samedi 26 septembre 2009

Écriture de l’Histoire : l’ONM nouveau censeur ?

Sans la positive curiosité de quelques journalistes, l’information serait passée inaperçue. Une nouvelle aux conséquences fâcheuses pour la liberté d’expression en général et le magistère des historiens en particulier. Les rares journaux à en avoir rendu compte et surtout commenté s’étaient d’ailleurs arrêtés sur son caractère foncièrement antidémocratique (1). Mais tout d’abord que l’on se rassure.

Si la presse dans sa majorité n’en avait pas parlé, la faute était imputable au pouvoir qui, communiquant tellement mal, est devenu indécryptable. Même son agence de presse officielle n’est pas en reste qui répercute sur son «fil» une littérature bureaucratique compassée sans même se donner la peine professionnelle de l’éclairer par des exergues de soutien. Glissons donc sur cette insignifiance notoire de sa communication et arrêtons nous sur la proposition quasi indécente que vient de faire le chef de l’Etat au ministre des Moudjahidine lors de son récent «oral».

Ainsi a-t-il été question d’affecter à ce département et à sa filiale, l’ONM, le monopole de la supervision de travaux historiques relatifs au mouvement national. Autrement dit, le sceau exclusif de l’imprimatur sur un domaine relevant de la recherche universitaire. Une énorme atteinte à la fois au pré-carré académique et un détournement du domaine immatériel de la mémoire collective qui, dans tous les cas de figure, relève de la propriété publique. Pour peu qu’en haut lieu l’on parvienne à mettre en place cette singulière institution censitaire alors il faudra craindre, comme autrefois, pour le destin du moindre opus.

En commençant par le réexamen du passé, dont on sait qu’il est une source inépuisable de controverses, le pouvoir ne pourra qu’étendre sa tentation de l’auto-daté à toutes les œuvres de l’esprit. Alors que l’on pensait, au lendemain d’octobre 1988, qu’il allait devenir enfin possible de s’interroger sans passion sur le passé de ce pays et que les présupposés idéologiques allaient s’effacer et libérer l’histoire de son carcan mystificateur, nous revoilà revenus aux inquiétudes d’antan parce que les règles que l’on prépare ont tout simplement été exhumées des vieux placards de la pensée unique.

Contraindre les historiens es-compétences à devenir des faussaires et, au mieux, à passer sous silence les moins héroïques des événements du passé, c’est ce qui constituera la ligne rouge de leurs futurs travaux. Finis, bientôt, les scrupules du chercheur soumettant à la «question» le moindre document avant de l’authentifier. Place, bientôt, aux notaires de l’Histoire plus disposés à verser dans la geste épique qu’à délivrer des messages sobres et objectifs. Ces clercs qui s’empêcheront d’interpréter par euxmêmes et préféreront transcrire et, pis encore, transfigurer les faits. Ainsi l’on s’efforcera de brider les travaux les plus compromettants relatifs à des méfaits d’acteurs que l’on a pourtant «panthéonisés» pour le bon usage du régime.

Car enfin de quelle autorité intellectuelle pourrait se prévaloir l’ONM au point de se voir investir de cette mission ? Elle dont la réputation est politiquement sulfureuse, de quelle nature est son onction éthique pour attendre d’elle qu’elle se hisse au-dessus de contingences du présent et éconduire les préposés à l’instrumentation ? A son sujet, son long, très long, compagnonnage avec tous les pouvoirs a fini par la discréditer. Peuplée de gérontes — comment peut-il en être autrement ? —, n’a-telle pas exercé les pressions les moins justifiables contre la moindre critique atteignant le pouvoir du moment ?

De Boumediène à Bouteflika en passant par Chadli, Boudiaf, Kafi et Zeroual, elle monnaya au prix fort sa disponibilité avec la morgue patriotique en prime. Prompte à témoigner à décharge dans tous les procès mettant en cause le régime en place, elle les gratifia finalement de tous de superlatifs patriotiques. Maintes fois aussi, elle désigna à la vindicte des opposants qu’elle n’eut aucun état d’âme à qualifier d’aventuriers antinationalistes. Par obédience sectaire, elle n’hésitera pas à jeter la suspicion sur le passé de véritables compagnons d’armes tout à la fois pour demeurer dans les bonnes grâces du régime qui le lui a demandé et dans le même temps «tuer» politiquement un témoin de leurs turpitudes.

Le propos est sans aucun doute féroce mais est-il pour autant injuste dans sa signification globale ? L’immunité attachée au passé de ses sympathisants n’est pas étrangère à son éloignement des préoccupations du pays pour ne s’y intéresser qu’à sa proximité avec les pouvoirs. Abusée jusqu’à s’organiser en «société à responsabilité illimitée », au sein même de la communauté nationale, n’estelle pas plutôt semblable à une «loge maçonnique» qu’à une amicale des rescapés de l’enfer, uniquement soucieuse d’entretenir le grand souvenir ? Et cela loin des calculs et des appétits de pouvoir. Hélas, ce devoir de mémoire qui lui échoit depuis une quarantaine d’années n’a-t-il pas été mis au service des pouvoirs politiques qui sanctifièrent qui ils voulaient et raturèrent les noms de certains autres.

Pour l’anecdote, demandez à Ali Kafi, son ex-secrétaire général, qui tout au long de ses mandats ignora superbement Boudiaf jusqu’au jour où il se retrouvera parmi ses assesseurs au HCE puis devint son successeur, demandez-lui donc si une seule fois il a eu à évoquer le nom de ce commandeur de 54 lors des multiples célébrations qu’il présida auparavant ! C’est dire que l’ingratitude même dans le souvenir y était une règle. Démonétisant ce qui restait, après octobre 1988, de rectitude morale encore attachée à sa vocation peut-elle aujourd’hui, en l’an 2009, s’autoriser un autre viol de la mémoire historique de ce pays en prétendant savoir la promouvoir ?

Certes ce n’est d’abord pas à elle d’adresser la question et qu’il faudra se tourner vers le chef de l’Etat pour le questionner sur ses retentions, mais enfin l’on pouvait bien imaginer que le premier mandataire des anciens combattants fit enfin preuve d’humilité (patriotique celle-ci) pour décliner une telle mission. Rien de cela n’a eu lieu au cours de cet oral de Ramadan. Le ministre a pris simplement acte de la proposition présidentielle.

A leur tour, les chercheurs doivent en réfuter par avance les arrière-pensées qui sous-tendent la promotion d’une histoire officielle. C’est-à- dire le retour à l’exaltation sans retenue et à l’instruction civique étriquée avec pour unique souci de gommer les aspérités peu convenables pour le régime. Ainsi donc, les manuels d’histoire de nos petits enfants attendront encore longtemps avant de devenir des sources de connaissance du passé.

Par Boubakeur Hamidechi

(1) Seul El-Watanlui consacra un article en dernière page où l’on pouvait lire les avis de deux historiens : Omar Carlier et Daho Djerbal.

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