Ce n’est déjà plus un chagrin collectif partagé dans une muette résignation mais de l’indignation civique qui a simplement choisi ses propres armes pour s’exprimer. Lorsque tous les recours sont épuisés, et qu’il devient insupportable d’attendre plus longtemps, la violence devient presque légitime.
Chargés jusqu’à la gueule par les mensonges de l’administration les gens de Diar Echems avaient-ils un autre choix que l’émeute ? Un coup de grisou aux portes de la «maison du pouvoir» qui fait écho aux explosions cycliques de la province et en amplifie le sens. Un témoignage, de «vive voix» dirons-nous, de l’insoutenable sentiment de rabaissement moral qui ronge cette multitude d’Algériens au-dessus de tout soupçon.
Désenchantés mais en colère d’avoir eu à subir dans l’impunité voire la complicité la magouille et l’iniquité pour accéder à un toit. Ah ! ce spectacle des couches sociales modestes en permanence exclues des bénéfices d’une douteuse politique sociale à géométrie variable. Mais regardez ces gens qui quémandent aux portes des mairies et décryptent désespérément les listes des attributions ! Regardez- les comment ils ont cessé de grandir dans leur propre estime en concédant le peu qui leur reste de dignité juste pour plaider leur cause auprès de quelques «chefaillons» de l’administration ! Signe des temps de grand malheur, ils viennent tous des strates paisibles et laborieuses de la société.
Ouvriers, petits fonctionnaires sans relations influentes et trentenaires à peine intégrés au monde du travail, ils partagent en commun le «mauvais» profil auprès des réseaux de trafiquants du logement social. Anecdotiquement chaque province du pays possède sa mafia en col blanc qui filtre à son profit les listings ponctuels des heureux bénéficiaires d’un «chez soi». Une activité parallèle rémunératrice aussi bien pour certains élus locaux que pour quelques fonctionnaires d’autorité et sans scrupules.
Un sport national qui se pratique dans les bureaux feutrés des mairies et des daïras mais dont sont justement exclus ceux qui ont eu le plus besoin. Sommées d’attendre indéfiniment le prochain quota, les catégories sociales en question patienteront vainement. Et pour cause entre les « recommandations » secrètes qui caractérisent le népotisme et les traficotages de toutes sortes conclus par des pots-de-vin, il n’y a pas de place pour les solliciteurs ne sachant du «droit» que la voie légale. De cela et de bien d’autres dérèglements de la justice et de l’équité, le pouvoir politique en connaît parfaitement les mécanismes.
Le laxisme dans lequel il se complait s’apparente par conséquent de plus en plus à de la fuite en avant. Celle qui accélère, après chaque soulèvement spontané des populations, la rupture de la confiance en l’Etat. Un délitement qui prépare son effondrement. Les brasiers qui s’allument et se multiplient à la faveur du moindre déni de justice ne sont-ils pas autant de démentis à ses explications réductrices ?
La montée en puissance de la colère et la radicalisation des contestations, qu’elles soient corporatistes (enseignants) ou tribales (le M’zab), sont des indicateurs fiables pour attester du recul de l’Etat et du retour au premier plan de la société civile. A cran elle est de nos jours acculée à faire le pire des constats : celui de l’insondable échec des politiques successives du régime. En voulant chaque fois expliquer les fièvres sociales par des causes secondaires, le pouvoir dédramatise comme il peut. Sacrifiant ici un maire, là un chef de daïra ou même un wali, il abuse des fusibles quand c’est le compteur de la gouvernance qui est une cause.
Or la panne est désormais tellement évidente qu’il a peu de marge pour «retourner» l’opinion à son profit. Une désobéissance civique comme celle qui vient d’exploser au cœur de la capitale est une signature qui doit le mettre en garde. Qu’un wali tatillon et un maire imprévoyant fussent à l’origine du désastre de Diar Echems ne doit pas occulter le feu roulant de la contestation embrasant l’ensemble du pays. La seule explication est nécessairement résumée par le vocable «divorce ».
Celui qui signifie la rupture de confiance dans le pacte politique passé entre les «électeurs» et les dirigeants. En s’affranchissant petit à petit des devoirs induits par l’ordre et la loi, une bonne part de la société manifeste justement contre les incessantes dérives de l’éthique d’Etat. L’interconnexion des institutions et de l’affairisme ayant atteint un seuil intolérable, le pays ne pouvait que sombrer dans la remise en cause radicale. C'est-à-dire le rejet par la violence des attributs mêmes de l’Etat !
La peur, transcendée par le désespoir, l’on n’hésite plus à en découdre violement pour se faire entendre, enfin. La rue et ses affrontements ne sont plus des exutoires mais des tribunes en l’absence de médiation politique (les partis) dans l’espace public. Parfois même cette rue ne s’embarrasse guère de revendications claires pour bouger.
Comme quoi elle est aussi capable de faire du déficit de doléances le meilleur manifeste pour le changement. Plus qu’un paradoxe qui ne gène uniquement que les ratiocineurs, ces «occupations» seraient annonciatrices de quelques lendemains terribles. Face à ces non-dits «limpides» combien faut-il encore d’émeutes pour que le message parvienne à destination ?
Par Boubakeur Hamidechi
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