mardi 27 octobre 2009

Engrenage

Nous n’avons pas hérité de l’Union soviétique que le parti unique, le centralisme démocratique ou l’article 120 qui est le corollaire des deux premiers, nous avons hérité aussi, et pendant longtemps, la manière de faire des films et de regarder notre propre histoire avec les lunettes de l’idéal et le lorgnon de la censure. C’est ce qu’on appelle le réalisme socialiste: il rend les personnages monolithiques et la représentation manichéenne. Le héros (national) est toujours beau, grand, fort, empli d’humanité et le plus souvent, de condition modeste. Il est redresseur de torts, défend la veuve et l’orphelin et les valeurs nationales. En un mot, il est irréprochable. Celui qui déroge à ces qualités est souvent le traître dans l’histoire. Quant à l’ennemi, il est le plus souvent traité impitoyablement: il est diabolisé au maximum et sa seule apparition à l’écran ferait révulser tous les spectateurs.

Dieu merci, ce style de cinéma a fait long feu et dorénavant, tous les personnages qui peuplent les écrans sont en demi-teinte. Ce sont eux qui sont les plus réalistes. A mi-chemin entre le 17 Octobre, journée de commémoration de la répression barbare dont furent victimes les manifestants algériens à Paris et le 1er Novembre, date anniversaire du déclenchement de la lutte de Libération nationale, Arte a eu le bon goût de programmer un film qui illustre d’une manière originale, cette page d’histoire longtemps dédaignée par le cinéma français ou toute forme de littérature. C’est comme une page honteuse qu’on ne saurait voir. C’est évidemment, un cinéaste français d’origine grecque qui en a écrit le scénario.

L’auteur de Z (tourné en partie à Alger), d’Etat de siège et de Sections spéciales, renouvelle son engagement en situant l’action principale à Saint-Arnaud, petite ville coloniale de la région de Sétif, qui abrite une forte colonie européenne et une garnison conséquente. Ce n’est pourtant pas un récit linéaire puisque c’est le meurtre d’un colonel en retraite dans sa demeure métropolitaine (une espèce d’Aussaresses), qui déclenchera une enquête militaire laquelle découvrira, au fil des révélations d’un mystérieux «corbeau», les causes de la disparition d’un jeune engagé lors de la tragique page qui endeuilla les deux pays.
Ce film, loin d’être manichéen, a le mérite d’être un véritable condensé des drames qui se sont joués dans ce pays: un jeune engagé fourvoyé dans une guerre coloniale et qui croyait servir «l’oeuvre civilisatrice» de la France dans ses campagnes de pacification, aurait pu figurer dans Avoir vingt ans dans les Aurès quand il découvrira les atrocités commises au nom du «maintien de l’ordre» défini par un juridisme froid.

Des noms célèbres se mêlent aux noms de fiction: l’abandon par Guy Mollet et Mitterrand des pouvoirs spéciaux à l’armée, les instructions données pour des interrogatoires «énergiques», «poussés» aurait dit Bush...Les portraits cruels des machines de guerre revenues d’Indochine, les messes païennes en plein air, le portrait attachant d’un instituteur communiste qui ressemblerait à un Audin et qui n’en voudrait pas au FLN d’avoir perdu un bras dans un attentat. Une opération d’intoxication pareille à celle du capitaine Léger. Enfin, les scènes de tortures qui annoncent que la boucle est bouclée à Saint-Arnaud: ce fameux général s’était rendu célèbre par ses enfumades et ses émules ont docilement suivi son exemple.

Selim M’SILI

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