jeudi 13 octobre 2011

EGYPTE, TUNISIE, LIBYE, MAROC, ALGÉRIE... Les islamistes à l'assaut du pouvoir

Dans ces cinq pays d'Afrique du Nord, la mouvance islamiste se tient en embuscade en vue des prochaines élections législatives, sa branche radicale se manifeste sporadiquement d'une manière extrêmement violente.
Le vent des révolutions qui a soufflé sur les pays du Maghreb et celui du pays des pharaons a ouvert une brêche dans laquelle se sont empressés de s'engouffrer les tenants de la tendance rigoriste de la religion musulmane. Elle annonce la couleur et se manifeste avec des spécificités propres à chacun de ces Etats mais l'objectif final est le même pour tous: la prise du pouvoir pour imposer la charia (l'application stricte de la loi coranique).

Certains partis légaux déjà bien ancrés dans le paysage politique jurent pourtant, par tous leurs saints, qu'ils ne transgresseront pas les Constitutions qui régissent les lois de leurs pays respectifs mais les événements récents qui secouent cette région du monde laissent plus que planer le doute sur la bonne foi affichée par les leaders de ces formations politiques. En Libye où il est pratiquement acquis qu'ils partageront le pouvoir avec le CNT (Conseil national de transition) ils ne cachent pas que la future Constitution doit reposer sur l'application de la charia.
«Nous sommes contre l'idée d'émirat islamique et pour un Etat civil où la législation serait inspirée de la charia qui fait l'unanimité chez les Libyens», a déclaré cheikh Ali Sallabi, un des leaders islamistes parmi les plus influents, qui a financé et armé en partie l'insurrection libyenne.
Ce type de discours est -t-il rassurant? Ce n'est pas l'avis des Américains qui ont joué un rôle de premier plan dans la chute du régime incarné par l'ex-guide libyen Mouamar el Gueddafi.
«L'un de leurs objectifs est de tenter d'établir une sorte d'empreinte ou de réseau interne, afin de jouer sur le long terme. Pour le moment, ils se tiennent probablement à carreau mais à long terme c'est inquiétant...» a affirmé un responsable américain de la Défense qui s'est exprimé sous le sceau de l'anonymat.

Le cas tunisien

En Tunisie, où pourtant les islamistes ne semblent pas avoir joué de rôle majeur dans le soulèvement populaire qui a mis fin au règne de près d'un quart de siècle du président Zine el Abidine Ben Ali, ils tentent de faire profil bas en attendant le moment opportun. «Notre rôle sera de participer à la réalisation des objectifs de cette révolution pacifique: ancrer un système démocratique, la justice sociale et limiter les discriminations contre les organisations interdites», a déclaré à la veille de son retour en Tunisie (le 30 janvier 2011, Ndlr), Rached Ghannouchi dont la formation politique, Ennahda, constituait la principale force d'opposition voilà deux décennies. Lors de la présentation de son programme, le 14 septembre, le leader islamiste, dont le parti est donné favori des sondages avec près de 25% des intentions de vote, a tenté de rassurer en indiquant la place que son parti compte accorder à la femme.

«Nous affirmons le droit de la femme à participer à toutes les activités de la société», a-t-il affirmé sans plus de précisions tout en soulignant qu'il s'engagerait à réduire le nombre de divorces.

Une mesure qui est directement liée à la condition de la femme tunisienne qui dispose d'un statut juridique unique dans le Monde arabe. Faut-il y voir une restriction de ses libertés? La suite des événements ne plaide pas en tous les cas en faveur de ces engagements verbaux. Une crainte confirmée par les troubles provoqués par des Salafistes qui ont envahi le 15 septembre la basilique romaine du Kef (nord-ouest du pays, Ndlr) pour la transformer en mosquée.

Dimanche dernier, ils se sont attaqués à une chaîne de télévision privée alors que la veille des intégristes armés ont envahi l'Université de Sousse qui a refusé d'incrire une étudiante en voile intégral (Niqab). A la fin du mois de juillet c'est un cinéma de Tunis qui a diffusé un film sur la laïcité qui a été ciblé. «Le climat n'est pas bon. Il y a certains partis ou courants qui font tout pour que la situation explose avant l'élection» a indiqué, inquiet, l'analyste Salah Attya.

