jeudi 10 septembre 2009

Nuisances

Un vent frais avait commencé à souffler sur la cité, au grand soulagement des vieux retraités qui, tous les après-midi, attendent sous le grand acacia, l’heure du f’tour. Le souffle d’Eole avait soulevé des colonnes de poussière et les morceaux de papier qui jonchaient les espaces verts: un symptôme du degré de saleté atteint par la cité. Si Ouali qui s’était lancé dans un voyage dans le passé, évoquant le quartier de la Chapelle et ses anciens compagnons dont beaucoup ont disparu, leva tristement les yeux au ciel, suivant le vol d’un sachet noir qui avait dépassé l’immeuble vert d’en face. «Il n’y a pas à dire! Nous sommes sales!» Quand Si Ouali voulait dire une vérité, il s’exprimait dans un mauvais français accentué par un accent kabyle prononcé.

C’était fort à propos! Les vieux retraités avaient, pendant deux semaines, glosé sur la cherté de la vie, encore que certains d’entre eux étaient plus attentifs au cours de l’euro sur le marché parallèle que sur la mercuriale qui n’est plus affichée depuis la tragique disparition de l’Ofla. Les dissertations quotidiennes sur les spéculateurs, les récriminations à l’encontre d’un Etat impuissant, avaient épuisé tout l’intérêt des conversations.
Mais les ordures qui séjournaient deux ou trois jours dans les décharges et les cartons vides abandonnés le long des trottoirs par les commerçants non patentés avaient fini par soulever l’indignation des vieux émigrés. «C’est normal que nous soyons mal considérés partout!» avait surenchéri Aâmi El Hocine, qui, quand il tenait un bureau de tabac, ne manquait jamais de passer au peigne fin l’environnement de sa boutique: il balayait et arrosait la devanture.

«Je suis sûr que s’ils vivaient en Europe, ils ne se conduiraient pas comme cela». Par «ils» Aâmi El Hocine visait aussi bien les jeunes vendeurs de fruits et légumes juchés sur des sièges de fortune, que les balayeurs municipaux qui étaient d’une nonchalance désespérante. «Le Ramadhan a bon dos. Tout le monde se cache derrière pour ne pas faire son travail. Et tout ce beau monde va à la mosquée...Ah! Ah! Ne me parle pas de la mosquée, intervint Si Rezki! J’habite juste en face et je n’en dors pas». Si Rezki avait la réputation d’être un libre penseur, et les haut-parleurs de la mosquée poussés à fond durant les taraouih, l’incommodaient fortement. «Je ne peux même pas protester! Si je le faisais, je passerais pour un kafer.

Mais c’est insupportable! Côté sons, je suis bien servi, en plus des haut-parleurs assourdissants, il y a le grabuge que font les gosses tout l’après-midi et le soir. Jusqu’à minuit, ils sont dehors! Je ne comprends pas ces parents qui abandonnent leur progéniture: il y a les drogués, les malades. Et je ne parle pas de la soirée du match Algérie-Zambie où tout le quartier a été transformé en stade du 5-Juillet: un des squatters des caves avait sorti un téléviseur et tous les jeunes sont venus voir le match en groupe.

Quelle ambiance! Cris, hourras, sifflets, pétards. Cela a duré jusqu’à une heure du matin. Les gens ne font pas attention à la pollution sonore: ou bien ils sont sourds, ou bien ils viennent des bidonvilles. Cela finit par détruire l’équilibre d’un individu normal. J’ai envie de changer de quartier...

Au prix où est le mètre carré construit, il te sera difficile de changer. Ne te fatigue pas! Tous les quartiers populaires sont logés à la même enseigne: saleté, délinquance, pollutions...Ce n’est pas cela que tu verras à Hydra ou à Sidi Yahia. Que veux-tu? Il y a les Algé...riens et les Algé...rois», avait conclu Aâmi El Hocine en se levant et en pliant son petit siège.

Selim M’SILI

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