lundi 14 septembre 2009

Ya bon Ramadan !

Merci à Belloumi d'avoir dissipé mes inquiétudes et d'avoir calmé mes appréhensions concernant l'avenir ! Une seule phrase prononcée par la vedette de l'équipe nationale au Mondial 1982 a suffi à me rendre le sourire : «Quand je serai à La Mecque, je prierai pour le président Bouteflika.» Voilà de quoi rassurer amplement ceux qui se posaient des questions sur l'avenir politique de l'Algérie. Cheb Mami nous avait délivré des bulletins de bonne santé présidentielle, Belloumi nous donne des garanties sur la persistance de cette bonne santé. Il va y veiller personnellement avec des invocations dédiées sur les lieux saints de l'Islam.

C'est un Belloumi, à la cinquantaine rayonnante et arborant sa tenue d'ancien footballeur, qui a confirmé son statut de fan de Bouteflika. A titre de réciprocité, car le locataire d'El- Mouradia et autres lieux n'a jamais caché son admiration pour le numéro 10 mascaréen. N'a-t-il pas dit lors de sa traversée du désert : «Je veux être Belloumi ou rien !» Passe-moi le séné, je te passe la rhubarbe ! C'est donc la moindre des choses que Belloumi aille prier à la source pour que le président se maintienne physiquement en forme. Nous ne doutons pas un instant de l'efficacité des ces prières, tout comme nous savons à qui nous devrons un éventuel quatrième mandat. Surtout, ouvre bien les yeux et les oreilles, Belloumi, car ça bouge en Arabie saoudite, et pas seulement autour du sanctuaire de la Kaâba.

On s'est aperçu, en effet, que le diable, qu'on croyait avoir exilé en Algérie, et qu'on lapidait en effigie, était de retour, plus mauvais que jamais. Le terrorisme islamiste, installé à coups de pétrodollars dans les pays «frères», était revenu dans son sanctuaire. Un attentat a même failli tuer un vice-ministre de l'Intérieur, membre de la famille royale de surcroît. Alors, les Saoudiens se sont remis à réfléchir sur les origines du terrorisme, comme ils le font d'ailleurs depuis quelque temps.

Des écrivains courageux ont dénoncé à maintes reprises la collusion entre les autorités et les partisans d'un Islam obscurantiste et intolérant, mais en vain. Même lorsqu'il est apparu que le wahhabisme était directement responsable de la vague de terrorisme qui frappe le monde, les dirigeants saoudiens ont refusé l'évidence. Ils ont dépensé des fortunes pour renforcer la sécurité de leurs frontières tout en continuant à fabriquer des Ben Laden dans leur système éducatif. Puis, il y a eu le 28 août 2009, et cet attentat contre le prince Mohamed Ibn Nayef. Pour la première fois, la famille royale était directement visée, en violation de la règle de soumission au chef. De plus, l'attentat n'a pas eu lieu à l'étranger, mais au domicile même du vice-ministre chargé de la lutte contre le terrorisme, et le kamikaze a voyagé dans l'avion personnel du prince.

On épiloguera longtemps sur les circonstances de l'attentat et sur le fait que la bombe n'ait pas été détectée aux contrôles, mais une chose est sûre : il y aura désormais l'Arabie saoudite d'avant le 28 août, et celle d'après le 28 août. Après l'attentat, et pour la première fois depuis la fondation du royaume, un journal de Riyad a pu appeler à une réforme de l'Islam (wahhabite). Ce qui était inconcevable jusque-là. La semaine dernière, un des théologiens les plus influents du royaume a décrété comme illicites les invocations rituelles contre les non-musulmans. Ces invocations qui ont lieu généralement après les prières collectives sont devenues de véritables séances de défoulement collectif contre l'Occident chrétien et contre les Juifs.

La chaîne du Hezbollah du Liban, Al-Manar, avait enrichi le lexique des invocations, bientôt imitée par les mosquées extrémistes, de Gaza à Rabat, en passant par Baba-Hassan. L'Arabie saoudite est visiblement en train de changer sous nos yeux, mais nous devrons attendre la fin de sa mue pour en faire autant. Peut-être qu'entre deux prières pour Bouteflika, notre ami Belloumi réussira à nous dénicher quelques innovations, non vouées à l'enfer puisque portant le label saoudien.

