mardi 15 septembre 2009

Le monde arabe est-il réformable ?

««L’opinion arabe a une très bonne perception de la réforme et souhaite la voir effective dans plusieurs domaines de la vie.» Telle est la conclusion à laquelle arrive un sondage effectué par The Arab Reforme Initiative (une coordination de nombreux centres de recherche spécialistes du monde arabe) et The Center for Strategic Studies de Jordanie (*), effectué en janvier dernier et dont les résultats viennent d’être publiés.

Les secteurs de prédilection de la réforme sont respectivement ceux de l’économie et de la politique avec une attention particulière pour la corruption.

La majorité des personnes interrogées estiment que la démocratie est de nature à conduire à davantage de stabilité, même si leur priorité va aux réformes économiques, avec une attention particulière pour la situation familiale.

Sur le plan politique, l’opinion arabe a une piètre opinion du parlementarisme, perçu comme une chambre d’enregistrement.

Curieusement, le sondage établit que l’opinion, en général, soutient les droits des femmes et des minorités religieuses.

Quatre pays ont été sélectionnés pour sonder l’opinion arabe : l’Egypte, la Jordanie, le Liban et le Maroc.
Un accent particulier semble avoir été accordé aux questions liées aux libertés démocratiques, comme indicateur majeur de l’état de la démocratie et de l’appréciation de la maturité des réformes dans la région. Les concepteurs du sondage y voient «un matériau d’information empirique sur une vision sociétale de la réforme pour aider au débat et au dialogue sur la question».

La «réforme» est une formule usitée par différents groupes et élites avec une acception différente, parfois contradictoire. Le citoyen arabe, censé être le bénéficiaire des réformes, a une perception «confuse» des concepts, méthodes et priorités des ces mêmes réformes.

Le débat qui tourne autour est essentiellement alimenté par la compréhension qu’en ont les élites. Cela suffit à dire que «l’opinion publique est capable de contribuer au dialogue sur la réforme» et suggérer que l’impression générale plaide pour la nécessité d’une réforme dans le monde arabe.

La définition des réformes qui ressort du sondage couvre un champ extraordinaire :
— elles sont une réponse à des contraintes générales, comme la corruption financière, les libertés publiques et la situation économique ;
— elles sont une issue au vécu quotidien de certaines catégories sociales, particulièrement sensibles à la pauvreté, au chômage et aux discriminations ;
— elles sont le remède au développement politique ;
— elles doivent couvrir tous les secteurs d’activité, beaucoup de personnes interrogées établissant une corrélation entre les réformes attendues dans la sphère politique, de la démocratie et du droit, d’une part, et le développement de l’économie et des services, d’autre part ; - elles peuvent être un levier idoine pour relever les défis dans des domaines socioculturels : élimination de l’illettrisme, relance de l’éducation et répression de la criminalité.

Cinq secteurs sont cités comme prioritaires en matière de réformes : la lutte contre la corruption financière et administrative, la réforme économique, la réforme sociale et culturelle, la réforme politique la réforme multisectorielle.

La définition dominante varie selon les conditions particulières à chacun des quatre pays, mais le secteur commun de prédilection de la réforme demeure l’économie, suivie de la corruption, plus loin de la réforme politique.

Le facteur externe et l’ouverture sur le reste du monde occupent une place croissante et positive — comparable au cas est-européen — dans le processus de réformes et affectent grandement sa perception.

«Les Occidentaux le savaient très bien au milieu des années 1990 lorsqu’ils favorisèrent des réformes démocratiques dans le monde arabe, comme ce fut le cas du Processus de Barcelone en 1995.»
La «demande extérieure de réforme» est particulièrement forte depuis le 11 septembre, la seconde guerre et l’occupation de l’Irak, puis son extension à l’Afghanistan.

L’enquête cible la réceptivité de cette demande : «L’opposition la plus forte à l’endroit de la demande extérieure de réformes s’exprime au Liban et en Egypte. Marocains et Jordaniens y sont moins réticents.» Les auteurs du rapport se contenteront alors de ce que ;
— le rejet de la demande extérieure des réformes n’est pas unanime ;
— une part significative de l’opinion y serait même favorable sous conditions (qu’elle ne serve pas les intérêts de forces étrangères).

La réforme économique affecte un secteur particulier : la redéfinition du rôle de l’Etat.
Nous demeurons dans la configuration des années 1980 où l’Etat et ses institutions financières furent contraints de prendre en considération certains fondamentaux de l’économie de marché, notamment le fait que le secteur public, qui a pris des proportions dominantes dans certains secteurs du pays, était devenu incompatible avec la croissance économique.

L’opinion publique arabe constate cependant une détérioration de la situation économique au cours des trois dernières années. C’est notamment le cas dans les secteurs de l’éducation et de la santé où une qualité médiocre de l’offre de services publique légitime fortement l’intervention du secteur privé (sauf en Jordanie).

Les libertés, la démocratie, la réforme politique et le facteur externe constituent un chapitre à part du sondage. «L’analyse et l’étude de la structure des régimes politiques arabes affecte une place particulière aux facteurs tribal, religieux ou régional — en cohabitation ou combinaison avec des éléments de modernité en matière militaire et de sécurité.».

Cette situation indique que le dialogue sur la démocratisation dans le monde arabe est particulièrement complexe. Si la troisième vague qui a affecté l’Europe de l’Est pour transformer ses Etats totalitaires en démocraties n’a pas atteint le monde arabe, cela tient à des raisons d’une extrême complexité.

Lorsqu’on mesure la compréhension de la démocratie par l’opinion arabe, on constate qu’elle la ramène à quelques indicateurs couvrant les champs d’intérêts suivants :
— les libertés fondamentales, y compris les libertés individuelles, de circulation et d’établissement ;
— les libertés d’opinion et de croyance ;
— la liberté de la presse ;
— la liberté d’association civile et politique ;
- la liberté d’élire des conseils représentatifs, aussi bien municipaux que législatifs : l’opinion publique arabe a généralement une appréciation négative de l’expérience parlementaire. Si le cas égyptien est considéré comme le plus concluant, c’est au Maroc que la plus haute proportion de déçus est enregistrée.

L’opinion est quasi unanime à souligner l’intérêt de deux libertés fondamentales : la presse et les élections.
A un palier au-dessous vient la liberté d’opinion et de pensée, «l’exception libanaise » en faisant même pour 94 % des personnes interrogées, un pilier «très important » de la démocratie. Dans les autres pays, les trois quarts la croient «importante », avec toutefois une distinction entre les libertés de pensée et de croyance qui s’explique par «l'ambiguïté» du terme croyance qui couvre les sphères religieuse, intellectuelle ou politique. C’est ce qui explique le fort pourcentage libanais.

Si l’opinion considère que les libertés fondamentales sont le plus souvent garanties par la loi, 20 à 35 % des personnes interrogées estiment toutefois qu'elles ne le sont toujours pas.

Les obstacles à l’élargissement de l’exercice des libertés démocratiques tiennent, pour l’opinion arabe, à l'instabilité, à la dégradation de la situation économique et, enfin, à l’inaptitude des gens à pratiquer une pleine démocratique.

L’idée que la démocratie peut être source de désordre et d’instabilité est alimentée par l’expérience irakienne de violence sectaire, les combats fratricides entre factions palestiniennes et les désordres internes générés par la nébuleuse islamiste dans d'autres pays comme le nôtre.

A. B.

(*) Arab Reform Initiative and Center for Strategic Studies, Jordan. Public Opinion Surveys Trends in Arab Public Opinion Towards Reform, January 2009.

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