mercredi 12 octobre 2011

Ce que pensent nos cadres et nos entrepreneurs de la situation économique nationale

Notre propos d’aujourd’hui est une simple restitution de discussions et d’échanges que nous avons pu avoir avec des cadres gestionnaires et des entrepreneurs de différents secteurs d’activité économique. Ces deux dernières semaines, l’occasion nous a été offerte de discuter, à des moments différents, avec ces cadres et ces entrepreneurs particulièrement sur l’état de notre économie nationale et les perspectives de son évolution.

Sans avoir valeur de résultats d’un sondage d’opinion réalisé dans les «règles de l’art», les remarques et observations formulées par ces gestionnaires m’ont semblé intéressantes à résumer et à restituer aux lecteurs car touchant à des problèmes réels dont souffre notre économie. Deux grandes questions revenaient à chacune de mes discussions et semblaient préoccuper particulièrement mes différents interlocuteurs.

• D’abord la question des perspectives économiques de notre pays, ensuite celle de la situation des cadres et de l’élite algérienne notamment notre jeune élite. S’agissant de l’économie, gestionnaires et entrepreneurs pensent que nous avançons dans ce domaine, «sans boussole», sans «perspectives claires» et avec de grandes difficultés de lisibilité. L’exemple qu’ils ont le plus cité est celui de l’industrie : l’Algérie, qui se caractérisait avant toute chose par son ambitieuse politique d’industrialisation et ses objectifs clairement affichés, n’a plus de politique industrielle. «Que devons-nous faire dans ce domaine pour renouer avec notre projet industriel ?» s’interrogent les entrepreneurs qui n’ont plus de repères pour leurs actions.

Un autre secteur économique les préoccupe : l’agriculture : «Quelle est exactement notre politique agricole à moyen et long terme et comment devra-t-elle s’articuler aux autres choix économiques et sociaux qui attendent d’être arrêtés, sachant que notre dépendance alimentaire ne fait que s’aggraver ?» De même, quelle stratégie devrions-nous mettre en œuvre dans le secteur de l’énergie et des hydrocarbures, mamelles nourricières du pays surtout que l’on nous annonce la fin du pétrole pour bientôt ? Est-ce que l’objectif de «maximisation des recettes de l’Etat» sans cesse répété par nos gouvernants peut remplacer l’élaboration d’une véritable stratégie pour le secteur ? De façon plus globale, cadres gestionnaires et entrepreneurs posent la question de savoir quel est le mode d’accumulation, c’est-à-dire plus simplement, la politique d’investissement que nous devons promouvoir et qui tienne compte de toutes les nouvelles données nationales et surtout mondiales. «Il ne suffit pas d’investir, il faut aussi savoir le faire, c’est-à-dire savoir choisir les secteurs et les branches les plus porteurs ainsi que les technologies les plus appropriées, notamment à l’objectif de compétitivité. »

Mes interlocuteurs ne s’expliquent pas ce «lourd silence» sur toutes ces questions et cette absence de «réflexion sérieuse sur une esquisse de développement de moyen/long terme qui puisse tracer à l’économie nationale un chemin de croissance orienté sur des objectifs précis, comme on a su le faire au début des années 70». «Nous avons bien pourtant un ministère chargé de la prospective » se sont-ils exclamés ! Mes interlocuteurs ont été sans complaisance. «Nous n’avons jamais été aussi peu imaginatifs et aussi immobiles. Est-ce que développer un pays c’est engranger des ressources financières jusqu’à ne plus savoir quoi en faire ? Est-ce que développer un pays, c’est surveiller ses équilibres financiers externes ? Et, disent-ils, «équilibres par rapport à quoi ?!» L’inquiétude chez ces forces vives de l’économie est grande face à «cette incapacité qui semble frapper ceux qui sont aux affaires et qui se plaisent «à ne regarder que le guidon» nous faisant «prendre le risque à nous tous d’aller dans le mur».

La situation économique et sociale actuelle interpelle tout le monde et exige une grande délibération sur les grandes options économiques du pays et surtout sur «les voies et moyens à même de remobiliser les Algériens sur ces nouveaux choix à arrêter». Les entrepreneurs pensent que «la résolution des questions politiques par une grande ouverture nous aidera certainement à progresser dans la construction d’une économie forte et compétitive». «De même, affirment-ils, une grande partie de ces problèmes politiques ont leur solution dans une bonne gestion de l’économie et nos décideurs ne semblent pas avoir compris cela ! Ouverture politique et progrès économiques vont de paire».

Le second problème qui inquiète beaucoup les cadres gestionnaires, beaucoup plus d’ailleurs ces derniers que les entrepreneurs, est celui qui a trait à leur situation et plus exactement à leur statut social dans leur pays. Première constatation : un nombre considérable de quadras et de quinquagénaire sortis de grandes écoles et dotés de compétences et d’expérience chèrement acquises sont purement et simplement renvoyés dans leurs logements pour être remplacés par des personnes, pas forcément plus jeunes mais surtout beaucoup moins qualifiées. Les critères de la fidélité politique et de la servilité semblent plus en vogue encore aujourd’hui qu’ils ne l’étaient du temps du parti unique. Le gâchis est bien sûr énorme et le coût que supporte le pays est lourd, très lourd.

• La seconde inquiétude qu’expriment les cadres que nous avons rencontrés est celle qui a trait à cette «saignée» de compétences nationales notamment les jeunes bardés de diplômes poussés à l’émigration «n’ayant plus rien à faire ici» de par la volonté de certaines personnes qui se sont accaparées certains centres de décision. Tous ces cadres forcés à l’émigration font partie, dans la grande majorité des cas, de l’élite algérienne et sont, de par leurs profils, accueillis sans difficulté au Canada, en France, aux USA ou encore dans les pays du Golfe.

• Troisième observation : les jeunes diplômés algériens aspirent tous à aller faire valoir leurs compétences. Pour ceux qui doutent encore de la vigilance des Algériens quant à l’évolution de leur société et qui pensent que les «forces vives» ont baissé les bras, ces discussions et ces échanges qu’on a pu avoir avec notre «technostructure» montrent bien que son silence n’est pas du défaitisme et que «la remobilisation pour remettre le paquebot Algérie en haute mer ne dépend que de la prise de conscience de ceux qui sont à la barre» pour reprendre ce que nous disait un ancien haut fonctionnaire aujourd’hui observateur attentif des souffrances de sa société.

Par Abdelmadjid Bouzidi

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