mercredi 23 septembre 2009

Pédagogie

Il y a des questions qui se posent depuis si longtemps et auxquelles on ne trouve nulle réponse satisfaisante: alors, on les range de côté et on ne se les pose plus, espérant qu’un jour, une étincelle venue du ciel, (ou d’ailleurs) viendra faire la lumière sur de ténébreuses affaires. La question qui m’a le plus tarabusté est celle qui est liée aux évènements de la guerre de Libération: pourquoi, dès 1955, l’ALN avait-elle commencé à incendier les écoles dans les villages les plus isolés et les plus démunis? Il faut préciser à ceux qui n’ont pas connu la montagne, que l’école était le seul édifice témoin de la présence de l’Etat: il n’y avait ni dispensaire, ni commissariat, ni pharmacie, ni cabinet médical.

Tout était concentré dans le chef-lieu communal où la présence coloniale s’affirmait à tous points de vue. Certains répondront que c’est pour marquer le refus de la présence française et de sa culture qu’on avait pensé d’abord détruire les symboles et les outils de l’acculturation (on a bien détruit des maisons de la culture-appelés foyers-ruraux!). D’autres vous diront que les écoles, étant les seuls bâtiments solides (les maisons des montagnards étaient des masures construites alors en pisé ou en torchis) et que l’armée française les auraient occupées un jour ou l’autre...

Bref, dans les villages isolés où les écoles ont été détruites, les plus affectés furent les plus démunis, ceux qui n’avaient ni de la famille en ville ni les moyens d’envoyer leurs enfants dans un village voisin. Notre école a eu de la chance. Nous avons eu le bonheur de la garder intacte jusqu’à l’Indépendance. Elle était composée de deux grands bâtiments blancs noyés dans la verdure exubérante d’un grand jardin habilement entretenu. Si, dès les premiers coups de feu, certains enseignants, par prudence, ont quitté le village pour la métropole, d’autres par contre, ont été expulsés par le pouvoir colonial lui-même parce que c’étaient des militants du Parti communiste.
Mais le plus étonnant, c’est que même après le déclenchement de la guerre de Libération, d’autres instituteurs ont continué à venir, amenant dans ces coins reculés longtemps livrés à l’obscurantisme et à la superstition, un peu de la lumière cartésienne dispensée par l’école laïque et républicaine. Et c’est grâce à cela que nous eûmes notre petite part de «butin de guerre», selon la formule consacrée de Kateb Yacine.

Et il faut rappeler que l’école laïque fut une école pré-révolutionnaire non seulement grâce à la qualité des enseignants acquis pour la plupart aux idées de gauche, mais aussi grâce à la qualité des programmes qui réservaient une bonne place à la Révolution française de 1789, qui est le ferment de toutes les révolutions postérieures.

Il y a une anecdote qui m’est restée particulièrement en mémoire: elle concerne celle liée à mon dernier instituteur, M.Pons, originaire du Languedoc, qui nous enseigna en histoire les principaux évènements de la période trouble de la France révolutionnaire. C’était quelques mois après les évènements du 13 mai 1958 date à laquelle certains ultras s’organisèrent en «Comité de salut public».

Dans notre pauvre commune, la mairie, qui n’avait en son temps connu que des conseils municipaux progressistes, avait été livrée par l’armée à quelques pieds-noirs qui fondèrent avec renfort de publicité leur comité de salut public.

Quand notre instituteur qui, pédagogiquement parlant, ne faisait jamais référence aux évènements douloureux qui secouaient le pays, nous parla de ces comités de salut public créés en 1789, je me suis levé et lui ai dit: «Comme celui qui vient d’être créé à la mairie de M...!» Il me jeta alors un regard éloquent où étaient mêlés l’amusement et la satisfaction. Il me répondit d’un air narquois. «Ah non! mon pauvre ami. Rien à voir avec ces comités-là». Je compris ce jour-là que notre instituteur était de notre bord.

Selim M’SILI

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