lundi 31 août 2009

Ceux du banc de touche

Farouk Hosni est un ministre de la Culture, sans doute controversé, mais reconnu dans son pays, l'Egypte. Cependant, sa candidature à l'Unesco a suscité une violente campagne d'hostilité chez une partie des opposants à Hosni Moubarek. La candidature de Farouk Hosni à la direction générale de l'Unesco est appuyée par la majorité des pays arabes, dont l'Algérie.

Comme nul n'est prophète en son pays, l'Algérien Mohamed Bédjaoui a été prié de ne pas concurrencer le candidat de Moubarek. On lui a donc enjoint d'aller voir ailleurs s'il n'y avait pas une sinécure de préretraite disponible. Car, désespérant de voir le gouvernement qu'il a servi et resservi parrainer sa candidature, Bédjaoui a voulu jouer les «freelances». Il a déposé son dossier de candidature presque en catimini, et avec le soutien et le parrainage du... Cambodge. Pour accéder à la science, allez s'il le faut jusqu'en Chine ! Mohamed Bédjaoui s'est conformé à ce précepte, mais, connaissant les relations sinoalgériennes, il n'a pas poussé jusqu'à Pékin. Colère des Egyptiens qui ont vu, dans cette candidature inattendue, un danger pour leur étalon (1) et un coup de Jarnac des Algériens. Nos dirigeants se sont empressés de clamer leur innocence, à leur manière habituelle : ils ont jeté Bédjaoui dans la fosse aux hyènes. Pour s'en sortir, le pauvre Bédjaoui, qui a trop servi, s'est résigné à se retirer de la course à l'Unesco.

Les Algériens auraient pu plaider la cause de leur concitoyen en plaidant sa compétence, sa renommée internationale, etc. Avec un peu de mansuétude, ils auraient pu invoquer l'âge avancé de Mohamed Bédjaoui, mais allez donc savoir... Le pire, c'est que l'homme soit éjecté à ce moment de sa vie, c'est-à-dire sans grand espoir de revanche (2). Toutefois, Farouk Hosni ne s'est pas contenté d'épingler à son tableau de chasse la tête à barbichette de l'Algérien Bédjaoui. Il a fait en sorte d'étouffer le fracas des protestations internes ou d'en détourner le sens. L'idée de génie, et Farouk Hosni est doué, c'est de jeter en pâture, à la meute des opposants, une victime désignée, un bouc émissaire. C'est ainsi qu'il a fait décerner à l'historien Sayed Qimni la plus haute distinction que l'Etat réserve aux intellectuels et aux chercheurs.

Ils sont trois à avoir obtenu cette distinction ex aequo, mais seul Qimni, le laïc, l'adversaire acharné des intégristes, a été pris pour cible. Ce sont les avocats et les journalistes de la mouvance des Frères musulmans qui ont lancé la chasse à courre. Qimni, qui a privilégié l'Histoire au détriment de la mythologie islamiste, a essayé des projectiles de tous calibres, dont des fatwas de mort émanant de fonctionnaires d'Al-Azhar. Au fil des jours et des semaines, la campagne a enflé et a drainé d'autres voix hostiles.

Délaissant l'œuvre de Qimni, on a fouillé dans son passé d'étudiant et remis en cause la réalité de son diplôme de doctorat, obtenu à l'Université du Qatar (3). Jusuqu'ici, Sayed Qimni s'est tenu coi, en dépit de la persistance des attaques. C'est ce qui a sans doute découragé les velléités de certains de ses amis égyptiens, gênés par son silence. Seul le magazine web Middle East Transparency a lancé une campagne de solidarité avec l'historien. Il compare volontiers Qimni au penseur égyptien Farag Fodda, assassiné par les islamistes en juin 1992. L’un des rares écrivains à prendre fait et cause pour Qimni a même conseillé à ce dernier de quitter l'Egypte pour éviter de subir le sort de Farag Fodda(4).

