lundi 19 octobre 2009

Hamdi Kandil, le «Pérégrin»

Beaucoup de confrères, ainsi que des hommes d'affaires, rêvent d'ouverture du paysage audiovisuel algérien. Les deux, ensemble ou séparément, projettent de lancer des chaînes de télévision privées, pour rompre la monotonie imposée par le monopole d'Etat. Journalistes et hommes d'affaires se concertent, ici et là, qui pour vivre une «aventure intellectuelle» gratifiante, qui pour posséder un outil nécessaire à l'accroissement de ses investissements.
De temps en temps, la même idée me traverse l'esprit, mais elle ne s'attarde pas très longtemps. Le sceptique lutin préposé à la sécurité de mes neurones a tôt fait de la chasser sans ménagement. S'il y a une liberté que nos dirigeants actuels ne voudront jamais concéder au peuple, c'est celle de zapper.

Si l’on offre aux Algériens la liberté de choisir entre deux ou trois variétés de pommes de terre, ils opteront sans doute pour la moins chère. En ce qui concerne la télévision, ils ne se résoudront jamais à regarder à vil prix, et vous savez très bien qui seront les «zappés ». Certes, ils autoriseront un jour la création de chaînes privées de télévision, mais quand ils auront mis en place les garde-fous, sans jeu de mots, nécessaires. Lorsqu'ils auront formé suffisamment de fils, de petits fils et de petits neveux susceptibles d'animer des chaînes divertissantes. Des chaînes qui pourront prolonger le malentendu local et assurer la pérennité de leurs «valeurs nationales», ointes de tartufferie grandiloquente et de patriotisme attardé.

Dans leurs futures télévisions, celui qui tiendra les rênes, nécessaires à la conduite de l'attelage, n'apparaîtra pas à tout bout de champ pour nous faire croire qu'il ne dort jamais. Ils savent que c'est mauvais pour l'image, aussi nous enverront-ils ce qu'il y a encore de plus esthétique dans leur progéniture. Ils s'attacheront à nous divertir en nous racontant par le menu comment les auteurs de leurs jours, ministres ou aspirants, affrontent les rigueurs du jeûne surérogatoire. Sur les plateaux de ces télévisions, on n'exigera pas des ministres qu'ils aient un CV de ministre ou des aptitudes exceptionnelles, il faudra juste qu'ils aient la foi. Pas une simple foi, modeste, rasant les murs et silencieuse comme la prière qu'on adresse à Dieu.

Non, une foi altière, hautaine, afin que nul n'en ignore, et de façon à contribuer à l'édification des masses croyantes. Car, il ne faut pas s'y tromper : nous serons tous devenus abominablement croyants à ce moment-là, même si nous exigeons un paysage pluriel. Un pluriel qui ne sera pas fait de n'importe quoi, mais sera le pluriel de notre singulier quotidien. Ainsi, aurons-nous le jeûne des «sabrine», des patients que nous serons devenus, rendu obligatoire, et par ordonnance, entre le 10 et le 25 de chaque mois. L'intervalle sera consacré à s'approvisionner en produits alimentaires divers, selon les revenus compressibles de chacun.

Il n'y a pas de raison, en effet, que le peuple ne se mette pas au jeûne surérogatoire alors que ses ministres lui donnent l'exemple à longueur de colonnes dans la presse croyante. Si, par extraordinaire, le gouvernement cédait aux pressions internationales et permettait aux journalistes aventureux et aux hommes d'affaires entreprenants de «s'investir» dans la télévision, voici ce qui risque d'advenir : depuis quelque temps, et à l'approche des élections en Égypte, le gouvernement recourt à une méthode préconisée par les anciens pour s'assurer la soumission des nouvelles mariées, relève notre confrère Salim Azzouz dans le quotidien Al-Quds. Il s'agissait, dit-il, pour le jeune marié d'égorger une chatte sous les yeux de la jeune épouse, quelques jours après la noce.

