mardi 3 novembre 2009

Et que tout le monde parle!

A chaque anniversaire de Novembre, c’est le premier leitmotiv qui revient: pourquoi ceux qui ont préparé ou participé au déclenchement de la lutte armée ne se sont-ils pas mis à écrire leurs mémoires, une fois l’indépendance acquise, afin de retransmettre aux générations suivantes le message de Novembre? Question à laquelle il est difficile de répondre quand on connaît ou plutôt quand on croit connaître le cheminement chaotique du mouvement nationaliste: un coureur de fond qui s’affale, épuisé par l’effort, à la ligne d’arrivée, doit attendre quelques minutes pour retrouver son souffle, sa lucidité et répondre aux sollicitations d’une foule en délire qu’il entend et qu’il ne voit pas, une foule qui acclame le héros terrassé par l’effort ou l’opportuniste qui vient de le dépasser en brandissant le témoin.

Il faut du temps pour que les passions s’apaisent et que les esprits retrouvent toute leur sérénité pour regarder avec objectivité la réalité. Et puis, tout le monde a été pris à contre-pied avec les slogans à répétition: «Sbaâ snin barakat!» ou «Un seul héros, le peuple!». L’expression de la lassitude et la démagogie forment un mélange soporifique assommant, surtout si la répression s’en mêle. Ce sont peut-être toutes ces raisons qui ont poussé les témoins survivants qui, sitôt sortis de la clandestinité, du maquis ou des geôles que leur ont préparées leurs frères de combat, se sont emmurés dans un mutisme qui peut paraître suspect.

Comment parler, quand la plume, le papier, le micro et la caméra sont aux mains de ceux qui ont décrété le parti unique et qui se sont déclarés les seuls héritiers légitimes de ceux qui ont allumé la mèche de Novembre? Il y a bien des essais ici et là pour éclairer un peu les zones d’ombre de ces temps héroïques. Il a fallu la lecture de livres circulant sous le burnous pour connaître les multiples anecdotes qui sont liées au 1er Novembre: les témoignages récoltés ici et là par Yves Courrière sont restés longtemps interdits. Depuis, certains auteurs, chacun à sa manière, essaient de restituer une facette de cette grande aventure tentée par quelques hommes courageux et généreux.

C’est d’abord l’humilité et la générosité de ces premiers militants qu’il faut saluer: «Vous qui êtes appelés à nous juger...» C’est dire que l’issue du combat demeurait incertaine à ceux qui s’attaquaient à une puissance planétaire. Certes, les sociologues, les ethnographes, certains philosophes clairvoyants avaient prédit la fin d’un régime abject, mais à quel prix! Si certains historiens se sont attelés à décrire les mouvements d’idées qui traversaient les couches sociales de l’époque, bien malin celui qui pourra quantifier (et qualifier) le nombre de nationalistes convaincus, dans cette masse où cohabitaient une majorité d’illettrés et une poignée d’éclairés, une foule de collaborateurs et d’indicateurs patentés et des militants parsemés, malmenés, toujours entre la geôle et la clandestinité ou sur les chemins de l’exil.

Djelloul Haya, réalisateur à la RTA de Constantine, avait bien essayé dans Aux sources de Novembre de réunir les témoignages de la bouche même de ceux qui ont été privés de parole, comme Moulay Merbah, Abdelhamid Benzine ou Youcef Benkhedda: cela a soulevé des polémiques sans fin, bien que toutes ces voix se soient tues. Il est vrai que la part de chacun était difficile à cerner! Mais l’essentiel pour la guerre de Libération, n’était-ce pas le recouvrement de la souveraineté nationale? Les coureurs de fond qui sont parvenus à la ligne d’arrivée portent-ils toujours le flambeau du départ? Dans chaque situation confuse, il est sûr que Dieu reconnaîtra les siens! Mais que tout monde parle en attendant!

Selim M’SILI

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