Ce sommet de l'absurde a été atteint lorsqu'un «cheikh» cathodique s'est lancé lui aussi dans la curée. Interrogé par un animateur qui lui demandait ce qu'il avait lu de Qimni, il a répondu d'un air méprisant : «Je ne lis pas ce genre d'insanités. » Oui, en 2009 et dans le monde arabe, on brûle des livres sans les lire et on condamne des auteurs sans rien connaître de leurs œuvres. La phobie du livre a atteint un tel niveau en Égypte que le Centre culturel britannique au Caire a pris la décision de fermer sa bibliothèque, après soixante-dix ans de présence. L'attaché culturel britannique a expliqué laconiquement la décision en ces termes : «Les Egyptiens ne sont pas un peuple ami de la lecture.» La fermeture de la bibliothèque britannique au Caire n'aura pas, dans l'Histoire, l'impact de l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, mais sa justification si.

Dans l'immédiat, il faut relever la réaction émue de notre confrère du quotidien Al-Misri- Alyoum, Adel Senhouri. Ce dernier estime qu'il ne faudra pas s'étonner si, à l'avenir, d'autres centres culturels, comme l'allemand Goethe ou l'espagnol Cervantès, ferment leurs portes. «Pourquoi s'étonner alors que le pays qui a fondé la bibliothèque d'Alexandrie a renoncé volontairement ou pas à tout ce qui faisait sa grandeur, notamment sa culture et ses livres», écrit-il avant d'ajouter : «Le chagrin est inutile lorsqu'on sait qu'un enfant, chez nous, consacre sept minutes par an à la lecture alors que l'enfant européen lui en consacre six par jour. Nous ne devons rien reprocher à nos pauvres enfants, sachant que nous consacrons moins de 400 livres par an à l'enfant. Alors que l'Europe lui en consacre plus de 6 000 et que les Etats- Unis éditent pour lui plus de 13 000 livres.»

Dans le quotidien concurrent cairote, Echourrouk, l'écrivain Ala Aswani(5) aborde le même thème de la décadence culturelle de l'Egypte. Pour lui, la seule explication au déclin du pays et à la fuite des cerveaux égyptiens, c'est la tyrannie. Sous le titre «Le peuple du banc de touche», l''écrivain compare les Egyptiens à des joueurs de football doués, mais peu appréciés par l'entraîneur, en l'occurrence le pouvoir.

«L'entraîneur, dit-il, n'utilise jamais ces joueurs qu'il n'aime pas. Il préfère désigner de mauvais joueurs en méforme qui perdent tous leurs matches. Seulement, dans les équipes de football, un joueur a le droit de rompre son contrat s'il reste plus d'un an comme remplaçant. Tandis que l'Egypte entière est assise sur le banc de touche depuis trente ans. Elle subit des défaites et des revers sans pouvoir s'y opposer. Est-ce que ce n'est pas un droit, voire un devoir, pour l'Egypte de rompre son contrat», affirme Alaa El Aswany. Voilà qui devrait inspirer l'ambassadeur Mohamed Bédjaoui, lorsqu'il assistera de son banc de touche à la probable élection de Farouk Hosni à la direction générale de l'Unesco. Il n'est jamais trop tard !


A. H.

(1) Le mot étalon est venu spontanément, je le jure, et je n'ai pensé aux mœurs sexuelles de Farouk Hosni qu'une fois que le mot m'est apparu imprimé.
(2) Si Dieu lui prête vie, il pourra toujours arpenter les allées des cimetières, en suivant l'enterrement de ses ennemis. Ça vous requinque, quelque part, de voir partir les autres, ceux dont on craint qu'ils nous survivent.
(3) Etrangement, l'Université du Qatar n'a ni confirmé ni démenti. Seul Karadhaoui, citoyen qatari, a nié l'existence de ce doctorat, tout comme il a rejeté l'œuvre de Qimni dans sa totalité.
(4) Je rappelle, et je le referai inlassablement, que seul l'écrivain Tahar Djaout a pris l'initiative de lancer une pétition condamnant l'assassinat de Farag Fodda dans l'hebdomadaire Algérie-Actualité.
(5) Autre originalité des chroniques de Alaa El Aswany, elles se concluent toujours par cette formule : «La démocratie, c'est la solution.» Ceci, par opposition au slogan «l'Islam, c'est la solution», utilisé par les Frères musulmans.

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