Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur, s’est invité durant deux bonnes heures à la télé pour parler, avec force détails techniques, des projets de carte d’identité et de passeport biométriques. Un quart d’heure aurait suffi à présenter ces nouveautés, le reste du temps aurait pu être consacré à l’actualité brûlante : les émeutes violentes de Diar Echems qui remettent à l’ordre du jour la question de la précarité de l’habitat ; la tuerie de sept patriotes par les terroristes qui bat en brèche le discours sur « l’amélioration sécuritaire » et son pendant, la « réconciliation nationale » ; les victimes de plus en plus nombreuses de la grippe A dans un climat d’ignorance nationale du fléau ; les incessants scandales de corruption impliquant de grands commis de l’Etat traînés devant une justice souvent encline à ne condamner que des lampistes. Ne serait-ce sur ces quelques dossiers, il y avait matière à disserter.
M. Zerhouni aurait aussi pu dire un mot sur la saisie par la police des exemplaires du livre de Mehdi El Djezaïri, Poutakhine, à la veille du 14e SILA dont la devise est « Le roi livre ». L’ouvrage n’a pourtant pas de contenu diffamatoire au sens classique du terme, c’est simplement un cri d’indignation contre les usurpateurs de tout poil et de tout acabit, d’hier et d’aujourd’hui, de l’âme algérienne.
Cette affaire, qui commence à faire grand bruit, pose une nouvelle fois la question de la liberté d’expression dans le pays. Le ministre de l’Intérieur avait le devoir de s’y prononcer clairement, bien qu’il ne faille pas trop se faire d’illusion sur ses réponses. En fait, ce qui inquiète les citoyens aujourd’hui, c’est moins la gravité des problèmes que subit le pays que le grand silence des autorités. Leur conviction de plus en plus profonde est que l’Etat n’a plus de gouvernail : les responsables sont soit démissionnaires à tous les niveaux, y compris en très haut lieu, soit dépassés ou occupés à faire des affaires.
Les Algériens ont le sentiment d’être livrés à eux-mêmes, de ne pas être écoutés et compris par un pouvoir qui ne pense à eux que lors des grands rendez-vous électoraux. Cette conviction est alimentée par le désordre, à la limite du chaos, qui règne dans les villes et les campagnes, l’incroyable essor de l’informel, la propagation sans limites ni honte de la corruption et l’extension de la violence et de la délinquance.
Le découragement et le repli sur soi gagnent toutes les couches de la population, alors que la paupérisation s’aggrave. Le SNMG actuel ne peut nourrir une famille de quatre personnes que durant une semaine, révèle une étude du syndicat autonome de la Fonction publique... Une voix autorisée qui explique et rassure, à la télé, d’un ministre de souveraineté ou du Premier ministère ou, mieux encore du chef de l’Etat, ne serait pas de trop dans le contexte actuel de crise, au bord d’un éclatement incontrôlable.
Par Ali Bahmane
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