samedi 5 septembre 2009

Les brebis galeuses

Quelque part sur les hauteurs de la Kabylie, un homme sans prétention et sans bruit a pris sur ses champs et ses deniers propres pour construire et promouvoir un théâtre de plein air ! Quand on sait ce que représente un lopin de terre dans ces contrées sans… terre et l'attachement quasiment charnel de leurs habitants qui ont accumulé des siècles de frustrations de ne pas trouver où mettre le pied, quand on sait que l'un des obstacles les plus féroces au développement de cette région est précisément l'indigence de ses réserves foncières au point où des écoles et des projets majeurs n'ont pas trouvé d'assiette d'accueil, on comprendra ce que ça en a coûté à cet «extra-terrestre» de consacrer un lopin à une entreprise aux allures de folie furieuse.

Il l'a pourtant fait. On ne connaît pas encore son niveau de fonctionnement et ce qu'il a changé dans la vie de la localité, mais on sait déjà la beauté du geste et sa teneur. Cet homme est de la lignée des grands bâtisseurs. Son mérite est d'autant plus grand qu'à aucun moment il n'a songé à se mettre sous les feux de la rampe.

Il n'a pas parlé, il a fait. Et les faiseurs de bonheur ne parlent pas. Le problème est qu'on ne parle pas d'eux. Loin de la Kabylie, dans une petite ville de l'ouest, un vieux cadre supérieur en retraite qui a fui Alger et ses bruits pour se retirer dans la maison familiale avec comme seul trésor accumulé des milliers de livres a fait de la plus grande pièce de la bâtisse une bibliothèque ouverte à tous.

Jeunes et moins jeunes de la bourgade viennent consulter ou emprunter des livres, avec en prime, l'eau et le café. A ses amis les plus proches, il raconte avec une fine pointe d'humour qu'il fallait bien servir à quelque chose à l'automne de sa vie, puisqu'il n'a pas l'impression d'avoir été d'une quelconque utilité pendant les trente- cinq ans qu'il a passées dans le bureau d'un ministère.

Ces deux hommes – il doit sûrement en exister d'autres – sont l'illustration de l'utilité discrète et désintéressée comme on en fait de moins en moins dans un monde de plastronades et d'obséquiosités. Ils ont ouvert des espaces de bonheur simple dans un océan de cupidité. Au nez et la barbe des vautours, ils ont installé un pan de vie là où la mort pensait régner sans partage. Et la vie, on n'en parle pas, on la vit.

Slimane Laouari

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