mercredi 16 septembre 2009

La rentrée du père

Noureddine est un ancien camarade de lycée. Nous avions passé cinq années sur les mêmes bancs du lycée où nous avions promené notre ennui entre les déclinaisons latines et les équations à plusieurs inconnues.

Noureddine a le malheur d’habiter la même cité populeuse et populaire que moi. Et moi, j’ai la chance de le rencontrer de temps à autre, sur le chemin de l’inévitable marché où tout le monde se rend au moins une fois par jour pour se faire rançonner.

Noureddine est, contrairement à moi, complètement introverti: il n’est pas du genre à laisser paraître ses sentiments. Il n’est pas exubérant et sans être froid, il est très réservé. D’ailleurs, il a choisi un métier qui convient à son tempérament: professeur d’architecture.

Pourtant, un jour de septembre comme celui-ci, maussade et chaud, il me confia alors que je lui demandai ses impressions sur la rentrée: «C’est maintenant que je me sens vraiment vieux!» Il n’avait pas tort de le dire parce qu’il avait perdu ses cheveux très tôt et son caillou brillant lui donnait un peu plus que son âge.

«Figure-toi que je viens d’inscrire mon premier fils à l’école. Cela fait une drôle d’impression de me retrouver tout d’un coup ‘‘de l’autre côté’’, dans le camp des parents d’élèves. Cela fait une drôle d’impression! Comme une nouvelle responsabilité à assumer! Dire que pendant des années, je me suis contenté de me présenter à l’école avec mon cartable et mon tablier neuf sans penser à tous les soucis que cela pouvait engendrer à mes pauvres parents.

C’est maintenant que je me sens vraiment dans leur peau et il y a comme un malaise. Dire que je devrais de temps en temps venir discuter avec l’institutrice et m’enquérir des progrès de mon rejeton. Je vis déjà cela comme une lourde corvée.»

Je le rassurai en lui disant que tout cela est dans l’ordre naturel des choses et comme le disait un vieil ami de mon père qui citait Robert Lamoureux (le seul Français qu’il jugeait digne d’être cité): «La vie, chacun son tour.» «C’est le cycle naturel des choses! Pense au moins à la chance qu’a ton fils! Il a un père qui a un certain niveau intellectuel, qui est passé par l’école, le lycée, l’université et qui a assez de bagages pour discuter avec les enseignants ou même le directeur d’école.

Compare un peu à la situation inconfortable de nos parents quand nous avions atteint l’âge d’aller à l’école: ils étaient pauvres, analphabètes et ils étaient même complexés de se retrouver devant l’instituteur! Ils ne parlaient pas le même langage et n’étaient pas du tout issus du même milieu, à part quelques rares exceptions, bien sûr.

Alors, le directeur, lui, leur inspirait même beaucoup de respect. Ils considéraient sa parole comme une vérité officielle...»

Noureddine n’était pas du tout rassuré. Il reprit sur le ton de la confidence: «Tu sais, ce qui m’inquiète et m’indispose en même temps, c’est de voir des barbus et des femmes en hidjab dans une cour d’école! De notre temps, il n’y en avait pas!»

Selim M’SILI

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