mercredi 9 septembre 2009

Un artiste, c’est tout

Il y a des jours où vous pouvez vous esquinter les phalanges en zappant désespérément et vainement à la recherche d’une émission capable de vous accrocher un instant et de vous sortir de la monotonie des soirées sans relief: rien à faire! le ciel est vide!

Par contre, il y a des jours qu’on qualifierait de fastes où le hasard vous jette à la face une émission que vous n’attendiez point à voir au détour: alors vous bénissez les responsables de la chaîne en question, les programmateurs et le hasard qui fait si bien les choses...quand il le veut bien! C’est ce qui est arrivé ces jours-ci quand je suis tombé sur une émission en noir et blanc diffusée par une chaîne satellitaire spécialisée dans les programmes qui louchent un peu vers le sud de la Méditerranée tout en ayant bien les deux pieds fixés sur la terre de France. En voyant une silhouette bien familière écouter un garçon des rues chanter le fameux Epervier d’Hughes Aufray, une foule de souvenirs m’a assailli aussitôt.

D’abord des airs célèbres des années 50 et 60, des films des années 30 et 40, l’émigration algérienne en France et ensuite la mort presque anonyme de l’artiste. C’était en 1994, à l’occasion du décès de Marcel Mouloudji, les chaînes françaises ont peu fait cas du personnage alors que d’habitude, elles faisaient un hommage appuyé à tout artiste disparu: seul Pascal Sevran dans son émission La chance aux chansons avait rendu un vibrant hommage à ce beur méconnu. Marcel Mouloudji (il s’agit de lui) avait traversé calmement les plateaux français: sa silhouette de gavroche et sa voix de velours ont longtemps captivé le public français mais il a connu une certaine éclipse à partir des années 70 au point que Michel Field, qui animait une émission culturelle, avait avoué ne pas connaître ce comédien, ce chanteur, cet écrivain, ce peintre. J’en étais révolté.

Notre public n’a retenu de lui que l’anecdote de Tunis, où à l’occasion de son tour de chant, Mouloudji aurait été contacté par des responsables du FLN qui lui auraient demandé de prendre position dans le combat de libération. Le chanteur aurait refusé en arguant qu’il ne «faisait» pas de politique. Il fallait comprendre que tous les émigrés algériens ne gardaient pas la «terre au talon de leurs souliers».

Beaucoup d’Algériens sont partis sans jamais jeter un coup d’oeil en arrière vers la mère patrie où ils n’avaient connu que la sordide misère. Fils d’un maçon d’origine kabyle et d’une femme de ménage française, Marcel Mouloudji n’a pas connu l’Algérie, et le climat qui devait régner dans le foyer paternel ne devait pas l’inciter à s’interroger sur ses racines. Il eut la chance d’être tombé sur l’immense poète populaire, Jacques Prévert, qui avait remarqué un enfant qui passait souvent ses nuits sur un banc public près du canal Saint-Martin. C’est le poète qui lui mit le pied à l’étrier: l’enfant qui chapardait dans les grands magasins commença par faire du théâtre avec Jean-Louis Barrault et dans les troupes prises en charge par les organisations ouvrières: dans les années 30, les syndicats étaient combatifs et attiraient nombre d’artistes.

Dans l’euphorie de la révolution d’Octobre, ils s’occupaient de l’éducation des masses laborieuses, les réformes de 36 seront l’aboutissement de ces luttes.

Pour sa part, le jeune «beur» jouera dans de nombreux films écrits par Jacques Prévert et réalisés par Marcel Carné: mais c’est dans la chanson qu’il s’affirmera le plus: les textes de son maître, les chansons «engagées» comme Le Déserteur de Boris Vian, les chansons du terroir français le rendront célèbre. Il écrira des chansons, des textes, des nouvelles.

C’est avec une certaine émotion que Jacques Prévert lira un des textes de son élève: «C’est merveilleux» dira-t-il. Et de la bouche d’un poète, cela veut dire ce que cela veut dire.

Selim M’SILI

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