mercredi 23 septembre 2009

Hicham Baba Ahmed (HIC). Caricaturiste : « Je m’autocensure involontairement »

- Nage dans ta mer est votre premier album. Vous en ferez d’autres...

Les dessinateurs en Europe publient chaque année un album de dessins de presse. C’est l’aboutissement d’une année de travail. J’ai même envie de dire que ce n’est même pas un événement éditorial. Dans Nage dans ta mer, il y a un concentré de trois années de publication (2006, 2007 et 2008). A partir de janvier 2010, je me suis arrangé avec mon éditeur, pour publier un album chaque année, à commencer par celui de 2009. J’espère que ça va ouvrir la voie aux autres dessinateurs pour faire de même. L’album est une sélection des meilleurs dessins. Nous avons une moyenne de 300 dessins par an. On ne peut pas tout publier. Il y aussi de mauvais dessins.

- Et c’est quoi un mauvaise dessin ?

Le dessin est subjectif. Parfois, la moitié des Algériens adore un dessin et l’autre moitié le déteste. Quand on fait un bon dessin, on n’est pas tout à fait conscient qu’on en a fait un, mais quand on fait un mauvais, on sait qu’il en est un ! C’est dû à l’inspiration du jour, arrivé en retard au travail, mal réveillé... J’ai l’impression que l’inspiration est quelque chose de mystique. Etant professionnel depuis quelques années, on peut éviter facilement le syndrome de la feuille blanche. Quand on devient professionnel, il y a une mécanique qui s’installe permettant de s’en sortir.

- Nage dans ta mer, pourquoi ce titre ?

C’est une proposition de SAS (Sid Ahmed Semiane) qui a écrit la préface. Le titre d’un livre est toujours délicat. Il faut qu’il ne soit ni trop long ni trop court. Le titre est le résultat d’un brainstorming avec SAS. Il a m’a proposé Nage dans ta mer, parce qu’il avait vu le choix du dessin de couverture et il m’a dit que ça collait. « Oum bahrak » est une expression algérienne qui symbolise beaucoup de choses. En fait, j’ai sélectionné trois ou quatre dessins pour la couverture et que j’ai proposés à l’éditeur. Je n’étais pas obligé de le faire. Et puis, le choix est tombé sur celui là. El harga est un phénomène actuel qui prend de l’ampleur

- Avez-vous des lignes rouges dans vos dessins ?

Je défie quiconque qui pourrait prétendre ne pas avoir de lignes rouges. « Lignes rouges », cela ne veut pas dire peur de la justice ou peur d’un tel, cela dépend de la personne, de son éducation et de son comportement. Je m’autocensure involontairement parce que je sais que nous sommes dans une société qui n’accepte pas certaines choses, et qu’on le veuille ou pas, je fais partie de cette société. Je n’ai pas à faire ce que cette société rejette. Les lignes rouges existent partout. Il n’existe pas de sujets que je ne peux pas aborder à part les représentations religieuses. Nous avons eu l’épisode des caricatures danoises, etc. Mais là, c’est la Constitution qui nous l’interdit, ce n’est même pas la religion. Au même titre qu’un Français ne peut pas faire un dessin sur la Shoa. Ils ont leurs interdits, nous avons les nôtres. C’est tout. Je ne peux dessiner le prophète Mohamed, cela ne me frustre pas plus que cela (...) Il n’y a pas de principe de liberté d’expression intégrale. C’est une utopie. La preuve, nous l’avons vécu avec les dessins danois, l’épisode Dieudonné et Siné qui ont subi la censure en France… En Europe, il existe une justice indépendante et une presse institutionnalisée qui maintiennent l’équilibre. Chez nous, si quelqu’un s’aventure à faire un dessin pareille, il subit le lynchage. C’est un risque. On ne pas compter sur la justice ou sur un soutien
- Hic a-t-il subi la censure ?

Oui, mais pas ces dernières années. Honnêtement, au Soir d’Algérie, je n’ai jamais été censuré. Au début de ma carrière, oui. Au Matin, il y avait deux périodes. La première période, on a dû me censurer. C’était plus de mauvais dessins qu’autre chose. Je ne me rendais pas compte à l’époque. Ensuite, au cours de la deuxième période, où j’avais une liberté immense, aucune censure. Donc, si je ne me souviens pas de certains dessins censurés, c’est que c’était rare.L’avantage de la technologie fait que les lecteurs réagissent vite aux dessins. Auparavant, nous n’étions pas en interactivité avec le lecteur. Quand un lecteur envoyait une lettre, le temps qu’elle arrive, le dessin aurait eu huit mois de parution. Là, le lecteur rebondit instantanément. Le dernier dessin sur les dix-huit millions d’Algériens qui vont vivre en France en 2050 a suscité des réactions critiques. Il a été mal compris. J’ai reçu une avalanche de mails, à 90%, venant de personnes vivant en France.

- Et quel regard portez-vous sur la caricature en Algérie ?

Il y a des hauts et des bas. La caricature en Algérie n’est pas un métier à part entière. On est toujours assimilé à des journalistes, or, on ne l’est pas. Nous faisons dans le commentaire, dans la parodie, nous avons un côté artistique. Il faudrait que la profession reconnaisse d’abord ce métier de dessinateur-éditorialiste ou dessinateur de presse pour qu’on puisse, nous dessinateurs, avoir des publications. Les dessinateurs veulent bien avoir une publication à eux où il y aurait 20 dessinateurs et 2 journalistes. L’inverse d’une rédaction classique. Il y a eu El Manchar et l’Epoque, donc, c’est possible de le faire. Cela va nous permettre d’avoir des manifestations. Il est malheureux de constater qu’il n’existe pas d’expos de dessins de presse, de festivals ou de prix annuels, comme cela existe au Maroc.

- Il paraît que vous avez un projet de revue...

Oui, c’est une revue mensuelle de bande dessinée. C’est un autre exercice. Le titre choisi est provisoire. Nous n’avons pas encore tranché. Pour le moment, le titre retenu est El Bendir. Comprenne qui voudra. La revue aura une dimension continentale puisque des dessinateurs africains, contactés durant le Panaf, participent au projet. Avec le Festival de bande dessinée (Fibda) d’octobre, nous allons contacter des dessinateurs d’autres continents pour qu’ils nous donnent un coup de main dans l’élaboration de la revue. On espère réellement donner une allure internationale à la revue. Nous sommes déjà une dizaine de dessinateurs à y contribuer déjà.
- Existe-t-il une relève dans le domaine du dessin de presse ?

Oui. Notre génération, Dilem, Hic et d’autres sont la relève de ceux qui nous ont précédés, Slim, Aider et d’autres. Personnellement, je connais les travaux de cinq dessinateurs qui n’ont pas plus de 25 ans et qui font de l’excellent travail. Comme Islem, Todji (une jeune découverte du Fibda), Sidou. Des jeunes qui font dans le contemporain. Ils collent à leur époque avec l’allusion au manga. Peut-être que cela ne nous plaît pas tout de suite, mais c’est très actuel. Mon modèle était Slim, le dessinateur le plus productif, qui a fait le plus d’albums. Sinon, pour moi, c’était classique, universel, Astérix, Tintin… Comme chaque petit Algérien de l’époque, je lisais à droite et à gauche, ça m’accrochait, donc j’ai commencé à copier, à recopier. Je suis diplômé en aménagement du territoire et protection de l’environnement. Le seul lien que je garde avec ma formation, presque vingt ans après, est que mon premier album est fait avec du papier écologique !

Par Fayçal Métaoui

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