dimanche 13 septembre 2009

Le tablier cache-misère

E t voilà qu’on nous sort le… tablier. Manquait plus que ça. Au lieu d’en exiger le port par les élèves et de faire de cette coquetterie un tintouin de tous les diables, y’en a qui feraient mieux de rendre le leur, je te dis ! En soi, ce n’est bien sûr pas une mauvaise chose, le tablier. Pas de doute. Ça donne l’illusion d’une école nickel. D’une institution tirée au cordeau.

Vu de l’extérieur, et de loin, tu verrais ces marées ondoyantes de petites bonnes femmes et de petits bonshommes en rose et bleu, tu croirais à un champ de fleurs ondulant à la brise du printemps. Surtout le bleu et le rose, mamma mia ! Un printemps perpétuel. Et universel. Ces couleurs le sont, si, si ! Tu te demandes d’ailleurs comment les gardiens du semi-universel ont laissé passer ça ! Le bleu et le rose ne sont-ce pas par hasard des couleurs de koffar ?

Bleu, c’est pas dans le drapeau des autres, déjà, et rose dans celui du minitel ? Achtung ! Vigilance, mes frères. Notre authenticité est menacée. Ils veulent faire rentrer par la fenêtre ce que nous avons chassé par la porte. Je propose, pour rester semi-universel jusqu’au bout de la palette, le vert pour les filles et le vert pour les garçons. Vertmosquée s’entend. Après, tu peux broder un chouia, si tu veux : vert-rose, vert-bleu… Devant ces merveilleux bouquets, tu ne focalises plus que sur ça et tu te masques toimême tout le reste : les bâtiments et les programmes déglingués de nos écoles, collèges et lycées, la perte de valeurs élémentaires de respect, la culture de l’intolérance et de l’irrationnel, la violence, la triche, la loi de la jungle et j’en passe.

Si l’Ecole prépare à la vie, l’Ecole algérienne prépare indiscutablement à la vie en Algérie. Elle t’apprend à cogner et à t’en remettre à Dieu. De quoi conquérir l’avenir avec ta tête. Mais pas comme logement du cerveau. Plutôt comme arme d’attaque. Quelques fractions de secondes avant qu’un assassin ait osé appuyer sur la gâchette qui a rendu orpheline une nation, Boudiaf était en train de dire : l’Ecole de notre pays est sinistrée. Et bien, mettez-lui un tablier et tout ira mieux ! Vêtissez-la d’une blouse et on n’y verra que du feu. Mais arrêtons de faire la fine bouche !

Ça ne fait rien, l’uniforme, c’est bien, la preuve est que ça uniformise ! Mais ça désillusionne aussi. Il n’est pas avéré que l’uniforme fait l’armée. C’est plutôt l’inverse. Ce n’est pas parce que tu habilles à l’identique tous les gosses que tu feras de ton école un moteur pour l’avenir. Avantage accessoire du rose et bleu : ça ne peut que faire du bien aux fabricants et aux marchands de tablier dont quelques-uns ont déjà sorti les carnets de commandes. Encourager le privé national non exploiteur ? Allez, les Verts ! Donc, au fond, pourquoi pas, le tablier… Sauf que. Oui, sauf que, comme d’habitude, la décision est hâtivement prise.

On tire d’abord, on discute ensuite. La règle d’or du farwest sévit en nos contrées. Si hâtivement du reste qu’on se demande si ce n’est pas pour faire diversion de cette énormité qui a consisté à bricoler une solution à la semaine pédagogique consécutive au changement de week-end. Le tablier te remplit la pupille, ne regarde pas les ruines possibles de ce bricolage. Car, franchement, sans vouloir jouer les renâcleurs, affubler toutes les filles de tabliers roses et les garçons de bleu, ça change quoi au sinistre qui tenaille notre école ?

L’argument de notre lutteur de classes de ministre est que, au moins comme ça, on ne distinguera plus les élèves riches des pauvres. Tous les élèves seront confondus par la couleur de leurs tabliers jusqu'à composer une photo de classe égalitaire. Tu as beau la retourner dans tous les sens, cette photo, tu ne verras pas les inégalités. Le tablier les occulte, il ne les supprime pas. Autant pour l’argument ministériel !

Même l’uniformisation de l’apparence est relative. On peut parfaitement faire coexister sur la même photo de classe un tablier rose taillé dans le tissu Hermès avec un autre, coupé, lui, dans du nylon au fond de quelque poussiéreux atelier de Shanghai ou de Sidi- Khayat. De loin, tu verras certes deux tabliers roses, mais en t’approchant, tu t’apercevras que le masque ne tient pas.

Et puis, quel est le but pédagogique et social de loger tous les élèves aux mêmes couleurs ? Montrer que nous sommes une société sans inégalités ? Dans les écoles, c’est un peu vrai, étant donné que ceux-qui-en ont mettent leur progéniture dans d’autres écoles que celles de l’Education-nationale-pour-lepopulo. Notamment dans les écoles privées, dans des lycées étrangers ou carrément à l’étranger.

Donc, il n’y pas de risque, au collège de Ouled Boudjeghlal ou à l’école primaire de Bordj- Bou-Fartouta, que les inégalités soient structurelles entre les élèves. Elles ne le sont que d’échelle. Un peu plus débrouillards là, un peu plus honnêtes ici, et voilà le tableau !

Et, de toute façon, si l’argument est d’uniformiser l’aspect extérieur pour ne pas donner à voir les inégalités sociales, je propose qu’on étende le tablier à toute l’Algérie. Toutes les femmes en roseguimauve et les hommes en bleu de Chine : on ne verra plus qui ripaille et qui crève la dalle. Ainsi, nous serons un peuple de frères et sœurs! Avec leur tablier cache-misère, qui cache en réalité la misère intellectuelle des artisans de ces leurres, et même dans des situations pas rigolotes du tout, ils arrivent à nous faire rire quand même ! Sacrés farceurs.

Par Arezki Metref

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