jeudi 13 octobre 2011

Tunisie, construire une démocratie qui n’a jamais existé

En Tunisie comme en Egypte, les forces de la contre-révolution sont à l’œuvre. Toutefois, à Tunis plus qu’au Caire, des groupes salafistes cherchent à faire dérailler le processus de changement. Deux faits, plutôt deux actes, s’étant produit à 48 heures d’intervalle, montrent si besoin est que la perspective démocratique dérange plus qu’on ne le croit. Le premier s’est produit samedi à la faculté de Sousse.

Plus de 200 islamistes salafistes appartenant à la branche tunisienne du Hizb Tahrir ont occupé l’enceinte universitaire suite à l’interdiction d’entrée d’une jeune femme portant le niqab qui avait refusé de montrer son visage aux agents de sécurité. Le second, beaucoup plus grave, a eu lieu lundi matin. Entre 200 et 300 manifestants, scandant des slogans islamistes, proférant des menaces de mort contre les journalistes, ont tenté d’incendier le siège de Nessma TV en raison de la diffusion du film Persopolis de l’Iranienne Marjane Satrapi, diffusion suivie par un débat sur l’islamisme radical. De fait, c’est plutôt le ton libre de cette télévision, unique dans le paysage télévisuel maghrébin, qui ne plaît pas aux tenants de la pensée unique. Contrairement à l’Algérie où Octobre 1988 aura été finalement une révolution inachevée, en Tunisie, la chute de Ben Ali a jeté les bases d’un changement radical de système.

Le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) a été dissous sous la pression populaire. Les institutions, dont le Parlement, héritées de l’ancien système, ont tout simplement disparu. En Tunisie, comme l’a souligné Sophie Bessis, on est en train de construire «une démocratie qui n’a jamais existé». La tâche est immense. La Haute instance de réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, présidée par le professeur de droit public et de philosophie du droit, Yadh Ben Achour, a déjà accompli un énorme travail. Cependant, ce dernier, auteur de plusieurs livres, écrits en arabe, dont Aux fondements de l’orthodoxie sunnite, traduits ensuite en français, a publié récemment en arabe et en français «La Deuxième Fatiha. L’islam et la pensée des droits de l’homme» (ed.PUF) reste réaliste.

Que dit cet intellectuel arabisant, partisan de la séparation du religieux et du politique, dans un entretien au quotidien français l’Humanité ? «La véritable question est : est-ce que l’Assemblée constituante ne risque pas de vider de son sens la révolution elle-même ?» «On craint, ajoute-t-il, que l’inspiration religieuse (allusion à Nahda et ses alliés) ne vide de son sens tous les grands acquis de la Tunisie et notamment l’égalité entre l’homme et la femme» ! Ces propos sont illustratifs d’une réalité : rien n’est encore joué dans ce pays. Le risque d’une confiscation de la révolution par des forces politiques, qui, à l’image de Nahdha, ont pris le train en marche – ce n’est qu’après la chute de Ben Ali que ce parti s’est engagé dans la lutte – est réel.

Ce parti qui a les moyens financiers de sa politique — il s’est offert un siège ultramoderne (une tour en verre) dans le quartier du Belvédère de Tunis grâce, dit-on, à l’argent des pays du Golfe – s’appuyant sur une kyrielle d’ONG caritatives, avec à la clé des soins gratuits, des crédits gratuits aux pauvres pour acquérir des logements, des fournitures scolaires également gratuites à des dizaines de milliers d’enfants et autres dons en nature envers les milieux défavorisés, est de fait en train d’acheter les voix des milieux populaires tunisiens.

Le débat fait rage. Deux projets s’opposent. L’un de tendance libérale et laïque et l’autre d’inspiration religieuse. Les Tunisiens n’ayant pas un problème de langue, la confrontation se fait exclusivement en arabe car, contrairement à l’Algérie, les islamistes n’ont pas le monopole de cette langue. C’est ce qui fait la spécificité de ce pays et sa force. Une chose est sûre : quel que soit le vainqueur du scrutin, les Tunisiens ne se sont pas débarrassés d’un parti autoritaire, le RCD, pour le remplacer par un autre, fût-il d’inspiration religieuse.

Par Hassane Zerrouky

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