lundi 17 octobre 2011

Le 26e «martyr» du 9 octobre

Depuis des décennies, les Egyptiens jouent à se faire peur, mais le dimanche 9 octobre la peur a tourné à l'épouvante. Oui, les Egyptiens pieux, modérés, avec une intelligentsia éclairée se dressant en rempart contre tous les obscurantistes ont joué avec le feu. Et il n'est pas sûr que les tentations pyromanes soient en voie d'extinction, au vu des évènements qui ont suivi. Ce fatidique dimanche 9 octobre 2011, donc, des milliers de Coptes se rassemblent devant l'immeuble Maspéro, siège de la très décriée télévision publique égyptienne.

Baptisé «Jour de la colère copte», ce rassemblement avait été organisé à la suite de la destruction d'une église en construction à Edfou, près d'Assouan. En Egypte, lorsqu'une église ou un mausolée copte sont attaqués, il ne faut pas demander qui en est responsable, puisque les prédateurs agissent à visage découvert et barbu. Que s'est-il réellement passé ce dimanche 9 octobre devant le siège de la télévision égyptienne ? Les Coptes qui ont eu 24 tués, sur les 25 victimes dénombrées, dénoncent la répression brutale de la manifestation par la police militaire. Ils affirment que nombre des leurs ont été tués par balle ou sont morts écrasés par des véhicules militaires. Lors d'une conférence de presse, au lendemain de la tragédie, des responsables militaires se défendent : les armes des soldats assignés à la défense de l'immeuble de la télévision n'étaient pas chargées à balles réelles (!). Après les morts noyés par balle du sinistre Papon(1), va-ton nous apprendre que des manifestants coptes se sont entre-tués sous les yeux effarés de militaires, munis seulement de balles à blanc ? Alors, qui a tiré ? Pour les militaires et les officiels égyptiens, il n'y a aucun doute que des éléments armés étaient au milieu des manifestants. Ce sont ces éléments qui seraient responsables de la tuerie, et ils auraient tiré à la fois sur les Coptes et sur les soldats égyptiens.

Parmi ces derniers, le seul mort identifié est celui qui a été isolé de ses camarades et lynché par la foule déchaînée. On voit d'ailleurs sur les images diffusées en boucle un religieux copte violemment frappé alors qu'il tentait de protéger un soldat. Ces images ont été abondamment utilisées par la télévision égyptienne, qui a, par moments, lancé de véritables appels à l'affrontement intercommunautaire. Quant aux victimes écrasées, ce n'est pas dans la tradition de l'armée égyptienne, qui vient de célébrer la Victoire d'octobre, d'utiliser des véhicules pour écraser des gens. Pourtant, des chaînes de télévision ont montré des transporteurs de troupes fonçant directement sur des groupes de jeunes, avec l'intention de faire des victimes.

Qui conduisait ces engins militaires ? Comment se fait-il que des dizaines de soldats, assignés à la protection d'une institution publique et stratégique, comme l'immeuble de la télévision, ne soient pas équipés de balles réelles ? Des questions auxquelles ont fait écho d'autres dérapages verbaux et des initiatives tout aussi maladroites et intempestives. Certes, Al-Azhar et les dignitaires musulmans ont fait leur «meaculpa » et reconnu les torts dont sont victimes les Coptes, mais le gouvernement, et le Haut Conseil militaire dans tout ça ? D'abord, et comme par réflexe conditionné, on a crié au complot étranger, aux périls qui guettaient l'unité nationale, en suggérant que le pays pouvait être fragilisé par les revendications coptes.

Or, la majorité des Coptes n'aspirent qu'à une seule chose, être traités sur un pied d'égalité avec leurs concitoyens musulmans, ce qui n'est pas le cas. Il ne faut pas oublier qu'en dépit du soutien de leur hiérarchie religieuse à Moubarak, les Coptes ont pris une part active à la révolution à sa chute. Toutefois, après la victoire de la «Révolution», et l'éviction de celui qui incarnait le régime, sans en être la pièce maîtresse, ils ont dû déchanter. Jamais, auparavant la fureur islamiste ne s'était autant déchaînée contre la minorité copte, s'attaquant à ses symboles et à ses lieux de culte. Ce n'est qu'après la tragédie du 9 octobre que les Egyptiens ont pris conscience qu'ils avaient atteint un point de rupture. Dans un premier temps, les responsables ont annoncé l'entrée prochaine en application de la loi sur la construction des édifices religieux.

Celle-ci était supposée supprimer l'essentiel des obstacles qui s'opposaient à la construction de ses propres églises par la communauté copte. Ça ne réglait pas le problème des inégalités criantes entre musulmans et chrétiens(2), mais c'était déjà un pas en avant. Puis, les responsables égyptiens ont fait deux pas en arrière en donnant le feu vert à l'exécution(3), lundi 10 octobre au lendemain de la «Tragédie Maspéro», de Hammam El-Kammoumi, l'auteur de la tuerie de Nag Hammadi. Dans la nuit du 7 janvier 2010, El-Kammoumi avait mitraillé des fidèles qui venaient de sortir d'une église où ils avaient célébré le Noël copte, à Nag Hammadi en Haute-Egypte. Il y avait eu huit morts, dont un policier musulman qui montait la garde près de l'édifice religieux. Le meurtrier avait été condamné à mort, alors que ses deux complices et probables incitateurs avaient été acquittés.

La décision de l'exécution et le choix de la date, jugées inopportunes par la plupart des commentateurs égyptiens, ont failli remettre en marche la machine infernale. Les musulmans, ont estimé, en effet, que Hammam El- Kammoumi, de son vrai nom Ahmed Hussein Mohamed, avait été exécuté pour calmer l'ire des Coptes. Saisissant ce prétexte, les habitants musulmans de Nag Hammadi ont accueilli la dépouille du meurtrier comme s'il s'agissait de celle d'un héros. Le 26e martyr, en somme, des évènements sanglants du lieu-dit Maspéro. Ils ont été des centaines à suivre l'enterrement du supplicié, en entonnant à pleins poumons la Chahada, l'index levé vers le ciel.

Depuis, la vidéo de cet enterrement a été diffusée sur Daily-Motion, et elle est reprise par tous les sites d'information coptes sur internet. Pendant ce temps, et avec les élections de la semaine prochaine en toile de fond, les télévisions égyptiennes manifestent leur soulagement d'avoir échappé au pire, par des chansons. L'une d'elles chante la joie d'être éveillé au petit matin par l'appel du muezzin et le carillon des cloches de l'église. Si la musique est juste, les paroles le sont un peu moins, la vérité est sans aucun doute dans les images de ces funérailles dantesques à Nag Hammadi.

Par Ahmed Halli

(1) Selon les derniers témoignages relatifs aux manifestations du 17 Octobre 1961 à Paris, c'est notre propre gouvernement qui a mis les premiers scellés sur la commémoration de ces évènements. Les maîtres du pays, issus du «Groupe d'Oujda», ne voulaient pas que la Fédération de France, qui s'était rangée aux côtés du GPRA, lors de la crise de l'été 1962, en recueille les lauriers.
(2) Les Coptes se plaignent notamment des discriminations qu'ils rencontrent en matière d'accession aux hauts emplois de l'Etat. De plus, l'article 2 de la Constitution qui proclame l'Islam comme religion de l'État égyptien leur interdit tout espoir d'accéder à la magistrature suprême.
(3) En Égypte, toute mise à mort par pendaison d'un condamné est subordonnée à l'avis préalable du mufti de la République qui donne l'ultime feu vert à l'exécution de la sentence.

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