samedi 5 septembre 2009

Malaise du pays et sarcasmes des dirigeants

Plus tragique que la pauvreté, il y a le dénuement. Contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas jouer sur les mots, c'est-àdire jongler comme les littérateurs, que de s’efforcer d’illustrer un tel distinguo sémantique. C’est que les références en question renvoient, concrètement, à des conditions sociales tout à fait différentes. La première relève d’une sorte de dépréciation économique occasionnelle alors que la seconde exprime la détresse face à ce qui est perçu comme définitif. Une peine capitale au sens juridique de la formule.

Le point critique d’où l’on ne retourne jamais par soi-même. Le degré zéro du déclassement social. Le plancher de la société et la litière de la marginalité. Mais de cela, c’est-à-dire de ce tableau tragique d’un pan de la société, ce Premier ministre ironique et plein de certitudes en a-t-il pris la véritable mesure ? Sans doute que non, puisqu’il lui a suffi de réfuter par une phrase creuse toutes les critiques en évoquant avec un étonnant décalage «l’intérêt de l’Algérie» au moment où des cohortes d’Algériens se trouvent dans la plus intenable spirale de la survie.

Avec le retour d’une inflation qui avance inexorablement vers les deux chiffres (en une année n’a-t-elle pas progressé de 5,4% ?) et un tissu industriel qui produit de moins en moins de biens de consommation et opère par le dégraissage de l’emploi, l’Algérie de 2009 est assurément une immense friche. Un constat notoire et abondamment analysé par les experts mais auquel seul cet «inspiré» intendant ne veut pas souscrire. Comme il sied aux exorcistes de la politique, il n’a qu’une formule magique, «l’intérêt de l’Algérie» répètet- il, pour se soustraire aux blâmes des sans voix et sans ressources au nom desquels il prétend gouverner et administrer le bien public.

Et c’est finalement à cette rouerie d’apparatchik que se résument les prétendues compétences de ce genre de Premier ministre. Autant avec lui que du temps de ses prédécesseurs, les modalités de la gouvernance sont demeurées les mêmes. Celles qui recourent aux louvoiements par les discours et au mieux par la manifestation de la «générosité» de l’Etat lorsque la misère devient trop criante. Ce qui s’appelle péjorativement, la politique de la rustine là où il est attendu une stratégie globale et une visibilité de l’action.

C’est qu’en moins de dix ans, le tripatouillage économique, présenté initialement comme de la grande chirurgie, a profondément laminé d’abord le pouvoir d’achat pour ensuite accoucher de ces immenses troupeaux de déclassés sans aucune ressource. Compressés économiquement et «comprimés» socialement, on en retrouve des centaines parmi eux qui campent à la marge. Anciennes strates du salariat réduites à la mendicité. Tant il est vrai que le chômage de longue durée favorise les plus inconcevables clochardisations morales. Il n’est qu’à lire nos journaux pour être édifié sur ce malheur collectif.

Terrible enfer que l’on voudrait – pour les autres – qu’il soit pavé de bonnes intentions mais que l’on se garde de le nommer en tant que tel. Ah ! Ces «ministricules » incultes qui ont eu l’outrecuidance de nier cette réalité tout juste pour plaire. Qu’est-ce à dire si ce n’est que les responsables, devant l’ampleur du problème, préfèrent l’occulter. A leur niveau cela débouche sur une réflexion totalement déconnectée de l’état des lieux et seulement tendue vers des préoccupations plus clientélistes. En fait, la seule raison d’exister de la «tripartie» se justifie à travers cet échange de boutiquiers et qui ne concerne que les couches visibles et agissantes de la société. Un exemple, mais paradoxal celui-là, concerne la médiatisation actuelle de la prochaine revalorisation du SNMG. Pour respectable qu’elle le soit, cette question peut prendre des allures de diversion lorsqu’elle est examinée à travers le prisme des exclus définitifs.

Les sans ressources hors de tout sujet de discussion et que, politiquement, on confine dans la colonne : «pertes» irrécouvrables ! Autrement dit lorsque la presse décrypte les tenants et les aboutissants d’un possible pacte, elle ne s’intéresse qu’à l’ordre du jour des acteurs. Pour le patronat, négocier les garanties de l’Etat quant au crédit d’investissement et la fiscalité incitative pour l’emploi ; alors que le syndicat ne se focalisera que sur le volet du pouvoir d’achat. Il ressort donc de cette logique que ce partenariat décideur admet comme une évidence les dégâts du passé et ne sait se projeter que dans le présent. En considérant implicitement comme une fatalité, cette infra- humanité sansressources et sans recours, l’Etat commet une grave distorsion vis-à-vis de ses responsabilités. Ce désintérêt est d’autant plus grave qu’il ne concerne pas seulement quelques «niches» de grande misère. L’amplitude de cette dernière est telle qu’elle aurait dû, depuis longtemps, redevenir prioritaire. C’était aux pouvoirs publics de la traiter afin de gommer ce malaise social.

Or il l’ignore tout comme il continue à falsifier les statistiques qui en «parlent». Il est, certes, au-dessus des moyens de n’importe quel Etat de soigner tous les éclopés de sa société cependant il n’y a aucune raison morale de s’en détourner comme cela se passe chez nous. Au-delà de toute démagogie placée sous le label de la «solidarité», les pouvoirs publics avaient le devoir d’élaborer une véritable politique de réinsertion dans cette direction. Dans le contexte particulier qui est le nôtre, les perspectives économiques, encore oblitérées par la décennie de violence, sont toujours sombres.

De fait, l’Etat est le seul à même de mener une aussi vaste réinsertion. Car la conjonction du terrorisme, fut-il résiduel, et le chômage aggrave le désarroi et dissuade les partenaires, qu’ils soient sociaux ou économiques, de s’impliquer aux côtés de l’Etat. Sur ce sujet, beaucoup a été écrit qui souligne la symétrie de ces deux facteurs. «Le terrorisme, expliquait un sociologue, attaque directement la notion même de paix civile et place la survie de la communauté dans un état de menace permanente.

Le chômage, lui, remet en question de manière radicale l’idée de paix sociale. Il met également dans une situation précaire définitivement la survie individuelle.» De ce parallèle, le même chercheur tire ensuite la conclusion suivante : «Si la présence du terrorisme fige les relations sociales dans un Etat permanent de suspicion réciproque, le chômage, lui, divise le tissu social entre le cynisme et l’angoisse.» En identifiant tous les ingrédients du blocage de notre société (suspicion partagée, cynisme et angoisse), l’attente ne consiste-t-elle pas à développer des messages forts et concrets en direction des plus défavorisés ?

S’empêcher d’ironiser avec morgue, comme vient de le faire un Premier ministre, s’abritant dernière un patriotisme exclusif dont il serait le dépositaire, eut été la seule attitude intellectuelle capable de réconcilier, pour un moment, l’opinion avec la politique. Car devant une indicible misère l’on ne peut-être qu’un piètre politicien lorsqu’on a que le sarcasme pour riposte.

Par Boubakeur Hamidechi

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