elle est «étrangère à notre culture et notre société». Tout le monde sait qu'elle s'est posé toutes les questions, sauf celle-là.

 Slimane Laouari

Pourquoi un autre débrayage ?


Le corps enseignant a été le premier à avoir bénéficié d’une augmentation de salaire pour toutes les catégories régissant ce secteur sensible et névralgique puisqu’il lui est confié l’éducation de nos enfants. Les augmentations étaient plus que méritées au vu des salaires de misère que touchaient les enseignants, de manière générale, ceux du primaire tout particulièrement.

Aujourd’hui, ils menacent d’une autre grève qui relève beaucoup plus de la surenchère alors qu’ils avaient affiché leur satisfaction quand toutes leurs revendications avaient été satisfaites, lors des dernières négociations. Leurs représentants, les syndicats autonomes, notamment le Cnapest, avaient même réussi à déboulonner la Centrale syndicale de la gestion unilatérale des œuvres sociales. Et c’est une victoire légitime, à condition que ces mêmes syndicats abandonnent de gérer tous seuls, à leur tour, la cagnotte de l’enseignant.

Il ne s’agit pas de voir ici une victoire d’un syndicat sur un autre, mais une victoire pour la transparence et une gouvernance partagée pour le bien-être général de tous les cotisants.

Cette énième menace de prise en otage des élèves a des limites que le bon sens doit cerner avec l’intérêt des écoliers et lycéens, au premier plan. Maintenant que la réponse du gouvernement est connue, où il accède à plusieurs demandes restées en attente comme les indemnités de qualification, de documentation et de soutien scolaire avec un effet rétroactif à partir de janvier 2008, il nous appartient, en tant que parents d’élèves d’abord, d’interpeller ces mêmes syndicats sur la qualité pédagogique du travail pour lequel les enseignants sont payés.

En clair, que les syndicats s’impliquent dans les programmes, le poids du cartable, le manque de cantines et l’absence du transport scolaire. Ces syndicats sont aussi censés, en tant que représentants de pédagogues, défendre à travers leurs revendications, encore une fois légitimes, les droits de l’élève à avoir un enseignement de qualité.

Ce sera ainsi qu’on sauvera l’école algérienne. Aussi, pourquoi une autre grève ?

Par : Abrous Outoudert

FERMETURE DES DÉBITS DE BOISSONS ALCOOLISÉES EN CASCADE : L'ivresse a-t-elle changé de camp?

Depuis quelques mois, une vague sans précédent de fermetures de débits de boissons et de bars-restaurants est engagée à travers plusieurs wilayas du pays.

Une véritable campagne de «chasse aux débits de boissons» est menée par des milieux islamistes ancrés au sein de l'administration des autorités locales. Rien que durant le mois de septembre, sur un total de 22 commerces fermés, 10 arrêtés de fermeture de débits de boissons alcoolisées ont été exécutés par les services de police de Tizi Ouzou.

Selon le bilan des activités de la sûreté de cette wilaya qui vient d'être publié, «six autres demandes de fermeture de débits de boissons alcoolisées ont été formalisées». Des décisions qui concernent toutes les catégories de débits de boissons alcoolisées: bars, vendeurs, restaurants servant de l'alcool. Les services de la police générale et de la réglementation ont effectué «85 contrôles de débits de boissons alcoolisées», précise le même communiqué.
 
«Les islamistes sont pris par l'ivresse avec ce genre d'agissement, c'est de la folie qui n'est pas sans rappeler la folie des moments forts du FIS», note un observateur bien au fait de la question, qui garde l'anonymat. Plus catégorique, il ajoutera que c'est là «une preuve que l'islamisme est encore intact». Pour lui, le cas de Tizi Ouzou où «plusieurs débits de boissons sont fermés durant le mois de septembre, non pas par les islamistes mais par la police

