mardi 1 septembre 2009

Pieds et poings liés

Il est très difficile de définir la poésie. Est-ce l’art d’exprimer ses sentiments avec rythme et mesure, ou le don de forger des images nouvelles comme d’autres feraient des tableaux de peinture? Est-ce le don de toucher avec des mots et des sonorités le coeur de ses semblables et de transmettre la flamme qui brûle intérieurement chaque être tourmenté?

Ou bien est-ce tout simplement, cette boule de verre ou cette tour d’ivoire qui constitue l’univers de cet être spécial qu’on appelle le poète? Le cliché généralement employé pour représenter «cet enfant non voulu» est celui d’un homme debout sur un promontoire, observant la tempête qui agite les flots, tord les nuages et ébouriffe le poète.

C’est le spectacle de la tourmente qui définit si bien le poète, car on dit qu’il est doté d’une plus grande sensibilité que les autres humains et, qu’inexorablement, ce qui le heurte ou l’agite, lui monte à la bouche ou à la plume...

Mais en tout cas, pour moi, le poète n’est pas isolé, ne domine pas le théâtre de la vie: il est en plein dedans, il travaille, il aime, il se bat et se débat et crie plus fort que les autres. Et c’est son cri qui le distingue des autres. Son cri est entendu même si ce n’est qu’une petite plainte, car le poète sait choisir ses mots, même si ce sont des mots de tous les jours, des noms communs pour jours anodins.

Le poète sait trouver le ton qu’il faut pour faire dresser l’oreille du plus imperméable «philistin». Comme le philosophe invente, forge des concepts pour expliquer son système, le poète cisèle les siens pour étonner (au sens étymologique du terme) l’auditeur et le lecteur. Et c’est ce don qui fait la force du poète. C’est ainsi que j’ai été frappé par la formule du poète Abderrahmane Lounès qui a osé et qui menace de répandre ses «tracts à blanc».

Vous m’avez bien compris, tracts à blanc! Une arme dangereuse de persuasion massive dont cet enfant terrible menace la fragile société! Il fallait y penser! Certains ont inventé le tonneau des Danaïdes ou l’auberge espagnole, Abderrahmane Lounès lance le tract à blanc. Voilà une astuce qui met ce trublion à l’abri des foudres de la justice: peut-on condamner celui qui distribue des tracts à blanc?

Le juge serait bien embarrassé! Il pourrait tout au plus prononcer une sentence pour «atteinte à l’hygiène publique» à moins que lesdits tracts ne soient imprimés à l’encre sympathique. Cette encre qui permet à tous les lecteurs de se mettre au diapason du poète et leur donne la possibilité de lire entre les lignes et même au-delà.

Mais vous me direz que la justice a toujours des arguments pour arrêter celui qui risque de miner la société: les chefs d’inculpation ne manquent pas. Ils sont aussi nombreux que les sujets de mécontement inscrits en filigrane sur les tracts à blanc, sujets qui ont poussé jadis le poète à distribuer ses réparties, ses révoltes, «à coups de pied et coups de poing». Mais à présent que le poète confesse ses «poèmes pieds et poings liés», n’est-ce pas un aveu que la censure est montée d’un cran? La censure sous toutes ses formes.

Selim M’SILI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire