jeudi 29 octobre 2009

Pouvoir de la justice et justice du pouvoir

C’est frappant comme les discours d’inauguration de l’année judiciaire se ressemblent. Le Président y évoque invariablement le caractère prioritaire de la réforme de la justice, la promesse de la modernisation des moyens judiciaires et la promesse de sévir contre la corruption.

Il n’est pas exclu que ce soit l’allocution la plus pénible à préparer. S’il y a un domaine où la bureaucratie se renforce plutôt qu’elle ne recule, c’est bien la justice. Cette année, en imposant la traduction intégrale de tout dossier judiciaire, opération dissuasive pour certains revenus, elle a simplement privé de justice certaines catégories de citoyens pour certaines affaires nécessitant de lourdes traductions.

De 2006 à 2008, la corruption est, d’après les chiffres de la direction des affaires pénales, en hausse. Quelques améliorations dans la politique carcérale, qui se traduisent par des résultats probants dans la formation scolaire et professionnelle de jeunes détenus, méritent d’être cependant enregistrées. Le discours solennel, à force de se répéter sans qu’il ne change rien à son objet, prend à la longue des allures d’impuissante incantation.

C’est le sentiment qu’inspire une annonce comme celle-ci : “La justice et les lois de la République seront appliquées à toute personne rendue coupable de faits de corruption.” Au moment où l’actualité judiciaire et la chronique sociale font part d’une multiplication des faits de malversations, la promesse ainsi formulée par un Président qui entame sa onzième année a quelque chose de vain.

La réforme de la justice est en cours depuis une décennie, sans qu’il ne soit possible d’en saisir ni le contenu ni le rythme. Tend-elle à une mise en œuvre libre des recommandations de la commission Issad ? Déjà qu’on ignore même dans quelle mesure ces recommandations ont été, toutes ou en partie, retenues !

Une réforme conçue à des fins d’indépendance, d’efficacité et de moralité judiciaire ne devrait-elle pas plutôt correspondre à un projet global traductible en programme de travail législatif ? Au lieu de cela, nous assistons à une réforme aux nobles mais génériques objectifs, sans contenu et sans planning annoncé. Celle-ci s’avère alors n’être qu’un processus d’adaptation politique du fonctionnement de la justice et de la production législative. Un jour, on suspend en partie la loi sur l’eau, parce qu’il faut continuer à exploiter le sable des oueds, l’autre, il faut improviser une loi sur la cybercriminalité parce qu’on veut créer une police des internautes.

Quand le Président évoque, dans son allocution, “ces maux qui freinent le progrès (de la société) et son développement tels l'égoïsme, le népotisme, la corruption, le pillage, l'agression et le viol”, certains d’entre eux ont un fondement politique. Le népotisme, la corruption et le pillage, par exemple, ne prolifèrent que dans des conditions politiques qui organisent l’action sélective de l’appareil judiciaire.

Tant que le pouvoir ne renoncera pas à disposer de la justice, et d’autres institutions, pour asseoir son empire et assurer sa pérennité, l’État de droit ne sera qu’une aspiration contrariée. Et comme, en la matière, l’état de la justice est l’état d’une nation, tout reste donc à faire.

Par : Mustapha Hammouche

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