Celle-ci fait-elle donc cause commune avec les islamistes?» s'est-il interrogé. Pour un autre, toujours s'exprimant sous couvert de l'anonymat, «il est vrai qu'il s'agit-là d'un problème lié aux libertés individuelles et au fanatisme», avant de poursuivre que les cheikhs qui ont signé la pétition contre les débits de boissons veulent se faire passer pour «moralistes». Pour lui, «le problème qui se pose c'est avec l'Etat, garant de ces libertés. Il est illogique que l'Etat, qui touche des taxes sur la production, la vente de boissons alcoolisées, ferme les yeux face à ces agissements», a-t-il signifié. Le 4 octobre dernier, deux anciens prédicateurs de l'ex-FIS (Front islamique du salut, dissous en 1992) ont émis une fetwa contre les gérants des débits de boissons alcoolisées.

Il s'agit de Abdelfatah Zeraoui Hamadache et El Hachemi Sahnouni qui ont rendu public un communiqué commun dans lequel on peut lire: «Le nombre des crimes ne cesse d'augmenter, les bagarres sont de plus en plus nombreuses entre consommateurs d'alcools et habitants honnêtes des quartiers (...) En hausse, le nombre des personnes atteintes de diabète trouve son origine dans la prolifération des magasins de vente de vins et liqueurs.» Ils ne s'arrêtent pas là, ils vont encore plus loin.

Parlant des gérants des débits de boissons, ces deux anciens responsables de l'ex-FIS, qui se sont fait passer pour des muftis, considèrent qu' «ils ont corrompu notre jeunesse, détruit ses principes et ses valeurs islamiques». En d'autres termes, ils appellent les jeunes des quartiers populaires à se mobiliser pour exiger la fermeture des débits de boissons alcoolisées.

D'ailleurs, ils l'ont bien mentionné dans leur communiqué. «Nous soutenons et encourageons les comités de quartiers à initier davantage de pétitions et de plates-formes de revendications pour être adressées aux autorités concernées dans le but d'exiger la fermeture définitive des magasins de boissons alcoolisées, considérées comme illicites dans la religion de notre Prophète (Qsssl)», poursuivent-ils.

La bataille engagée contre ces lieux n'est pas près de s'arrêter d'autant plus que les fous de Dieu se basent sur des versets coraniques pour expliquer aux gens que ces lieux sont haram. Mais y a-t-il une autorité compétente dans ce pays pour rappeler à l'ordre ces revenants à l'ordre des idées moyenâgeuses? Que cachent ces manoeuvres au bout du compte? «Qu'ils laissent le peuple tranquille. Je bois, y a-t-il quelqu'un qui est habilité à me demander des comptes à part le Bon Dieu? Non, je ne pense pas, c'est une question personnelle et je ne veux que personne ne dicte aux Algériens ce qu'ils doivent faire et ce qu'ils ne doivent pas faire», lance ce citoyen déçu par ces comportements qui lui rappellent le début des années 1990 quand les islamistes bombaient le torse.

Ce dernier dénonce la campagne contre les accros de la boisson alcoolisée. Interpellé sur cette question, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a soutenu que les débits de boissons n'emploient pas beaucoup de personnes. «Combien de postes d'emploi peut-on créer dans un bar? Un, deux, mais il faut voir combien de cirrhoses (maladie du foie), de bagarres on peut trouver dans un bar», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse en marge de la réunion de la tripartite. Pour lui, «les produits alcoolisés qu'on y trouve sont de marques étrangères. Je ne vois pas de production locale à promouvoir».

RENCONTRE «JACQUES DERRIDA» PAR BENOÎT PEETERS : Le philosophe de la déconstruction

«Je ne prétends par que ceci serait la vérité de son oeuvre mais un éclairage», a expliqué samedi l'invité de l'Aarc.

