jeudi 22 octobre 2009

La grande harba (XX)

Forts de leurs «mahchoucha», le chef des tangos et une mamie amie pénètrent sur le terrain pour tirer des penalties. Nous sommes menés au score (3 à 0). C’est la pause et le buveur de Jack Daniel’s nous proposa une autre stratégie. Il nous faut gagner si nous voulions avoir la vie sauve…

Au cours de cette pause historique, Mouh Dribble Tout, éjecté du siège de coach, fut tellement malheureux qu’il en pleura à chaudes larmes. Puis, retrouvant ses habitudes, il dribbla tous les joueurs, l’arbitre, deux chênes, les décombres de la moissonneuse-batteuse et même l’une des femmes du BPB qui se trouvait sur un vieux lit érigé en seconde tribune d’honneur.

La chose ne fut pas appréciée par le BPB qui tira deux coups en direction du gars. Il fut inhumé aussitôt avec cet épitaphe : «Il dribla tout, mais la mort finit par le dribbler !» D’emblée, nous attaquâmes. Je reçus une balle en or sur l’aile gauche, mais, au moment d’avancer, un chien berger de la taille d’un tigre me sauta dessus, m’empêchant d’aller plus loin. A l’aile droite, même scénario, un pit-bull colossal suivait au pas notre ailier et dès que ce dernier s’approchait du poteau de corner, le molosse le happait violemment.

Nous nous plaignîmes au referee qui arrêta la partie pour consulter le quatrième arbitre qui n’était que le… BPB lui-même. Ce dernier fit l’éloge de la FIFA et dit d’un air assuré : «Heureusement que nous avons la possibilité de consulter la vidéo, selon les derniers règlements.» Les salauds avaient tout prévu. Ils montrèrent une vieille cassette à l’arbitre en lui faisant croire que c’était une répétition des dernières images du match. On y voyait l’ailier droit en train de faire des signes à la seconde épouse du BPB, vautrée sur un autre lit avec sa marmaille.

Choqué, l’arbitre donna un carton rouge à notre joueur en nous traitant de menteurs : «Où sont les chiens ? Vous êtes des affabulateurs !» Le BPB demanda une sentence plus lourde et comme il était le quatrième arbitre, il la prononça en ces termes : «Nous allons t’attacher comme un chien aux poteaux de nos bois. Tu auras pour mission de mordre les joueurs de ton équipe quand ils s’approcheront de notre goal.» Je ne le connaissais pas très bien ce pauvre ailier droit mais je fus choqué de le voir à quatre pattes, un collier au cou, aboyant à faire réveiller des morts… Spectacle pitoyable qui fut commenté par le pied-noir en ces termes : «De toute ma carrière de plongeur à la buvette du Stade de Reims, je n’ai rien vu de pareil !» Sur ce, un événement de taille se produisit.

L’émir malheureux qui évoluait en attaquant avancé reçut une balle anodine qu’il tira sans conviction… et comme le keeper adverse était en train de jouer avec le chien… pardon, notre ailier droit, en lui tendant un os qu’il retirait aussitôt, provoquant la colère du gars qui aboyait de plus en plus fort, la balle n’eut aucune difficulté à rentrer dans les filets. Trois à un ! Nous jubilions ! Mais l’arbitre ne siffla pas le but ! Il inventa, encore et encore, de nouveaux règlements : «Une balle peut très bien franchir la ligne de but.

En fait, si l’on analyse l’angle de vision et l’ombre du poteau, projetée par le soleil à son zénith, et en considérant les particularités du solstice d’été, on peut considérer que c’est un but. Or, je n’avais pas d’angle de vision parce que j’étais en train de lire un SMS envoyé par la fédération égyptienne. Secundo, le soleil n’était pas à son zénith. Tercio, nous ne sommes pas au solstice d’été mais à celui du printemps ! Donc, pas de but. Et si vous voulez consulter la vidéo chez le quatrième arbitre, il n’y a pas de problème…» Impossible de marquer le moindre but avec un vendu pareil !

Impossible de gagner : il fallait tout de suite un plan d’urgence pour nous tailler avant la catastrophe qui avait pour nom Ali l’égorgeur… Personne ne prêta attention à Meriem El Aggouna qui avait quitté ses bois pour se rendre aux bois en compagnie du BPB, s’attirant les foudres des trois femmes du barbu qui s’agitaient drôlement sur leurs lits, provoquant des grincements métalliques d’enfer. Qu’est-ce qu’elle mijotait. Nous l’ignorions pour le moment. Mais, à son retour de la forêt, nous fûmes étonnés de voir le BPB demander une interruption de la partie et rassembler aussitôt ses joueurs pour leur servir un élixir dont il disait qu’il allait décupler leurs forces.

