mardi 22 septembre 2009

Maigret

La Belgique occupe une grande place dans la production culturelle francophone. La modeste, place, qu’elle occupe dans le concert des nations, est plus due à sa jeunesse (elle n’existe que depuis 1830) qu’à son véritable rôle. Et ce n’est pas un fait du hasard si les deux seuls héros de la littérature qui aient eu droit à une statue sont des personnages nés de l’imagination fertile d’écrivains belges.

Si les aventures de Tintin ont longtemps passionné les jeunes lecteurs, celles du commissaire Maigret continuent à meubler les après-midi de retraités et suscitent encore la curiosité des chercheurs qui multiplient les études sur ces personnages qui ont pris corps et forme jusqu’à devenir familiers sous les traits de comédiens célèbres.

Jusqu’à présent, seuls les héros de la mythologie ou les personnalités historiques avaient droit à entrer dans la statuaire. C’est un signe évident de crédibilité d’un personnage que de voir des artistes, des institutions, un lectorat fidèle se mobiliser pour lui ériger une statue à la gloire d’exploits tout à fait fictifs.

C’est en fait un hommage qui est surtout rendu au génie de son créateur qui a su, en quelques traits, esquisser une silhouette immortelle qui traversera les générations avec des accessoires qui survivent à toutes les modes et un caractère trempé, parce que plein de cette humanité ordinaire qu’ont les gens que l’on croise tous les jours dans notre vie quotidienne.

Un chapeau d’une grande banalité, un pardessus enveloppant une forte carrure d’homme mûr, une pipe qui ponctue les gestes anodins d’un personnage ordinaire, voilà ce qui fera de Maigret une silhouette familière et rassurante. Georges Simenon (qui fume la pipe lui aussi et qui sait que cet accessoire est le compagnon de gens calmes ou qui aspirent à le devenir) a eu le génie de choisir son héros dans une corporation qui se trouve au coeur de la vie de la cité (la police est le témoin privilégié de tout ce qui se passe dans toutes les couches de la société).

L’écrivain, très pratique, a choisi son personnage dans toute sa maturité: le commissaire Maigret est né dans un petit village de province. D’extraction modeste, il est entré dans la police où, petit à petit, il a servi dans tous les services de la maison «poulaga»: agent de la circulation, puis inspecteur fréquentant tous les lieux géométriques de la mégalopole, il a pu, au cours d’une carrière sans heurts, dont il a gravi les divers échelons, acquérir toute une foule de connaissances sur la nature humaine.

Ce n’est pas un homme qui a fait de grandes études sur la psychologie ou la criminologie, mais c’est un homme nouveau, sorti du rang, imbibé d’une forte expérience car il s’est frotté à toutes sortes d’individus. Et c’est ainsi qu’il a acquis une sorte d’intuition d’une remarquable justesse qui lui donnera ce pas tranquille et sûr d’un meneur d’hommes, respectable et respecté par tous ses commensaux.

Il faut signaler au passage que Maigret n’est qu’un fonctionnaire honnête, respectueux de l’ordre établi et des lois de la République. Ce n’est point un révolutionnaire et il n’est pas touché par tous les bouleversements politiques qui secoueront la société durant ses quarante années de carrière. Le côté original du commissaire Maigret réside dans le fait qu’il a affaire à des gens très simples qui ont des métiers et des préoccupations modestes: un boucher, un épicier, une concierge, un marin letton paumé, un cheminot ou une prostituée, des personnages qui n’ont pas l’étoffe de héros originaux.

Et le commissaire Maigret lui-même n’a pas comme Sherlock Holmes des théories fumeuses ou des conclusions scientifiques, pas plus qu’il ne promène comme Hercule Poirot une luxueuse oisiveté parmi les gens de la jet-set. Et s’il ne se gratte pas le front à la façon de Colombo, il bourre et tire sur sa pipe pour se donner de l’inspiration. Enfin Maigret, au moins, on voit sa femme. Et c’est une femme au foyer. C’est l’époque qui le voulait: c’était avant 68!

Selim M’SILI

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