L'Agence algérienne pour le rayonnement culturel, a repris samedi dernier le cycle des rencontres du Diwan Dar Abdellatif avec un rendez-vous exceptionnel autour de la vie et l'oeuvre du philosophe Jacques Derrida, né en 1930 à Alger (El Biar) et décédé en 2004 à Paris. Organisé en partenariat avec le Festival international de la Bande dessinée d'Alger, cette conférence a été donnée par le biographe de Derrida, Benoît Peeters, invité au Fidba en sa qualité de scénariste de bandes dessinées et notamment de la série des «Cités Obscures», conçue avec François Schuiten et traduite dans de nombreuses langues. Il a été présenté par Sofiane Hadjadj, codirecteur des éditions Barzakh et lecteur attentif de Jacques Derrida. Il a édité d'ailleurs «Derrida à Alger» (2008, paru simultanément à Actes Sud).

Benoît Peeters est, pour info, écrivain, critique, conseiller éditorial, éditeur et réalisateur de documentaires remarquables. Il est l'auteur de romans, essais et biographies sur Hergé, le père de «Tintin», le grand poète Paul Valéry, le réalisateur Alfred Hitchcock, etc. qui sont devenus des références incontournables.En 2007, il a entamé des recherches sur la vie et l'oeuvre de Jacques Derrida, publiant sa biographie en 2010 (Ed. Flammarion, Paris) et l'accompagnant d'un ouvrage intitulé: «Trois ans avec Derrida, les carnets d'une biographie». Sur le premier livre, il a notamment écrit: «Mon livre n'est ni un essai philosophique, ni une nouvelle introduction à l'oeuvre de Derrida déguisée en «Biographie Intellectuelle».

Il s'agit d'une véritable biographie, fondée bien entendu sur une lecture intégrale de l'oeuvre, mais aussi sur un considérable travail de recherche, dans plusieurs pays et de nombreux lieux, ainsi que sur des rencontres avec plus d'une centaine de témoins.» Un travail monumental et précis dont il rend compte dans le second ouvrage, réflexion profonde sur l'art de la biographie. Lors du Diwan Dar Abdellatif, Benoît Peeters parlera des deux ouvrages avec force détails et attachement à l'homme dont il dira qu'il a bouleversé sa vie en le changeant à tout jamais. Jacques Derrida se dévoile à nous comme un personnage complexe, sensibilisé tôt à la politique en raison d'abord de sa naissance juive algérienne et ses écrits judéo-politiques impliqués notamment dans les années 1990 à l'Algérie, le terrorisme, l'Afrique du Sud, la Palestine etc.

Benoît Peeters retracera la vie de ce philosophe de la «déconstruction», étape par étape, chapitre par chapitre, à commencer par son enfance à El Biar de parents espagnols donc pas lié par le système colonial, son adolescence algérienne jusqu'à 19 ans où il ne quittera jamais le pays partagé qu'il était entre son désir de devenir footballeur et la lecture, ses études en France marquées par la ségrégation contre les juifs suite à la Seconde Guerre mondiale, sa rencontre avec les plus grands philosophes français de cette époque, dont certains partageront sa chambre d'internat, ses moments de doute et de réflexion et ses prises de position dans le monde. Le conférencier expliquera que ses intentions étaient de commettre par cette biographie un travail complet, «quelque chose de totale» n'omettant pas la famille et les amis.

Tout en indiquant néanmoins: «Je ne prétends par que ceci serait la vérité de son oeuvre mais un éclairage.» Il apparaît clair selon le conférencier que Jacques Derrida se sentait souvent marginalisé, rejeté par l'administration universitaire, ne maîtrisant pas les codes sociaux, il deviendra par la force des choses une référence pour cette même institution à l'égard de laquelle Derrida en gardera de profondes reserves. «Ce dernier se sentait mal-aimé ou à peine toléré.

Dans la case des minorités. Son défi était non seulement de ne pas respecter les règles, mais d'en réinventer. Il avait une manière de revisiter les textes, les réveiller en les inquiétant.» Benoît Peeters parlera de la reconnaissance américaine à l'égard de Derrida mais aussi du rejet dont il faisait l'objet de la part de la philosophie analytique sans oublier son apport à l'architecture. Se situant entre la génération de Sartre et de BHL, Derrida n'aimait pas trop cette nouvelle vague de philosophes qui passent leur temps à la télé pour dire des «slogans», car lui voulait, selon M. Peeters, «laisser des traces dans la langue française» d'où son sens aigu pour la complexité de la pensée et ses intentions en marge.

