dimanche 9 octobre 2011

Réminiscences d’octobre

Pour quelles raisons, le mois d’octobre est-il souvent celui des tempêtes sociales et politiques et parfois celui des révolutions ? Sans doute y a-t-il quelque chose à chercher du côté de l’astronomie. Il ne faut pas oublier que le terme révolution lui-même en est issu puisqu’à l’origine, il désignait la rotation de la terre autour du soleil. Evidemment, les choses ne sont pas aussi mécaniques que ça, mais il pourrait y avoir un début d’explication quelque part.
A tout seigneur tout honneur, la révolution dont le nom est lié au mois d’octobre date du siècle dernier. Déjà ! Mais la révolution d’Octobre 1917 qui permit aux Bolcheviques de construire l’Union soviétique eut lieu en réalité en novembre.

Une complexe discordance de calendriers en a fait la révolution d’octobre. Cette révolution menée par Lénine est restée gravée avec ce millésime. Bien sûr aujourd’hui le capitalisme triomphant dans sa forme la plus barbare charge à rebours la révolution d’octobre. Les hérauts du profit sans vergogne qui se fichent de ce que des peuples entiers sombrent corps sans bien dans la misère de moujiks ne cessent de dévaloriser l’alternative communiste qui a malheureusement échoué avec la chute du Mur de Berlin ! Echoué ? Vaincue, plutôt ! Les crasses du socialisme réel ne peuvent être cachées, surtout depuis qu’on peut accéder à certaines archives.

Mais la révolution d’Octobre demeurera, au-delà de la nostalgie de toute une génération, la preuve que le changement radical d’un ordre social à un autre n’est pas uniquement théorique. En dehors de toute épopée, Octobre 1917 témoigne de ce que les peuples peuvent agir sur leur destin. Avis aux fatalistes ! Agir sur son destin ! C’est aussi ce que sont parvenus à réaliser les acteurs de cet autre octobre, celui de 1961.

Rappel des faits : la guerre d’indépendance tire à sa fin. A six mois de l’issue finale, elle a pris un tournant décisif en s’intensifiant et en gagnant le sol français. Le préfet de police de Paris, le déjà sinistre Papon, instaure un couvre-feu au faciès. Il ne concerne que les Algériens. Le FLN donne l’ordre d’une marche pacifique des Algériens pour protester contre cette forme de racisme. Associer les enfants et les femmes à la marche témoigne de l’intention tout à fait pacifique de l’action. Mais les policiers de Papon, qui avaient reçu une garantie d’impunité, laissent libre cours à un sentiment anti- Algérien qui ne demandait qu’à sortir.

Le résultat est une répression sans précédent. Les Algériens sont jetés dans la Seine par dizaines. Le bilan, effarant, ne sera connu que bien plus tard. Et surtout, surtout, il y a cette chape de silence posée sur cette ignominie. Paris, capitale des Lumières, ravalée à ça ? Eh oui ! Aujourd’hui, grâce au combat sans relâche mené pour la mémoire par des enfants d’immigrés algériens (Mehdi Lalaoui et Samia Messaoudi de l’association Au nom de la Mémoire) mais aussi des militants de gauche (David Assouline, l’essayiste Jean- Luc Einaudi, le romancier Didier Deninckx…) la répression féroce d’Octobre 1961 commence à être connue.

Longtemps, elle a été l’objet d’un refoulement, un des ces événements honteux qu’il convient d’enfouir dans l’oubli. Cela fait partie de ces legs qui ruinent le discours des tenants des «bienfaits de la colonisation». Aujourd’hui, et après des luttes très dures contre les nostalgiques de l’Algérie française encore actifs, on peut se recueillir à la mémoire des noyés algériens d’Octobre 1961. Une stèle commémorative a été inaugurée il y a plusieurs années à Paris même, une autre à Sarcelles, en banlieue parisienne.

Autre réminiscence d’Octobre, celui de 1988. Scène : l’Algérie du parti unique qui n’en finissait pas d’accoucher du même système autoritaire. Sous-titre : la Révolution confisquée. Pas besoin de revenir sur ces événements qui ont abouti au pluralisme. Des écrits, même rares, existent néanmoins. Toutes les langues ne se sont pas déliées mais peut-être qu’un jour on en saura davantage. Le fait est que la trace d’Octobre 1988 a disparu de la scène sociale et politique. Récupéré, ingéré et dégluti sous une forme subvertie.

Une spécialité bien de chez nous ! Eloge de la transfiguration. Pourtant, sans le sacrifice de 500 jeunes, abattus comme des malfrats, on en serait encore au parti unique. Encore que… En est-on jamais sorti réellement ? Pour parler d’octobre de cette année, celui-là même, un fait d’importance : l’inauguration au cimetière du Père-Lachaise à Paris par Bertrand Delanoë d’une stèle à la mémoire des victimes de l’OAS.

Victimes en Algérie et en France. L’acte est courageux. Il va à contre-courant de la célébration de l’OAS qui a entaché jadis des villes de France comme Béziers, Marignane, Perpignan… Chaque fois, heureusement, ça a fait scandale. Et chaque fois aussi, ça mobilise ceux qui n’ont jamais digéré l’indépendance de l’Algérie et qui sont souvent proches de l’extrême droite et parfois de la droite dite républicaine. Comme quoi, le chemin des révolutions, au sens astronomique du terme, n’est pas forcément linéaire. Il peut être contradictoire. Comme un mois d’octobre.

Par Arezki Metref

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