dimanche 27 décembre 2009

Prises en charge pour soins à l’étranger : un enjeu politique ?

Si une grande moudjahida a fait publiquement cas d’une insuffisance de prise en charge pour soins à l’étranger, un ex-ministre a diffusé, dans la presse, un encart publicitaire exprimant sa “gratitude” pour le “geste magnanime” du président de la République qui a permis son transfert dans “un centre hospitalier à l’étranger”.

Avant lui, d’autres personnalités, des artistes, notamment, ont eu à en faire autant. Même si, en la matière, il existe une procédure de décision de la Cnas, organisme statutairement chargé de répondre aux demandes de financement social des soins, le chef de l’État, ordonnateur suprême, peut certainement intervenir pour débloquer un cas qu’il juge urgent, prioritaire ou pour d’autres raisons.

On peut alors comprendre qu’un convalescent tienne à remercier celui qui a contribué, par ses prérogatives, à le soulager de son mal. Ce qui est moins compréhensible, c’est la publicité faite à ces remerciements. Dans la forme, le simple courrier constitue le moyen usuel pour communiquer avec les institutions. Il y a comme un malaise à voir quelqu’un qui a fait appel à l’argent de la solidarité sociale investir quelques millions de centimes pour une publicité, dont on ne sait plus si elle vise l’attention présidentielle ou le privilège d’avoir suscité cette attention.

C’est à se demander, en effet, si l’enjeu n’est pas plutôt d’associer, de manière ostensible, son nom, et son portrait parfois, à ceux du chef de l’État. Les auteurs de tels messages ont-ils pensé aux nombreux assurés sociaux qui ont épuisé les possibilités de soins locales et qui sont accrochés, parfois depuis des lustres, dans la souffrance, à l’espoir d’un avis favorable de la commission Cnas qui ne vient pas encore ?

Leur frustration serait à comprendre et à redouter car, enfin, les ressources de la Cnas sont constituées des cotisations mutualisées des travailleurs et constituent donc un fonds social, et non public, même si sa gestion est réglementée et supervisée par l’État. Plus politiquement, cette pratique répand la conviction que l’entière sécurité du citoyen n’est garantie qu’à celui qui trouve la voie pour attirer l’attention “des plus hautes autorités”, comme on dit par euphémisme.

D’où le recours inconsidéré à la “lettre ouverte au président de la République”. Cette conviction, une fois intériorisée, ôte toute solennité au contact avec les institutions de rang inférieur. Celles-ci en deviennent, dans l’imaginaire populaire, le recours du faible.

La personnalisation à outrance du pouvoir aboutit, ici, à une personnalisation, pas du pouvoir, mais du fonctionnement de l’État. Il n’est pas certain que Bouteflika monopolise le pouvoir total et, en tout cas, qu’il l’exerce sur tout, mais de cette perception, résulte une personnalisation de l’autorité : le recours n’est jamais fini tant qu’on n’a pas pu soumettre sa requête au Président, ou à la présidence, comme on le dit parfois par euphémisme, encore une fois.

Si cette culture procure sollicitation et popularité au premier responsable de l’État – et c’est peut-être pour cela qu’elle est encouragée –, elle sape la crédibilité de l’État comme système de vie institutionnelle réputé fonctionner sans considération personnelle, “sine ira et studio”. Et c’est ainsi que, par exemple, un enjeu de santé publique devient un enjeu politique.

Mustapha Hammouche

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