Mais paradoxalement nous apprend-on «il y a quelque chose en lui qui ouvre, qui libère.. sa pensée peut intimider mais on peut y trouver des affinités..». Et de conclure: «Le travail d'un biographe n'est pas celui de faiseur de puzzle, il y aura toujours des cases vides. Quoi qu'il soit, il reste le mystère de l'individu, son intériorité qui nous échappe. Mais la pensée de Derrida était incontestablement marquée par le spirituel...»

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Quand les considérations idéologiques empêchent de poser les bonnes questions : Alcool en Algérie : le débat interdit

Depuis la fin du Ramadhan, le secteur de l’alcool est dans la tourmente. En quelques semaines, des dizaines de bars et de débits de boissons ont été contraints de fermer sous la pression du voisinage ou de l’administration, comme à Tizi Ouzou. La petite ville côtière de La Madrague, à l’ouest d’Alger, a connu des  violences autour de lieux de vente d’alcool clandestins. Deux prédicateurs islamistes, dont un des leaders de l’ex‑FIS, ont lancé un appel aux Algériens pour qu’ils exigent dans leurs quartiers la fermeture des bars et débits de boissons, qui ont « corrompu notre jeunesse, détruit ses principes et ses valeurs islamiques », selon eux.

Les observateurs voient derrière ces évènements l’illustration du conflit qui oppose les tenants d’un rigorisme religieux – pour qui l’alcool doit être interdit par principe car sa consommation et son commerce seraient contraire au dogme – et les défenseurs d’une liberté de choix et de comportement. Pour ces derniers, il est inacceptable que Sahnouni et consorts s’arrogent le droit de dicter une conduite aux Algériens. Ce conflit confirme qu’en Algérie, la question de l’alcool n’a pas encore dépassé les considérations idéologiques et religieuses.
 
Pourtant il s’agit d’un fait de société comme les autres. Les Algériens consomment de l’alcool, qui a généré un marché et un secteur économique. Et avec cette logique de clash idéologique, on oublie de se poser les vraies questions que soulève la consommation d’alcool dans le pays.
 
L’alcool n’est pas un produit comme les autres. Il peut entraîner une dépendance et provoquer des maladies graves. L’ivresse sur la voie publique peut conduire à des actes de violence, à des accidents. Or, l’alcool n’est jamais considéré en termes de sujet de santé publique. Comme la consommation d’alcool reste un tabou (elle est réservée aux bars sombres et demeure confinée à l’abri des regards) il n’existe par exemple aucune prise en charge institutionnelle des personnes dépendantes, à l’image de ce qui se fait dans les pays développés. Il n’existe pas, non plus, de campagne de sensibilisation aux dangers de l’alcool au volant comme on en voit tous les ans sur les chaînes de télévision françaises par exemple. Sur ce plan, la législation est exclusivement répressive avec de fortes peines de prison administrées aux automobilistes arrêtés en état d’ivresse.
 
On voit bien le dilemme des autorités. Soulever ces problèmes pourrait être interprété comme une trop grande tolérance à l’égard de l’alcool alors qu’une partie de la société reste hostile à sa consommation. Il est d’ailleurs significatif de voir que les autorités n’ont pas réagi aux déclarations des deux "prédicateurs". Même la réponse du premier ministre Ahmed Ouyahia, interpellé sur les conséquences pour l’emploi des fermetures des bars et débits de boissons, a été censurée par l’ENTV.
 
A la manière d’une image provocatrice qu’un certain type de spectateur algérien ne pourrait supporter. Comme si prononcer le mot alcool à la télévision nationale n’était pas envisageable. C’est la stratégie de l’autruche, la négation d’une réalité de la société algérienne, qui est peut‑être compréhensible de la part de religieux rigoristes mais irresponsable  de la part de l’État.