mardi 3 novembre 2009

La fin du rêve social-démocratie ?

Thomas Bosch est un jeune cadre dirigeant du SPD, le parti social-démocrate allemand. Il fait partie du staff de campagne du candidat malheureux aux récentes élections au Bundestag allemand, Frank-Walter Steinmeier, contre la chancelière sortante, Angela Merkel, qui roulait pour la CDU (les chrétiens démocrates). A l’image des autres membres du SPD, il affiche spontanément son amertume.

- Katastrophe !
«Catastrophe», semble être le maître-mot de tous ses autres camarades. Comment explique-t-il ce qu’il qualifie de «résultat amer et douloureux même s’il est trop tôt pour émettre des conclusions d’expert» ? A cette question, discipline oblige, Thomas Bosch ne fait que reprendre le commentaire de Frank-Walter Steinmeier suite à la publication des résultats préliminaires du 27 septembre dernier : «C'est un jour amer pour la social-démocratie allemande, il n'y a aucun moyen de présenter favorablement ce résultat» avait-il courageusement admis. Il faut dire qu’en 146 ans d’existence, le plus grand parti social-démocrate du monde vient de subir l’une de ses défaites les plus cuisantes, son plus mauvais résultat depuis l'instauration de la République fédérale, avec un score humiliant de 23,5 %, contre 31,2 pour la CDU (les chrétiens-démocrates), 12,2 % pour Die Linke (au sens littéral : «la gauche») et 10,9 % pour les Verts.

Le SPD enregistre ainsi une chute vertigineuse de plus de onze points qui correspond à une perte de plus de dix millions d'électeurs depuis les élections fédérales allemandes de 1998, qui avaient vu la victoire triomphale de Gerhard Schröder, le chancelier allemand qui a refusé l’occupation de l’Irak, contre l’avis majoritaire de son opinion publique. Cette désaffection de l’électorat coïncide avec une baisse du militantisme de gauche : en août dernier, le SPD ne comptait plus que 512 000 adhérents 17, contre 800 000 en 1998 et plus d’un million dans les années 1970 à la «grande époque», celle de Willy Brandt et Helmut Schmidt. Pourtant, Frank-Walter Steinmeier, le candidat du SPD ne manque pas de charisme, comparativement à sa rivale de la CDU. Bien au contraire. C’est paradoxalement là où on l’attendait le moins — la personnalité de Merkel — que la CDU a trouvé le bon filon de sa campagne. «La chancelière est plutôt lisse, elle manque de consistance politique, elle est quelconque», disent les détracteurs de Merkel.

C’est précisément ce que cherchait la CDU : «L’électeur moyen se reconnaît aisément en elle. Elle apparaît comme la “chancelière de tous les Allemands.» Sur le terrain de la personnalité, Steinmeier est plus charismatique (il faut dire que le plus ancien des partis allemands, fondé en 1875, a souvent confié son destin à des leaders d’envergure : Liebknecht, Bebel, Ollenhauer, et surtout Willy Brandt), il est issu d’un village de l’Ouest, avec un parcours modèle de quelqu’un qui a gagné son argent de poche à la sueur de son front et connu tous les mouvements sociaux de son temps, y compris les hippies. Il a derrière lui un parcours politique parfait qui se termine avec le poste de ministre des Affaires étrangères de la troisième puissance mondiale et, fait rarement souligné, d’ancien et proche collaborateur de l’ex-chancelier social démocrate Gerhard Schröder (le parfait profil du gagnant). La comparaison s’arrête là, dans un pays où tous les coups ne sont pas permis pour vaincre et où le respect de l’adversaire est sacré.

On n’a jamais vu les sociaux-démocrates dire ou insinuer (et on ne les verra jamais le faire) que la chancelière Merkel est une femme de l’Est, qu’elle est issue d’une minorité, qu’elle a peur des chiens, qu’elle ne peut pas descendre les escaliers, ni qu’elle est catholique ou protestante, ni encore qu’elle a une faible personnalité au point de «ne trancher qu’en fin de compte». Angela Merkel a donc gagné parce que son profil est celui de l’Allemand moyen : «Elle est proche de l’électeur, elle lui ressemble », confirme M. Thomas Steg, vice-porte parole du gouvernement et conseiller à l’information au SPD.