Le résultat fut tout à fait le contraire. Les onze footballeurs et les trente apprentis qui les soutenaient sur le terrain furent pris d’une terrible envie de dormir. Ils n’arrivaient plus à courir, ni à marcher. Ils titubaient et tombaient un à un. Ils ne réagirent même pas lorsque notre ailier droit les mordait. Le buveur de Jack Daniel’s s’en donna à cœur joie. Il marqua, à lui seul, quatre buts. Le dernier était un chef-d’œuvre. Il se présenta seul face aux bois mais au lieu de tirer le ballon, il se coucha par terre et l’envoya au fond des filets d’une petite tête qui souleva les applaudissements de nos supporters, revigorés par notre réveil ! Personnellement, je n’avais pas l’esprit fantasque du pied-noir.

Dès que j’avais un ballon, je marquais un but sans chercher à me compliquer la vie. Facile, puisque les bois étaient désertés. Même notre ailier droit, attaché au poteau, eut sa part du gâteau. Il récupérait toutes les balles perdues de son côté pour les transformer en jolis buts ! Nous en étions à 14-3 lorsque la deuxième femme du BPB quitta son lit et se présenta sur le terrain avec ses quatre gosses : «Je veux tirer des penalties, moi et mes enfants !
- Finie la comédie !» lui répondit Meriem El Aggouna en la giflant et en donnant des coups de pied là où ça fait mal aux garnements. Tout le monde se tourna vers le BPB. Qu’allait-il faire ? Rien, puisqu’il était inconscient.

Le buveur de Jack Daniel’s en profita pour en découdre avec l’arbitre au pyjama rayé. Il le fouetta avant de lui faire avaler les prétendus règlements de la FIFA qu’il consultait pour nous humilier. Puis, il l’attacha aux bois adverses et demanda à tous nos joueurs de lui balancer des balles puissantes sur le visage. C’était la fête. Les Chinois venus de Melbou, Cap Aokas et El Kseur pour nous encourager envahirent le terrain en chantant des hymnes à notre gloire. Mais Meriem El Aggouna mit fin aux cérémonies improvisées pour la circonstance, en nous appelant au calme et à la retenue : «C’était le moment de se tailler : ils vont se réveiller bientôt et je ne voudrai pas être là…» Nous quittâmes nos amis, après avoir versé du miel sur l’arbitre.

Les mouches et autres bestioles ne tardèrent pas à envahir le stade… Direction : Taihzou (ex-Tizi-Ouzou). Nous n’avions plus peur des barbus. Ils étaient cantonnés dans les hautes montagnes. Mais les gendarmes étaient toujours à nos trousses. Il fallait éviter les grandes routes et les agglomérations urbaines. Nous fîmes une halte dans un fastfood de Khahra Kuinming tenu par un ancien pirate des mers de Chine qui nous servit un succulent rôti de serpent à sornette avec sa sauce de brocolis à la mode de Fréha. Le pied-noir était ravi de retrouver la civilisation. Il demanda du vin et on lui servit un royal «Domaine de Kalbelouz, cuvée 1962» : «Ah ! c’était l’année où nous quittions ce paradis…

- Mange et tais-toi, buveur de vin ! » lui dit d’un air contrarié l’émir.
Le proprio alluma la radio sur la station d’«Azzefoun Voice of China». C’était l’heure des infos. Le présentateur évoqua les émeutes qui venaient d’éclater sur les hauteurs d’Alger-Peking, troubles dus à l’entassement des Chinois récemment arrivés dans des bâtiments datant de l’époque coloniale. La bidonvilisation de la capitale de l’ancienne Algérie a fait pousser, partout, des no man’s land de misère et d’exclusion qui contrastaient avec les palais achetés à coups de dizaines de milliards par les dames de la Nomenklatura, y compris, parfois, des villas classées patrimoine national ! Le Sardèle que j’étais s’en émut et quelques larmes coulèrent sur les joues de Meriem, Jack et l’émir. «Ces pauvres Chinois méritent qu’on les écoute. Tout ce que sait faire le gouvernement de Ouahibelkha, c’est d’envoyer les Casques bleus, comme le faisait celui de Belkhadouahi !» commenta Meriem. Nous décidâmes d’envoyer un message de soutien aux enfants des «Maisons du soleil», là où le soleil ne pénètre jamais…

«Encore un chahut de gamin ?

- Non, répondis-je. On ne refait jamais l’histoire…
- Au fait qu’est-ce que tu as servi au BPB et à sa troupe ? demanda le pied-noir à Meriem.
- Un somnifère dans une bouteille de Jack Daniel’s
- Quoi ? Tu en avais une ? Tu l’avais cet élixir, cette eau de vie enchantée, cette boisson divine, et tu l’as gaspillée comme ça ? Espèce de…»

A suivre

Par Maâmar FARAH

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