jeudi 5 novembre 2009

Le couffin

Peut-être que l’Algérien n’est pas un homme comme les autres? Peut-être que cette société où nous nous débattons chaque jour, avec des problèmes qui ne semblent être faits que pour nous et que par nous-mêmes, est d’une curieuse spécificité? Si Claude Lévi-Strauss avait eu au moins l’amabilité de se pencher sur nous, peut-être que nous en saurions un peu plus long sur les pulsions secrètes qui guident nos pensées et déterminent nos actes?

Au moment où des débats intenses agitent d’autres sociétés autour de multiples problèmes existentialistes capitaux comme par exemple la sécurité des réacteurs nucléaires dans un environnement où les pollutions traditionnelles tendent à être, sinon maîtrisées, du moins réduites au strict minimum, la culture des OGM dans une agriculture qui produit au-delà des besoins de consommation de la société, la réforme à donner à l’école afin qu’elle fournisse aux entreprises économiques les agents nécessaires à leur épanouissement, les réformes du système de santé pour que tous les citoyens puissent y avoir accès sans discrimination aucune, de meilleurs rapports entre la justice et le justiciable, le fisc et le contribuable, l’administré et l’administration, l’humanisation de la vie carcérale, le recyclage des déchets pour assurer un développement durable, un aménagement du territoire qui laisse de la place aux espaces verts et de loisirs, une place de plus en plus grande à la culture, une plus grande transparence dans la gestion des affaires publiques, enfin des solutions pour donner à chaque citoyen la chance d’intégrer une société de plus en plus équilibrée où il fait bon vivre une vie de plus en plus longue.

Eh bien! toutes ces préoccupations, vous ne les trouverez pas derrière le front ridé de ce quidam qui vient de passer deux heures dans les locaux de la poste de son quartier, pour la bonne raison que depuis qu’a été adopté le système du «ticket», censé mettre fin au désordre et aux passe-droits, le service marche au ralenti, à la vitesse «d’une tortue munie d’un frein», comme le disait mon ami El Ghoul (pas celui des trémies et des ponts et chaussées, mais le regretté ogre d’Alger Républicain). Et ce n’est pas du tout dû à la mauvaise volonté des agents qui font ce qu’ils peuvent...

Et pourtant, le rush des retraités et des salariés est bien fini! Et ce n’est pas tout! Une fois le calvaire du guichet subi, l’homme au couffin (c’est comme cela qu’on l’appelle depuis longtemps), devra affronter les dangers des petites ruelles du marché couvert où l’attend une association de malfaiteurs qu’on appelle par euphémisme «des commerçants»: ce sont des détrousseurs qui font la loi, la loi du marché comme on dit pour justifier l’injustifiable.

Non seulement, ils ont le pouvoir de faire valser les étiquettes sans qu’une note de musique ne soit perceptible à l’horizon bouché, mais ils ont l’outrecuidance de choisir eux-mêmes les déchets dont ils veulent se débarrasser: à prendre ou à laisser. Et on ne peut que prendre pour ne pas rentrer bredouille au bercail. Pourvu que le maigre pécule récupéré à grand-peine à la poste suffise! Mais ce n’est qu’à la sortie du marché que le regard s’éclaire: de jeunes supporteurs passent dans une voiture bondée avec des drapeaux déployés. Les slogans font chaud au coeur; sûr que le 14, on battra les Egyptiens! Mais ça ne remplira pas le couffin!

Selim M’SILI

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