samedi 7 novembre 2009

Un pays à bout de nerfs

Entendons-nous bien, il ne s’agira pas ici d’évoquer l’imminence du fameux match de football, mais d’autres menaces qui risqueront de surprendre d’autres soirs, plus lointains certainement, que celui du 14 novembre. A cet «avertissement» de journaliste, nous sentons déjà sursauter, à partir de leurs confortables certitudes de rentiers, tous ceux qui n’y verraient dans ce commentaire que l’insignifiance de quelques cassandres en mal de prédiction ! Un boutefeu armé d’une plume et «carapacé» dans le ressentiment.

Quel renversement de perspective au moment où la presse, qui observe et rapporte fidèlement, s’accorde pour noter que le pays est tendu à rompre. Il est au bord d’une grave crise de nerfs qui prélude, si celle-ci n’est pas soignée dans l’urgence, de la montée des houleux marais sociaux. De ceux qui, après leur passage, laissent d’irréparables dégâts. A se rappeler leur engouement flatteur du passé, l’on peut comprendre que cette cohorte d’enrôlés dans les fonctions de pompiers s’efforceront d’abord de taire la critique. Tout n’est pour eux que rumeur malveillante et qu’il n’est de vérité que dans la «parole officielle ». Or, étonnamment, c’est de celle-ci que manque l’Etat pour rassurer.

Et ce ne sont pas les quelques loufoques assertions d’un Premier ministre, longtemps invisible et de moins en moins loquace, qui feront baisser la grande fièvre. Celui qui, récemment, s’est distingué sottement en commentant l’affaire de Diar Echems, n’auraitil pas dû commencer par dialoguer avec ceux qui interpellaient violement l’Etat ? «L’émeute ne règle rien», disait-il en guise de condamnation sauf qu’il oublie qu’il y a autant, sinon plus, de culpabilité dans le silence incompréhensible de l’Etat qu’il ne veut l’admettre.

En responsabilité politique, l’on ne peut déroger au devoir d’écouter, de réagir publiquement, d’arbitrer ponctuellement les conflits sociaux et de clarifier par la négociation la moindre discordance. Plus personne au sommet de l’Etat ne le fait ou tout au moins ne désire en rendre compte à l’opinion. Depuis avril dernier, le sommet du pouvoir s’est retiré dans un dangereux bunker, d’où ses échos se font rares. Un désengagement rampant qui fait peur au pays et mal à sa crédibilité.

Qu’il feigne d’ignorer qu’il existe un distinguo tranché entre une présence de tous les instants à la barre et la navigation à l’estime ne le rend pas plus subtil dans sa démarche. Cette dernière serait plutôt la source de tous les délitements des institutions. Entre la rectitude éthique, qui contraint ceux qui gouvernent à assumer pleinement et publiquement leurs charges, et le dévoiement des fonctions, qui poussent en permanence à la gestion secrète des carrières, il semble que l’on ait choisi actuellement de se cantonner dans cette dernière. Il est vrai que la première pèse d’un trop lourd fardeau d’abnégation pour de si frêles épaules politiques au moment où les nuages s’amoncellent.

A l’exception de quelques proches, nul ne sait dans quel état d’esprit est actuellement le chef de l’Etat et comment il compte remédier au désenchantement national. Pour avoir exigé et obtenu, grâce au dernier amendement constitutionnel, l’abrogation du poste de chef du gouvernement, n’est-il pas dans l’obligation d’assumer seul l’échec notoire de ce gouvernement ? Même s’il refuse toujours de s’exprimer sur le sujet et qu’il privilégie un hautain détachement vis-à-vis des questions d’intendance de l’Etat, il ne peut durablement maintenir un tel statu quo à ses côtés et dans le même temps exiger que l’on épargne l’image d’un régime qu’il incarne.

Six mois après sa réélection, n’est-il pas encore là à cultiver les équilibres des clans en laissant la bride lâchée à de nombreux ministres ayant échoué plus d’une fois ? Au moment où sur le front social, une série de débrayages sont annoncés et que le recours aux émeutes destructrices n’est pas exclu, il s’abstient de s’exprimer. Quand de toutes parts lui parviennent des appels au changement radical (celui de son propre style et de ses commis) et qu’il n’y a aucun retour d’écoute, comment interpréter cette «glaciation» au sommet ? L’usure, après dix années de pouvoir, serait une explication, mais qui ne se suffirait pas à ellemême faute de l’avoir mise en perspective avec le personnage lui-même.

Connu et reconnu pour ses qualités de tribun, a-t-il encore la vigueur pour convaincre par le discours quand beaucoup de ses promesses ont été oubliées par lui ? Lui, justement, qui par intelligence politique ne s’abuse pas sur l’origine de sa longévité au pouvoir, comprend désormais que ses atouts d’hier sont inopérants. Aussi s’est-il subtilement converti à la vertu de la parole rare afin de lui donner la solennité des oracles. Déjà qu’il n’a jamais été enclin à s’adresser fréquemment à la nation et accessoirement converser avec la presse indigène, le voici qu’il opte pour une réserve de monarque à l’abri des contingences. Prendre de la hauteur rime chez lui avec distance, ce qui à l’évidence est une grossière erreur. Dans un pays fébrile où l’odeur de poudre menace d’asphyxier les villes et les villages, il y a toujours un moment crucial où, tout grand prince que l’on soit, l’on est en devoir de quitter son ermitage et de parler.

Comme l’écrivait avec unepointe d’ironie féroce un publiciste de renom(1), dont il se prévaut de son amitié : «Lorsqu’on exige d’un peuple le devoir de seulement obéir dans son intérêt, pourquoi s’étonner alors qu’un jour il en vienne à revendiquer son droit à l’ingratitude ?». Et de conclure avec une componction voulue : «... A méditer !».
Quoi de mieux qu’un conseil d’ami pour déciller le regard ?

Par Boubakeur Hamidechi

(1)- Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateuret a été fait docteur honoris causa de l’Université d’Alger en 2005 sur la demande du président Bouteflika, au moment, où le journaliste Benchicou purgeait une peine de prison inique.

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