mardi 27 octobre 2009

Déglobalisation financière

L’euro prend des hauteurs vertigineuses avec une parité de 125 dinars sur le marché libre local. Ailleurs, à 1,50 dollar, l’euro fait le bonheur de l’Amérique – et complique la sortie de crise de sa terre natale, l’Europe. Les partenaires de l’Europe sont, eux aussi, concernés au sens où ils voient baisser le pouvoir d’achat de leurs exportations (libellées en dollar) au moment où leurs importations (exprimées en euro) suivent un courant à la hausse.

La hausse de l'euro semble durable : au moins jusqu'à la fin de l'année, et se poursuivra jusqu’à afficher une parité de l’ordre de 1,55 dollar, pronostiquent les experts. Les ministres des Finances de la zone euro, qui étaient en réunion à Bruxelles lundi dernier, sont préoccupés par la faiblesse du dollar et du yuan chinois — lié par un lien fixe au billet vert depuis l'été 2008. Le dollar se trouve ainsi dans un piètre état. Certains y voient même «le coup de grâce pour la monnaie qui symbolise, depuis plus de soixante ans, la domination incontestée des Etats-Unis sur l'économie mondiale».

On attribue l’état comateux actuel du dollar à nombre de facteurs dont les plus importants sont : - primo, la fin de son statut de «monnaie-refuge » ; - secundo, la flambée des déficits publics (multipliés par cinq en deux ans et évalués à 655 milliards de dollars l'an dernier) - tertio, l'effondrement des taux d'intérêts, quasiment nuls, qui prévalent actuellement aux Etats-Unis. Une situation qui pousse les investisseurs américains à reprendre leurs exportations de capitaux et donc à vendre des dollars, faisant chuter son cours. Dans la foulée, les spéculateurs s'endettent en dollars pour placer leur argent à l'étranger («carry trade»). La rémunération de l’euro à court terme rapporte davantage sur le Vieux Continent que de l’autre côté de l'Atlantique.

Certes, la différence, inférieure à 1 %, est à peine visible pour les vieux comptables, mais calculée sur de grosses sommes et sur une durée de plusieurs trimestres, elle correspond à beaucoup d'argent. Tout cela ne semble pas justifier la cote affichée par l’euro. Jean Claude Tricher, le président de la BCE, espère que «les autorités américaines poursuivent des politiques qui prennent en compte le fait qu'un dollar fort est dans l'intérêt des Etats-Unis», jugeant cette démarche «extrêmement importante ». Il a ajouté que l'euro n'avait «pas été créé pour être la principale monnaie de réserve mondiale ».

De là à ce que l'Europe doit se doter d'une politique de change active, afin que ses exportations ne soient pas pénalisées par un euro trop fort, il faudra encore attendre un peu. L’Europe a peur pour ses exportations, lourdement pénalisées, et donc susceptibles de freiner notablement sa reprise. Le commerce extérieur européen est repassé au rouge en août dernier après cinq excédents consécutifs. A cette date, les seize pays membres de l’Union ont enregistré un déficit commercial de 4 milliards d’euros. Pour sa part, l'Europe à 27, elle affichait à la même date un déficit plus lourd de 12,1 milliards d'euros.

Une partie de ce mauvais résultat est sans doute à mettre sur le compte du renchérissement de l’euro. A l’exception toutefois de l'Allemagne, spécialisée dans les machines-outils et les produits haut de gamme, dans lesquels elle trouve un avantage comparatif imbattable et qui la rendent donc moins dépendante du «facteur prix». Pour les autres, l’heure est à la panique générale. Même pour un colosse comme «Airbus pour qui le taux de 1,50 indique le seuil où l'on passe des profits aux pertes, du vert au rouge.»

Du côté de l’offre et de la demande de devises, les choses ne peuvent se stabiliser sur le long terme qu’à la condition que les détenteurs d'excédents en devises — Chine, Japon et pays du golfe Persique en particulier — relancent davantage leurs économies, rééquilibrant, au passage, les balances commerciales et les taux de changes. Sur ce terrain, les détenteurs de grosses réserves de dollars risquent de prendre peur et d’intervenir pour défendre le dollar en acquérant encore plus de billets verts (en deux mois, la Chine a accru ses réserves de change de 100 milliards de dollars).

Pour éviter le scénario catastrophe, les pays producteurs de pétrole songent à mettre au point un système de cotation de l'or noir qui ne serait plus fondé sur le dollar mais sur un panier de monnaies. Pour l’instant, on n’en est pas là et les Chinois profitent d'un lien fixe favorable de leur monnaie avec le dollar, alors que les pays pétroliers gagnent d'un côté (hausse des cours du pétrole, à 75 dollars le baril) ce qu'ils perdent de l'autre (renchérissement de leurs importations). Quant aux avoirs de ces pays, généralement placés pour l’essentiel aux Etats-Unis, ils ont, depuis le creux de la crise en mars dernier, largement gagné sur le terrain boursier ce qu'ils ont perdu du fait du dollar.

Dans l’ensemble, les Américains envisagent plutôt favorablement le processus de «déglobalisation financière» qui accompagne la fin du roi dollar : «Un processus de déglobalisation financière a déjà commencé et se traduira par moins de financements étrangers pour le budget des Etats- Unis et moins de déficits de la balance des paiements. Dans un avenir prévisible, le gouvernement américain va accroître sa dette publique. Ensemble, ces tendances de l'offre et la demande sont une recette idoine pour un dollar nettement plus faible»(*).

Ceux qui attendent une politique volontariste des Etats-Unis risquent de déchanter longuement : «La crise financière a remis en question la crédibilité des gouvernements occidentaux et précipité un déplacement du pouvoir vers l’est (…). Dans ce contexte, les Etats-Unis sont sollicités pour des politiques nouvelles leur évitant d'importants déficits extérieurs, à défaut d’un équilibre du budget, et les invitant à s'adapter à un système monétaire moins centré sur le dollar.

Ceci n'est pas seulement un impératif économique, mais une exigence de politique extérieure et de sécurité nationale», écrit Fred Bergsten, directeur du célèbre Peterson Institute for International Economics(**). Pour lui, «les énormes apports de capitaux étrangers aux Etats-Unis ont facilité le surendettement et la sous-tarification du risque». Dans ces conditions, la correction du dollar est alors utile parce qu’elle réduit le risque de déflation aux Etats-Unis et facilite la correction des déséquilibres. Un avis que rejoint Paul Krugman, le prix Nobel d’économie 2008 : «Considérons d'abord le tumulte actuel sur la baisse de la valeur internationale du dollar. La vérité est que la baisse du dollar est une bonne nouvelle. Un dollar plus faible est bon pour les exportateurs américains, nous aidant à faire la transition des énormes déficits commerciaux vers une position internationale plus confortable. »(*)

Par Ammar Belhimer

(*) Barry Eichengreen, The Dollar Dilemma, Foreign Affairs, september/ october 2009.
(**) C. Fred Bergsten, The Dollar and the Deficits, Foreign Affairs, october 15, 2009.
(***) Paul Krugman, Misguided Monetary Mentalities, The New York Times, 11 octobre 2009.

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