jeudi 24 septembre 2009

La grande harba (XVII)

Capturés par les tangos dans la région de Yakouren, nous sommes dirigés vers leur repère. Le groupe a pour chef un BPB (Barbu plus barbu que les autres) qui s’intéressa tout de suite à Meriem El-Aggouna. Après une nuit passée à l’intérieur d’une grotte, nous sommes conduits chez le BPB. Quand je dis «nous», je parle du pied-noir et de moi car l’émir est aux arrêts pour haute trahison…

En arrivant chez le BPB, vautré sur un sofa, la main dans les cheveux de Meriem, assise à ses côtés, nous sommes scandalisés par la tenue légère de celle qui était, il n’y a pas si longtemps, l’héroïne de tout un peuple. Le pied-noir, qui aimait d’un amour fou cette dame au charme oriental cruel, me dit d’une voix teintée de colère :

- C’est inadmissible. Ce que tu vois est le peuple algérien. Cette dame est la seule habitante de ce pays, en dehors du gouvernement de Ouyahibelkha, des services de sécurité et des membres d’Al- Qaïda !
- Ne sois pas injuste. On l’a certainement droguée !

- Je ne pense pas. Qu’est-ce qu’elle faisait dans ce tripot mal famé du port de Bgayet ? Ses rapports avec ce salaud de maître des monts Kunlun m’ont toujours parus suspects ! Et si c’était une…

- Ecrase, buveur de Jack Daniel’s. N’oublie pas que tu parles de tout le peuple algérien ! Un mot de plus et je te balance dans le précipice ! Au fait, tu as dit «Bgayet» au lieu de «Béjaïa» ! C’est bien ! L’essentiel, c’est que ce n’est plus «Bougie» !

Quand même, je n’allais pas le laisser dire des choses sales sur le peuple algérien. Un peuple composé d’une seule personne, c’est facile à insulter ou à encenser. Mais au fond, je sais que le pied-noir disait cela par dépit amoureux. Minute papillon ! Meriem El-Aggouna n’avait-elle pas enfanté un bébé ? Pourquoi continuonsnous à considérer cette femme comme la seule habitante non institutionnelle du pays ? Le peuple algérien est composé de deux personnes ! Voilà la vérité ! C’est un coup fourré du gouvernement de Ouyahibelkha. Ils cachent le bébé. Ils ont en otage le futur peuple algérien. Le buveur de Jack Daniel’s me regardait d’une drôle de façon, comme si j’étais responsable du départ massif de ses amis en 1962 ! Je sais qu’un de ces quatre matins, on reprendra le combat entamé au restaurant de l’aérogare de Sidi Cagliari ! Je m’y prépare.

Durant mes pérégrinations dans les massifs kabyles, je me suis familiarisé avec quelques prises spectaculaires en feuilletant le bouquin au titre ravageur : « Avec Boualem KO, tout est OK !» écrit par un certain Boualem Zoudj Krouch de Hadjout, propriétaire d’une salle de sports où l’on enseigne l’art du «kung tfou alik». Ce Chinois avait choisi un nom algérien car il trouvait nos appellations pittoresques ! D’ailleurs, il avait prénommé son épouse Mart Boualem Zoudj Krouch et son fils Wlid Boualem Zoudj Krouch. Les agents de l’étatcivil avaient rouspété un peu mais, finalement, tout s’est arrangé.

«Tant que c’est pas des prénoms berbères, ça passe», avait dit l’un d’eux. Le BPB retira sa main des cheveux soyeux de Meriem et lui ordonna de remettre le hidjab. Elle s’exécuta en nous lançant des clins d’œil que je décodais comme un signal très clair. Elle voulait nous dire : «Ne vous fiez pas aux apparences. Je tiens la situation en main. J’ai un plan. Patientez…» Le chef responsable des barbus nous gratifia d’un long discours religieux qui agissait sur le pied-noir comme un somnifère.

Je le harcelais du coude pour qu’il ne s’endorme pas. Le BPB parlait maintenant de notre sort : «J’ai bien réfléchi hier. En principe, vous êtes bons à passer chez Si Ali le boucher, de son vrai nom Abou Mansour, alias Samir le vendeur de brochettes. Il a des couteaux qui ne font pas trop mal. Mais Meriem m’a convaincu de vous laisser vivants pour le moment. Nous allons nous amuser. Savez-vous jouer au football ? Si vous répondez par non, j’appelle tout de suite Si Ali le boucher.

