Depuis la fin du Ramadhan, le secteur de l’alcool est dans la
tourmente. En quelques semaines, des dizaines de bars et de débits de
boissons ont été contraints de fermer sous la pression du voisinage ou
de l’administration, comme à Tizi Ouzou.
La petite ville côtière de La Madrague, à l’ouest d’Alger, a connu
des violences autour de lieux de vente d’alcool clandestins. Deux
prédicateurs islamistes, dont un des leaders de l’ex‑FIS, ont lancé un appel aux Algériens pour qu’ils exigent dans leurs quartiers la fermeture des bars et débits de boissons, qui ont « corrompu notre jeunesse, détruit ses principes et ses valeurs islamiques », selon eux.
Les observateurs voient derrière ces évènements l’illustration du
conflit qui oppose les tenants d’un rigorisme religieux – pour qui
l’alcool doit être interdit par principe car sa consommation et son
commerce seraient contraire au dogme – et les défenseurs d’une liberté
de choix et de comportement. Pour ces derniers, il est inacceptable que
Sahnouni et consorts s’arrogent le droit de dicter une conduite aux
Algériens. Ce conflit confirme qu’en Algérie, la question de l’alcool
n’a pas encore dépassé les considérations idéologiques et religieuses.
Pourtant il s’agit d’un fait de société comme les autres. Les
Algériens consomment de l’alcool, qui a généré un marché et un secteur
économique. Et avec cette logique de clash idéologique, on oublie de se
poser les vraies questions que soulève la consommation d’alcool dans le
pays.
L’alcool n’est pas un produit comme les autres. Il peut entraîner
une dépendance et provoquer des maladies graves. L’ivresse sur la voie
publique peut conduire à des actes de violence, à des accidents. Or,
l’alcool n’est jamais considéré en termes de sujet de santé publique.
Comme la consommation d’alcool reste un tabou (elle est réservée aux
bars sombres et demeure confinée à l’abri des regards) il n’existe par
exemple aucune prise en charge institutionnelle des personnes
dépendantes, à l’image de ce qui se fait dans les pays développés. Il
n’existe pas, non plus, de campagne de sensibilisation aux dangers de
l’alcool au volant comme on en voit tous les ans sur les chaînes de
télévision françaises par exemple. Sur ce plan, la législation est
exclusivement répressive avec de fortes peines de prison administrées
aux automobilistes arrêtés en état d’ivresse.
On voit bien le dilemme des autorités. Soulever ces problèmes
pourrait être interprété comme une trop grande tolérance à l’égard de
l’alcool alors qu’une partie de la société reste hostile à sa
consommation. Il est d’ailleurs significatif de voir que les autorités
n’ont pas réagi aux déclarations des deux "prédicateurs". Même la
réponse du premier ministre Ahmed Ouyahia, interpellé sur les
conséquences pour l’emploi des fermetures des bars et débits de
boissons, a été censurée par l’ENTV.
A la manière d’une image provocatrice qu’un certain type de spectateur
algérien ne pourrait supporter. Comme si prononcer le mot alcool à la
télévision nationale n’était pas envisageable. C’est la stratégie de
l’autruche, la négation d’une réalité de la société algérienne, qui est
peut‑être compréhensible de la part de religieux rigoristes mais
irresponsable de la part de l’État.
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