Ceci de façon à lui faire peur et à lui montrer ce qu'il pouvait lui en coûter de désobéir à son seigneur et maître. Comment le gouvernement égyptien, faute de chats, a-t-il remis en vogue cette pratique ancestrale en la modernisant ? C'est ce dont témoignent les récentes mésaventures de la chaîne de télévision égyptienne privée, mais dépendante, Dream. Il y a quelques semaines, une émission, «Un homme parmi d'autres», pilotée par le présentateur vedette Omar Ellithi, est amputée de plusieurs passages lors de sa rediffusion.

Quand il est passé en direct, Omar Ellithi s'était ému de la saleté de certains quartiers du Caire et de sa banlieue, envahis par des tonnes de détritus. Il avait ajouté en guise de commentaire : «Comment se fait-il qu'avec un premier ministre qui s'appelle Nadhif (propre), nous ayons une capitale aussi sale ?» Plus déconcertant encore est le cas de Ahmed Meslamani, présentateur de la revue de presse à succès, Première édition, qui a laissé son public ébahi. Avant l'interruption habituelle pour la page de publicité, il annonce : «Je vous retrouve après la pause». Les téléspectateurs ont attendu en vain, car Meslamani n'est jamais plus revenu à l'écran. Selon Al-Quds, relayé par d'autres journaux comme le quotidien de Adel Hammouda, Al-Fedjr, Ahmed Meslamani a eu le tort de critiquer Mahmoud Mohieddine, le ministre des Investissements, soi-même.

Or, la chaîne Dream est la propriété d'un grand investisseur, l'homme d'affaires Ahmed Bahdjat, qui s'était plaint récemment d'avoir perdu un marché dans l'immobilier à cause des émissions de sa chaîne. De plus, sa banque, qui lui a consenti des crédits importants, lui rappelle certaines échéances, dès que Dream s'attaque au gouvernement. Il faut dire, à la décharge de M. Bahdjat, que Dream a conquis des espaces de liberté inconcevables il y a quelques années. Mais l'homme d'affaires, lassé sans doute des rappels incessants de sa banque, a réagi avec brutalité contrairement à son habitude. Ahmed Meslamani, qui a fait les frais de ce revirement, a eu la redoutable charge de prendre la succession de la star incontestée du genre, Hamdi Kandil.

Ce dernier avait quitté Dream sans esclandre, simplement parce que le propriétaire lui avait fait part du «mécontentement » de certains cercles du pouvoir («Aldjamaâ zaâlanine »). Il avait déjà quitté la chaîne ART de Cheikh Salah Kamal, parce que ce dernier avait employé la même formule, «Aldjamaâ zaâlanine». Il est d'ailleurs revenu au début de cette année sur le plateau de Dream, mais comme invité de Mona Chadli (voir les vidéos sur YouTube). Hamdi Kandil fait figure d'ancêtre (il est né en 1926) dans le paysage audiovisuel arabe, mais il rebondit sans cesse, tout en gardant les mêmes idées et le même style.

En 2005, il s'est retrouvé sur le plateau de Dubai-TV, avec le même intitulé «Kalam- Rassass» (crayon à mine de plomb, allusion aux balles de même matière). Il a souvent défendu des causes et des factions contestables comme le Hezbollah ou le Hamas, mais il se justifiait par son hostilité viscérale à Israël.

En décembre dernier, il a ajouté la phrase de trop en interpellant les pays arabes en ces termes : «Vous n'êtes plus la nation de Mohamed (le Prophète) mais la nation de Mouhaned (la vedette du feuilleton turc qui a subjugué les chaumières arabes)». En mars dernier, et contre toute attente, il a commencé une nouvelle carrière sur la chaîne privée (le propriétaire n'était autre que Seïf-Al-Islam, le fils aîné de Kaddafi) Al- Lybia.

Deux mois après, en mai, Kaddafi, mécontent, a nationalisé la chaîne, contraignant Hamdi Kandil à défendre encore son titre de «Pérégrin» de la presse arabe. Et comme il s'obstine à vivre au-dessus des réalités, il finira peut-être à l'ENTV, pour une semaine, un mois, qui sait ?

Par Ahmed HALLI

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