dimanche 25 octobre 2009

Le symptôme Diar Echams

C’est à La Cité du soleil, l’œuvre de Mouloud Mammeri, que m’ont fait penser les émeutes de Diar Echams, les maisons du soleil. A la réflexion, rien à voir. D’accord ! Encore que !... La façon dont est – mal – gérée Persépolis, l’Etat emblématique dans l’œuvre, montre bien que Mammeri tenait à ce qu’on reconnaisse, derrière la parabole, un pays réel ayant à voir avec l’Algérie. Plutôt beaucoup. Mais pas seulement !

Qui aurait à voir, en fait, avec tous ces régimes folkloriques qui font tout le contraire de ce qu’exige la bonne et équitable gouvernance. Autoritarisme militarisé. Mépris presque colonial des plus vulnérables, traités comme jadis étaient considérés les «indigènes ». Etc. Diar Echams. Des émeutes ont mis, ces derniers jours, ce réservoir de colère contre l’injustice sous les feux des projecteurs. Une explosion à la mèche courte. Brève. Arrêtée à temps. Heureusement car Alger se serait embrasée si Zerhouni n’avait pas fait des promesses de relogement que l’Etat a intérêt à tenir, et largement les moyens de faire.

Encore des émeutes ? Hélas, elles sont devenues le seul moyen d’expression autorisé, accessible, et même le seul efficace ! Mais ce ne sont pas n’importe quelles émeutes. Si tant est qu’il y ait une hiérarchie dans ces histoires-là ! Celles-ci se passent à Alger. Au cœur du cœur. A un vol de caillou de la présidence de la République. Dans un quartier qui, un moment, avec Riadh El Feth et tout le tralala moderniste qu’il était censé représenter, était propulsé sous la loupe des plus désespérés. Pour tout cela, ça fait désordre. Ça floute le panorama. A l’aube des années 1980, pour construire ce machin qui se dresse comme un doigt levé vers on ne sait quel scepticisme, on a dû raser un bidonville, chancre au cœur d’Alger, sans se soucier de reloger ses occupants.

Colère déjà en ces années où le libéralisme lâchant bride commençait à laisser sur la paille des millions de gens, parmi les plus déshérités, les plus vulnérables. Ceux-là qui, pour se faire entendre, n’ont que la rue à occuper et leurs poitrines à opposer aux bombes lacrymogènes et parfois aux balles réelles. Près de trente ans et vingt et un ans après les événements d’octobre 1988 qui ont touché ces quartiers sacrifiés, ça pète de nouveau. Comme jadis, c’est le ras-le-bol. La coupe est pleine. Plus pleine encore qu’il y a trente ans car bien des désillusions sont passées. Les 40 000 habitants de Diar Echams sont abonnés à la misère. Comme à une fatalité. Ça se voit à l'œil nu.

Pour cela, il suffit de poser un regard sur ces bâtiments déglingués, ravalés, rallongés à qui mieux mieux, menaçant ruines, dont pas le moindre centimètre n’est gaspillé. On vit même dans les couloirs des immeubles. Rien ne semble pouvoir changer le cours du destin. Ces habitants – et des millions d’autres à travers l’Algérie – sont un peu comme les intouchables, voués à être maintenus dans la misère, transmissible de père en fils comme, de l’autre côté, est transmissible la fortune, la puissance et la gloire du trabendo et de l’illégitimité. Favela ? Pis encore… Immeubles lépreux. Promiscuité.

Taux de chômage explosif. Désespérance. De quoi te fabriquer les harraga les plus déterminés ! De ceux qui n’ont plus rien à perdre ! Ceux parmi les habitants de Diar Echems qui, dans leur jeunesse, ont combattu pour l’indépendance du pays ne doivent pas en croire leurs yeux. Ils sont au moins aussi mal logés et aussi mal traités que du temps de la colonisation. Sauf que, maintenant, ils sont censés être dans un pays indépendant. HLM ? «Habitants des logements misérables», ironise quelqu’un devant un journaliste. 27 m2 : superficie de l’appartement le plus spacieux. 11 ou 12 personnes au moins s’y bousculent. Ça fait dans le 2,5 m2 par personne. Les prisonniers ont droit à 4 m2 chacun.

Les otages de la misère de Diar Echams en ont deux fois moins que les taulards. Ne parlons pas des normes de l’OMS qui recommandent au moins 12 m2 par personne comme seuil de décence. Les normes de confort, ceux qui tiennent le gouvernail les appliquent certes. Mais pour eux-mêmes et leur clientèle. L’immense majorité ? Faut s’écraser ! Dans tous les sens du terme. Non seulement, accepter sa condition de piétiné mais n’avoir aucune possibilité d’exprimer son mécontentement.

Quand on réduit les plus défavorisés à une masse informe de mahgourine et que, de surcroît, on ferme tout champ d’expression politique afin que les intérêts des uns et des autres s’affrontent par le débat, c’est comme si l’on verrouillait décisivement la cocotte-minute. Il ne lui reste plus qu’une sortie : l’explosion. Elle a déflagré à Diar Echems. Mais il reste des milliers de Diar Echams à Alger et à travers toute l’Algérie. La politique de répression et de diabolisation menée par le pouvoir conduit à l’affrontement, le rapport des forces, l’usage de la violence. Ça s’est vérifié à Diar Echams. Dès que les émeutes ont éclaté, un responsable les a imputées à des «voyous». Façon classique de délégitimer une revendication. Mais aussi une insulte ajoutée à de la souffrance. Diar Echams n’est qu'un symptôme. La douleur qu’il annonce pourrait être redoutable.

Par Arezki Metref

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