La CDU y a trouvé là un moyen de gagner à moindres frais : «La campagne ressemble à un combat de boxe où l’adversaire (la CDU en l’occurrence) refuse le combat et l’engagement, se contentant d’esquiver et d’éviter les coups», relève M. Bosch. Les jeunes experts du SPD ont mené une campagne en trois temps. Les thèmes de campagne développés dans un premier moment touchent au nucléaire et à l’énergie propre, l’emploi, la santé, la solidarité entre générations, l’éducation et la formation. On retrouve également les thèmes sociaux de prédilection du SPD dans une seconde étape consacrée au travail et aux retraites. Ce n’est que dans une troisième et ultime phase que le candidat SPD est ciblé et mis en avant seul, mais «sans cravate» pour faire «plus proche des gens».

Outres les vecteurs classiques de campagne (affiches, spots télé, tracts et brochures), le SPD a eu largement recours au numérique et à l’interactivité. Sur Internet, l’accent a été mis sur les forums, les discussions et les échanges, au détriment des textes fleuves. «Sur le net, le travail de proximité a été épuisant. Celui qui pose une question attend qu’on lui réponde dans les vingt-quatre heures». Et les jeunes du SPD le faisaient. Mais la modernité et le numérique n’excluent pas le contact direct du candidat qui a soutenu pas moins de cent manifestations publiques au cours des trente derniers jours. En attendant une analyse approfondie de leur défaite, les sociaux-démocrates allemands semblent donner une importance démesurée aux médias dans les compétitions électorales.

Leurs experts étaient sur les pas des conseillers d’Obama pendant sa campagne et une place de choix revient aujourd’hui aux Spin Doctors dans les cercles d’intellectuels allemands. Jurgen Hogrefe, journaliste et consultant, trouve par exemple que des hommes politiques comme G. W. Bush et Tony Bair sont des «personnages fictifs créés de toutes pièces» Karl Rove surnommé son «baby geniu» pour le premier et Alastair Campbell pour le second, et que les consultants en communication et relations publiques valent leur pesant d’or aujourd’hui dans les compétitions électorales. Cette fonction qu’on peut faire remonter aux années 1930 n’a été popularisée qu’à partir de 1984 à l’occasion du débat Ronald Reagan-Walter Mondale. Le mot anglais signifie donner un «effet». Thomas Steg est plus réservé et nuancé à l’endroit des Spin Doctors.

Contrairement à la scène politique américaine, où la confrontation est sévère sans qu’il y ait de relation directe des candidats, les hommes politiques allemands ont un contact direct et personnel avec les journalistes. Aujourd’hui, 70 % des citoyens allemands trouvent que la télévision constitue leur premier moyen d’information. Les journaux, qui affichent des tirages de l’ordre de 400 à 450 000 exemplaires, sont en nette régression. Le très populaire Bildn’échappe pas à l’hécatombe que semble avoir occasionné Internet pour la presse écrite. Avec 3,3 millions d’exemplaires vendus (pour 11 à douze millions de lecteurs), il a pratiquement perdu près d’un million de lecteurs depuis 2002. L’avènement d’Internet n’explique pas tout et les professionnels y ajoutent une «confusion entre la presse et le marketing consistant à vendre le plus grand nombre d’exemplaires».

Thomas Steg souligne comme «insuffisance» du dernier scrutin, un taux de participation légèrement inférieur à 70 % et le déplore : «Cela signifie que 30 % des citoyens ne votent pas et que le principal parti est celui des absentéistes». Un parti qui recrute parmi les plus bas revenus, ceux qui ne voient la télé que pour les films ou ceux qui ont un niveau d’éducation assez bas. Le changement est qualifié de «dramatique car de moins en moins de citoyens accèdent aux milliers d’informations produites ». Devant ce recul de la participation politique et le regain d’absentéisme, conjugué au recul de la crédibilité des grands moyens d’information, les Spin Doctors passent pour des hommes de l’ombre, des charlatans, de manipulateurs : «Le Spin Doctor qui a travaillé pour Tony Blair, Alastair Campbell, a été qualifié de «Prince des ténèbres», nous rappelle Thomas Steg.

Historiquement parlant, les dernières élections ont eu lieu pendant la grande coalition noire(CDU)-rouge (SPD) qui succède à une alliance verte (écologistes) — rouge (SPD) et qui ouvre sur une coalition noire (CDU) — jaune (libéraux). Il est certain que la cohabitation avec la CDU a fait perdre de l’espace à gauche au SPD (au profit de Die Linke), alors que ses propositions sociales paraissaient dépassées ou inutiles à l’heure du retour en force de la régulation et de l’Etat dans les discours et les programmes de la droite. En dépit de son amertume, M. Bosch n’a pas peur pour l’avenir du SPD. Ce qui lui arrive, il y voit une expression d’un phénomène de balancier, de flux et de reflux. «Le SPD passe dans l’opposition pour resserrer les rangs et repartir à l’offensive ». On voudrait tant partager son optimisme.

Par Ammar Belhimer

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