dimanche 14 février 2010

La fatalité de Métis

Je crois que le mythe de Métis est toujours à méditer. Métis signifie en grec ancien, quelque chose comme «la ruse, le conseil». Cette Océanide, fille de l’océan, est présentée par Hésiode (poète grec du VIIIe siècle avant J.-C., environ vers -700. auteur entre autres de les Travaux et les jours), dans les écrits duquel elle apparaît la première fois, comme celle «qui sait plus de choses que tout dieu ou homme mortel».

Elle personnifie à la fois la sagesse et l’intelligence rusée. Magicienne, elle fut la première femme de Zeus. Les dieux avaient la fâcheuse habitude d’avaler tout bonnement celles et ceux, humains ou dieux, qui les contrariaient. Métis reçut ainsi la mission de son époux, Zeus, de préparer une mixture vomitive destinée à Cronos, le maître du temps, fils d’Ouranos, le ciel, et de Gaïa, la terre, afin qu’il régurgite les enfants qu’il avait avalés. Cela fait, Cronos fut détrôné par eux puis jeté dans les profondeurs du Tartare.

C’est Zeus, son fils, qui le remplaça sur le trône au terme de ce qu’on appellerait un coup d’Etat. Mais tandis que Métis était enceinte d’Athéna, Ouranos et Gaïa, les grands-parents en quelque sorte, prévinrent Zeus que son épouse allait accoucher d’un fils qui le détrônerait comme lui-même avait détrôné Cronos, son père, perpétuant ainsi l’héritage familial du coup d’état. Pour enrayer cette fatalité de devoir perdre son trône du fait de son propre fils exerçant la force brutale, Zeus résolut le problème à la source.

Ni d’une ni de deux, il avala la mère. Comme ça, au moins, il savait où elle se trouvait. Ce fut pour lui tout bénéfice car outre le fait d'empêcher la venue au monde du tyran putschiste, il réalisa un placement. Du fond de ses entrailles où désormais elle aurait ses appartements, Métis allait aider le maître de l’Olympe à discerner entre le bien et le mal. Mais les choses ne se passent jamais comme on les prévoit.

Même les dieux sont contrariés. Métis incarcérée dans ses boyaux, il fallait bien que l’enfant sorte de quelque part. Quelques mois plus tard, alors qu’il se trouvait au bord du lac Triton, Zeus ressentit de violents maux de tête. Il fit quérir le dieu forgeron Héphaïstos ou Prométhée, selon les auteurs. Zeus reçut un coup de hache qui lui ouvrit le crâne d’où jaillit Athéna armée d’une lance et d’un bouclier en poussant un cri de guerre qui, depuis, n’a jamais cessé de retentir chez les humains.

C’est que Métis avait conçu sa fille en même temps que son armure. Et c’est armée de pied en cape que naquit celle qui allait devenir la déesse de la guerre et de la sagesse. Elle rejoignit bien entendu par hérédité l’Olympe où elle occupa une place privilégiée, celle de favorite de son Zeus de père. Tout comme ce dernier, elle eut entre ses mains l’égide et l’usage du bouton atomique d’alors, c'est-à-dire le lancement de la foudre et du tonnerre. Pourquoi Métis et maintenant ?

A vrai dire, je ne sais pas trop. Une sorte d’intuition de la nécessité de revenir aux sources mythologiques pour mieux comprendre cette espèce de farce de l’Histoire qui se répète. On n’aura rien inventé, évidemment. Réfléchir, c’est sans doute interpréter ou, encore mieux, changer le monde qui se construit sur ce qui est déjà en place depuis le début. Métis est un double symbole : celui de la ruse et de la sagesse, de même que sa fille Athéna est celui de la guerre et de la paix et de bien d’autres choses encore.

Cette tradition des pères qui mangent leurs enfants pour n’avoir pas à être destitués par eux est une des permanences de l’histoire politique de l’humanité. Avaler. Ingérer. Bouffer. Manger. Mastiquer. La symbolique de la disparition par l’assimilation, qui est un processus digestif, marque l’histoire du pouvoir. Car c’est bien de ça qu’il s’agit. Ah, le pouvoir. Depuis que les hommes ont compris qu’avoir le pouvoir sur l’autre est une façon de ne pas l’avoir sur soi, la lutte est devenue féroce.

Aucune histoire de pouvoir, de quelque taille que ce soit, quelque communauté qu’elle concerne, n’échappe totalement à la fatalité de Métis. Prévoir et prévenir sont à la fois antagoniques et complémentaires. La ruse et la sagesse sont parfois les deux faces de la même stratégie de pouvoir. Quand on le prend par la force ou par la ruse, on le perdra de la même manière même si l’on enterre la mère du putschiste au fond de soi.

C'est-à-dire là d’où rien ne sortira sans qu’on le sache et le veuille. Qui est Métis et qui est Zeus et qui avale qui dans notre fiction nationale ? Etant mythique, Métis peut ne pas être féminin, bien entendu. La suite, chacun la construira comme il lui convient. C’est l’avantage et l’inconvénient de la fiction. Elle sort de l’imaginaire et s’adresse à lui. Parfois, bien entendu, elle rencontre la réalité et elle l’épouse. Mais c’est rare. Métis doit être encore au fond des boyaux d’un Zeus qui ne souffre pas de maux de tête.

Par Arezki Metref

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