- Ouuuuuuuuuuuuuiiiiiiiiiiiiiii !
- Alors, tant mieux. Faites appel à votre ami le traître et à quelques villageois et composez une équipe de football de 11 joueurs avec 3 remplaçants. Vous allez jouer contre notre formation. Cette dernière est classée onzième dans le championnat interwilayas des combattants d’Al-Qaïda, mais je suis sûr qu’elle vous battra par un score fleuve ! Au cas où vous remporterez le match, vous êtes libres. Si vous gagnez par trois buts d’écart, vous sauverez l’émir traître et il pourra repartir avec vous.

Par contre, si vous perdez, vous serez dirigés, immédiatement après le match, vers Si Ali le boucher.» Meriem agitait la tête en notre direction. Ce qui voulait dire : «Acceptez. C’est notre dernière chance.» Le buveur de Jack Daniel’s me regardait avec un air hautain. Lui, au moins, avait été plongeur à la buvette du stade de Reims. Moi, je n’ai jamais joué au football sur un vrai stade. Mais j’ai quand même assisté à la plus lourde défaite at home du championnat national de football. C’était dans l’ancienne Algérie, au moins de juin 1965, quand le CR Belcourt de Lalmas étrillait l’USM Annaba sur son terrain mascotte par 8 à 0 ! Mais cela ne me faisait ni chaud ni froid. J’étais supporter de la JBAC, la meilleure équipe de tous les temps pour moi. Son jeu académique et lumineux, je l’ai retrouvé un jour chez l’USM Alger quand l’arabisation de notre canard nous obligea à déménager à Alger. Durant 25 ans, c’était l’équipe que j’aimais.

Et maintenant ? Je suis un fervent admirateur de l’AC Sidi Cagliari aux couleurs… rouge et noir. C’est bien beau tout cela, mais, question pratique, je suis archinul ! Quant à l’émir, peut-être que ses longues années comme ramasseur de balles au stade de Hydra allaient nous servir à quelque chose. Nous avions le droit d’utiliser Meriem… Honni soit qui mal y pense… Allons donc, comment réfléchir à ces choses au moment où le couteau de Si Ali le boucher était suspendu sur nos cous ? Au village, nous trouvâmes quelques jeunes férus de foot. Notre choix se porta sur une bande de gars costauds menés par un certain «copain de Manga Tsé Tong alias Bariza Lavabo ! Etrange, pourquoi appelle-t-on ce gars ainsi ? Bon, après tout, on s’en fout ! S’il pouvait marquer des buts, on ferme l’œil ! Il peut même s’appeler le copain de Mounira Style ou de Zineb Twaïch, de leurs vrais noms Kawa Zaki et Toyo Tata, ça ne nous concerne pas.

Après trois séances d’entraînement, on nous invita à nous présenter au stade de San Zéro de la banlieue de Yakouren où une foule en liesse nous attendait. Il n’y avait que des barbus algériens et des non-barbus chinois. Nous étions habillés en bleu et les tangos en rouge. L’arbitre était en blanc. Bleu, blanc, rouge, cela plaisait énormément au pied-noir, mais pas au BPB qui, furieux, tira sa «mahchoucha » et abattit l’homme en noir (…en blanc !) de deux coups de feu. La foule applaudit et une petite voiture emmena le cadavre du pauvre arbitre qui fut aussitôt remplacé par un autre habillé de jaune.

«Bleu, jaune, rouge» répétait le BPB en se grattant le menton et en gardant sa «mahchoucha» à portée de main… «Non, ce ne sont pas les couleurs d’une grande nation impérialiste ! Ça doit être le drapeau de quelques pays d’Afrique…» L’arbitre comprit qu’il allait sortir indemne de ce premier test. Il dansa et cela déplut royalement au BPN qui tira encore deux autres coups. «Il agit ainsi pour vous intimider et vous abattre moralement avant le match ! Tenez bon les gars !» hurlait en notre direction un admirateur venu de Cap Aokas qui avait déployé une immense banderole sur laquelle on pouvait lire : «Allez les non-barbus ! Je t’aime Taous de Toudja !» Quelques secondes plus tard, les secouristes emmenèrent son corps et la banderole s’envola, emportée par les vents de Yakouren qui faisaient flageoler nos membres. Où était-ce simplement la peur ?

Par Maâmar FARAH

1 commentaire:

  1. merci de l'avoir publier ; je compte rassembler la grande harba dans un fichier pdf

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