jeudi 13 octobre 2011

Vous manquez de tenue, Archibald!

«La meilleure façon de servir la République est de donner force et tenue au langage.» Francis Ponge

C'est la destinée de la langue française que de recevoir dans ses plus intimes et plus huppés cercles, les mots qui sont nés dans les bas-fonds, des vocables qui ont fait le trottoir et les caniveaux avant de se prélasser dans les salons luxueux où l'air climatisé commençait à donner des relents de paradichlorobenzène. C'est en quelque sorte une bouffée d'air frais dans l'air vicié et rance des milieux où règnent le rince-doigts et le baisemain. Et les septuagénaires sourcilleux qui surveillent l'espace Schengen des mots n'y peuvent rien: c'est l'usage qui fait les mots et non les cartes de résidence gracieusement offertes par l'Aca-cadémie pour bonne conduite et agréées par le Larousse. Grisbi, schnouf, pépées ou rififi sont les exemples les plus courants.

Ainsi, le mot rififi, qui signifie «bagarre» chez les mauvais garçons est passé de la littérature de gare (Auguste Lebreton) au cinéma d'auteur (Jules Dassin) avant de faire les unes des canards déchaînés ou les titres des faits divers. La Toile vient d'être traversée par une violente bourrasque due à un incident violent survenu entre deux ministres lors d'un routinier conseil des ministres. Tout le monde sait que le monde politique est loin d'être ce sanctuaire pacifique noyé dans un monde de brutes, mais tout de même, il ne faut pas exagérer: le député comme le ministre doivent donner l'exemple de bonne conduite, de civilité et d'urbanité.

Un ministre ou un député ne doivent se conduire ni comme des charretiers ni comme des hussards: les citoyens les regardent et les jugent, non seulement sur les résultats de leurs exercices respectifs, de leur bilan ou de leur curriculum vitae mais aussi sur leur conduite personnelle, dans leur vie privée comme dans leurs rapports avec leurs collaborateurs. Nul n'ignore que le pouvoir, quand il s'exerce, est le résultat d'un rapport de forces, mais de là à rouler des mécaniques ou à gonfler ses biceps... Il fut un temps où les chefs de tribu étaient désignés parmi les meilleurs guerriers, ceux qui alliaient courage, force et adresse.

Mais à présent, ces temps sont révolus: les grandes écoles et les universités ont remplacé les champs de bataille... Mais pour que des ministres en arrivent à des écarts de langage ou que des députés en viennent aux mains, il faudrait bien que le jeu en vaille la chandelle: de gros intérêts devant être en jeu et les exposés d'école n'ayant plus force d'arguments, les antagonistes se croient obligés de donner de la voix et de donner libre cours à une agressivité verbale avant de joindre le geste à la parole. C'est alors que les masques tombent et que le vernis craque: le premier qui a perdu son sang-froid révèle sa personnalité. Il se met au même niveau que ces vendeurs de l'informel qui s'étripent pour une portion de trottoir...


Mais ce sont surtout les parlements étrangers où les débats sont continuellement filmés qui nous donnent des exemples de cette violence en col blanc: Japon, Turquie, Ukraine, Nigeria, Corée et même dans la pacifique assemblée du Parlement européen de Strasbourg où une bagarre a éclaté à la cantine entre Jose Happart, député socialiste belge, et Jean-Marie Le Pen, aidé de Bernard Antony. Les images de cette bagarre tournées par A2 ont été saisies et détruites par le Parlement. Le Pen n'on est pas à sa première rixe puisqu'il avait déjà perdu un oeil à la suite d'une échauffourée électorale. Heureusement que chez nous, cette violence est très rare.

Cependant, son expression, même anecdotique, trahit une évolution dans les moeurs politiques: déjà, durant le fameux congrès inachevé de Tripoli, un triste personnage politique, connu pour «sa grande gueule», avait insulté ses camarades de combat avec des mots que la morale m'interdit de reproduire ici. Mauvais garçon, il sera, lui aussi, victime de ses comparses. Il ne peut y avoir de politique saine sans morale.

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