On pourra peut-être s'expliquer pourquoi les Saoudiens mangent ouvertement lorsqu'ils prennent l'avion, même sur une courte distance, alors que ça nous est interdit. Oui, j'en ai la preuve : il y a quelques jours, un couple de voyageurs émigrés qui cassaient la croûte aux environs d'Alger, à l'intérieur de leur voiture, a été arrêté pour rupture anticipée du jeûne. Ce couple a passé 24 heures en prison parce que l'Etat algérien, ses écoles et ses académies de police apprennent à nos agents à considérer comme un dangereux délinquant toute personne qui ne se conforme pas au jeûne.

«Un couple illégitime viole la sacralité du Ramadan à bord d'une voiture», c'est ce qu'aurait sans doute titré, ce jour-là, un journal arabophone trop occupé à traquer les mangeurs de sandwichs en Kabylie. Encore heureux que ces jeunes automobilistes n'aient pas été surpris en train de s'embrasser au bord de la route. Je suppose qu'ils croupiraient encore en prison et que notre journal, pourfendeur du vice, titrerait encore : «Ils se livrent à des actes honteux après avoir rompu le jeûne en mangeant.

Nos lecteurs réclament l'application du châtiment prévu par la charia.» Toutefois, un autre journal arabophone s'est insurgé contre ces manifestations d'intolérance et d'atteinte aux libertés. Il s'agit de Rose-al-youssef qui dénonce l'arrestation par la police d'Assouan (sud de l'Egypte) de dizaines de personnes accusées d'avoir rompu le jeûne. Le chroniqueur Mohamed Hamdi rappelle que les premiers émirats, précurseurs du terrorisme, avaient été fondés, précisément au sud, dans les villes de Minya et d'Assiout. «A l'époque, dit-il, ceux qui procédaient à des arrestations étaient des volontaires. A Assouan, ce sont des policiers qui ont arrêté 155 personnes pour non-respect du jeûne.

C'est encore plus dangereux parce que ces policiers violent consciemment les dispositions de la Constitution. Celles-ci protègent la liberté de culte et la liberté de la pratique religieuse. Et lorsque des citoyens sont réprimés parce qu'ils exercent un droit qui leur est reconnu par la Constitution, c'en est fini de l'Etat de droit et de la Constitution.» En parcourant la presse arabophone, je n'ai pas trouvé trace de la polémique déclenchée en France par les propos doucereusement racistes du ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux. La presse du Moyen-Orient établitelle encore une fois la distinction entre les Arabes authentiques, eux, et les Arabes assimilés, ou contraints, nous les Maghrébins, essentiellement les Algériens ?

Alors quand un officiel ou un politique français casse du sucre sur le dos des Arabes, ceux du Levant ne se sentent pas concernés : c'est entre la France et ses anciennes colonies. Il y a les «Arabes de la France» et il y a les autres Arabes qui ne brûlent pas de voitures et ne caillassent pas la police. C'est un peu le même raisonnement qu'ils tenaient lorsque Le Pen était ami de Saddam Hussein, qui n'aimait pas les Kabyles, tout en détestant les «Arabes de la France».

Mais le comble est atteint lorsqu'au même moment, une association musulmane rosit de fierté en annonçant que le fils du président Sarkozy, invité à un repas du Ramadan, a «des amis musulmans». Que de bonheur, que d'émotion ! Et lorsque Fadéla Amara, ministresse de Sarkozy, bétonne la solidarité gouvernementale en saluant l'humour de Brice Hortefeux, c'est le feu d'artifice ! De l'humour ? Je veux bien mais pas aux dépens des mêmes, n'est-ce pas Enrico ? Sur les hauteurs d'Alger, on rit jaune, mais on en a avalé d'autres. Le Ramadan 2009 en France, c'est l'humour de Brice estampillé par Fadéla, le retour au «temps béni» des colonies, et paraphrasant la célèbre publicité, je vous dis : «Ya bon Ramadan !»

Par Ahmed HALLI

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