mercredi 28 octobre 2009

Soliloque pour Nedjma

Il y a vingt ans nous quittait Yacine Kateb. On a peut-être tout dit de l'homme et de son œuvre, mais on a rarement fait attention à la chance qu'il avait. D'être né avec un poème à la bouche, il a ébloui, intrigué et agacé par la beauté et la profondeur tragiques de Soliloques. 

Ecrit dans la foulée d'une déchirure nationale, ruminé dans les rêves d'un enfant qui n'avait après tout aucune raison d'être différent de ceux de sa génération et de sa condition, «le» poème, fondateur d'une œuvre inégale, a surtout esquissé le parcours de l'homme.

Le 8 mai 1945 a été à la fois sa douleur intraitable et le sein nourricier de son œuvre. Yacine avait de la chance. D'être allé très tôt chercher dans la profondeur, pourtant très peu visible de son environnement de l'époque, les raisons de se donner une raison.

Peut-être bien qu'il n'est pas né avec cette raison, comme le poème d'ailleurs, mais ça se voyait à l'apaisement de ses quêtes que ces dernières pouvaient être à portée de main. Oui, Yacine était un homme apaisé, c'était la vie qui était agitée autour de lui pendant que l'histoire s'écrivait sur ses pas à coups de sang versé et de frustrations accumulées.

Quand vient Nedjma, qui couvait dans ses entrailles depuis la nuit des temps, il savait déjà la trajectoire de sa parole et le sens de sa vie d'homme. Par-delà ses déchirures intimes, c'est sans doute pour cela qu'il a situé cet écrit en dehors d'un débat qui ne sera jamais le sien.

Nedjma avait l'esthétique de toutes ses brisures, rendait les couleurs de ses espérances et quelque part suggérait un pan de sa folie. Roman de rupture structurelle ? Voyons.

Yacine ne s'est pas posé la question quand il l'a écrit, il ne va quand même pas devoir s'en expliquer a posteriori ? Il n'avait d'ailleurs jamais éprouvé le besoin de s'expliquer pour quoi que ce soit. Non pas par manque d'humilité, chez lui une première nature, et encore moins par manque d'arguments qui ne manquent ni dans son registre artistique ni dans les repères philosophiques de son idéal.

Et si ce débat ne le concernait pas, Yacine s'est toujours mêlé de ce qui le regarde : la liberté, la justice et la dignité humaine. Yacine avait de la chance.

D'avoir entamé un parcours d'homme et d'artiste sur une déchirure annonciatrice d'un brasier salvateur et tiré sa révérence à l'orée d'un novembre pas comme les autres. Il y a vingt ans, Yacine nous disait au revoir dans l'apaisement de son volcan, son pays, son soliloque pour Nedjma.

Slimane Laouari

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