Le chaudron égyptien

En Egypte la transition politique s'annonce sous la forme de violences confessionnelles qui constituent les germes d'une guerre civile larvée qui risque de remettre en question un processus démocratique qui s'annonce délicat dans sa mise en oeuvre.

Des affrontements entre Coptes (chrétiens d'Egypte) et forces de l'ordre ont fait 25 morts et 329 blessés le 9 octobre au Caire. Des appels au calme ont été lançés pour éviter le pire. Ahmed al-Tayyeb, grand imam d'al-Azhar a invité musulmans et chrétiens à dialoguer «afin de tenter de contenir la crise.». L'ex-chef des services égyptiens dénonce de son côté des lois religieuses discriminatoires. «Les dirigeants doivent prendre des mesures sérieuses pour traiter les problèmes à la racine, autrement cette situation peut mener à la guerre civile», a estimé Fouad Allam.

Les Frères musulmans, connus pour leur rigorisme, ont formé quatre principaux partis et s'apprêtent à affronter, en force, des élections législatives qui doivent se tenir, en principe avant la fin de l'année 2011. La victoire leur est en principe acquise avec un pas vers l'inconnu. «Rompus aux campagnes de terrain, qu'aucun réseau social ne peut remplacer, soutenus par un réseau très ramifié de banques et d'institutions caritatives, ils ne laisseraient à court terme que peu de chances aux candidats laïques (gauche, libéraux, nationalistes arabes).» a fait remarquer Pierre-Jean Luizard, chercheur au Cnrs (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités) dans une interview accordée au quotidien Ouest France.

Transition pacifique en Algérie et au Maroc

Le Royaume chérifien, qui s'est doté d'une nouvelle Constitution qui limite partiellement les pouvoirs du roi, doit organiser des élections législatives prévues le 25 novembre. Pour contrer les islamistes, qui ont le vent en poupe, une coalition de huit partis a vu le jour.

A défaut de sondages fiables, les commentaires vont bon train sur les chances du PJD qui détient 46 sièges sur les 325 de la Chambre des représentants soit, 14,5%. Ce parti (islamiste) doit améliorer nettement ce score si le caractère de ce scrutin annoncé démocratique venait à se confirmer. Ses militants comptent ratisser large auprès des jeunes et des diplômés touchés de plein fouet par le chômage. Le PJD est donné vainqueur de ce rendez-vous électoral alors que la menace d'Al Qaîda se précise à travers le royaume. Une cellule terroriste de la nébuleuse islamiste a été récemment démantelée à Casablanca et Salé. Les élections législatives et locales qui se dérouleront en Algérie, en principe au mois de mai 2012, se tiendront sur fond de réformes engagées pour plus de démocratie et moins de restrictions des libertés. Elles porteront cependant l'empreinte des revendications sociales (logements...) et salariales. Des thèmes de campagne électorale qui feront sans doute la différence au moment de la mise du bulletin de vote dans l'urne.

Un scrutin qui devrait être marqué toutefois par une abstention record eu égard à une fracture sociale qui ne cesse de s'accroitre et des promesses non tenues par les élus vis-à-vis de leurs administrés. Une aubaine pour la mouvance islamiste légale qui tentera d'exploiter la grogne sociale qui en a découlé. Représentée par le MSP (Mouvement pour la société et pour la paix), elle ne possède cependant qu'une très faible marge de manoeuvre. Noyautée au sein d'une alliance présidentielle de circonstance et de l'éxécutif, elle traîne une réputation de formation politique compromise et opportuniste. C'est sans doute ce qui a donné plus de hardiesse à la tendance radicale (l'ex-FIS dissous) pour montrer le bout de son nez par le biais de la moralisation de la vie publique (fermeture de bars et de débits de boissons alcoolisés, chasse aux prostituées et aux non jeuneurs...)...

Ce sont là certainement les thèmes sur lesquels tenteront de surfer les intégristes des pays du Maghreb (et d'ailleurs) pour revenir au premier plan. Les élections législatives et locales qui se tiendront au plus tard dans huit mois dans cette région constitueront le meilleur baromètre pour évaluer leur percée.

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