Il travaille deux à trois mois quand, à l'orée de l'hiver, la cueillette des olives sur sa généreuse mais capricieuse pleine de l'ouest le lui permet. Il est de Sig, une petite ville qui aurait pu être charmante avec sa verdure aérée et ses espaces reposants.
Mais à trente ans, une femme au foyer sans foyer et un enfant à l'avenir compromis, l'homme n'a pas le cœur aux blagues de Mascara, son chef-lieu de wilaya.
Il n'a pas le cœur à rire et pour cause : il a un rein à vendre et d'après les informations, il est déterminé à lui trouver un acheteur. L'homme travaille aussi quelquefois quand on fait appel à ses services. Il ne sait pas faire grand-chose de ses mains, mais la vigueur de ses bras peut toujours servir.
L'homme n'est pas fainéant et sa disponibilité à la tâche est connue de tous. Alors il se mêle régulièrement à ces troupes de désemparés qui se sont érigés des espaces de proposition de services où on vient les chercher pour une semaine ou deux de labeur rémunéré.
Comme ses frères de misère, il va au charbon quand la «chance» lui sourit. Pour la pelle et la pioche dans les maisons en chantier des nouveaux riches, pour la pioche seule sur les nouvelles propriétés agricoles et pour la pelle seule sur quelque sablière théoriquement interdite mais nouvellement remise en service.
Tout est nouveau, même sa détresse. Mais tout a une solution, l'homme ne veut pas se laisser aller à la résignation. Il a perdu son boulot mais il n'a pas perdu toutes ses illusions. Il va le vendre ce rein et il a appelé la presse locale pour que ça se sache. L'homme sait prendre ses responsabilités.
Il l'a fait une première fois en soulageant la maison parentale de son poids, de celui de sa femme au foyer sans foyer et de celui de son enfant à l'avenir compromis. Ils étaient une douzaine dans cette maisonnée sans prétention et il était l'aîné marié, c'est-à-dire le seul susceptible de laisser respirer les autres.
L'homme a loué une chambre dans une autre maison sans prétention, mais la vie y est finalement infernale. Le loyer, tout modeste qu'il est, est quand même problématique.
La cueillette des olives sur sa pleine généreuse et capricieuse, tout comme la pelle et la pioche sur les chantiers des nouveaux riches sont devenus dérisoires. L'enfant à l'avenir compromis commence quand même à marcher.
Il ne sait pas encore à quoi sert un rein, mais il ne doit pas tarder à savoir que d'autres enfants ont un autre lit que celui de leurs parents et peuvent même avoir des chambres à eux tout seul.
L'homme est un vrai looser : même l'acheteur de rein qu'il a trouvé s'est révélé d'un autre groupe sanguin que le sien et la «transaction» a capoté. L'homme ne vendra peut-être pas son rein mais il aura essayé. L'homme n'a toujours pas le cœur à rire. Pire, il a encore ses deux reins.
Slimane Laouari
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