mercredi 4 novembre 2009

Timechrit à Taguemount Azouz : Quand la fête est synonyme de partage et de piété

Même si elle n’est pas organisée à la même fréquence, depuis quelques années déjà, Timechrit demeure une fête ancestrale inhérente à la vie et l’histoire des Kabyles.

Elle consiste à sacrifier des bovins, pour permettre à tous les habitants du village de partager le même repas.

Une fête où la différence sociale est abolie, l’espace d’une journée.

À chaque région son rendez-vous. Timechit appelée aussi Taouzaât dans certaines localités, célèbre pour certains les fêtes religieuses. Elle coïncide d’ailleurs souvent avec Thaâchourth ou El Mouloud.

Telle l‘offrande d’Anzar, elle était aussi organisée dans le but d’éloigner les malheurs telle la sécheresse. Elle servait, dans le temps, à invoquer Dieu d’accorder aux villageois un hiver des plus pluvieux.

Le rituel était souvent associé à la période des grandes semailles, notamment de blé. C’était la période que choisissaient les notables du village de Taguemounbt Azouz, un des plus grands villages de crêtes entre les plaines de Tizi-Ouzou et des Ouadhias, pour organiser Timechrit. C’est d’ailleurs, samedi dernier que s’est tenue Timechrit 2009 à Taguemount Azouz. Si dans ce village, on tient à Timechrit, on ne réussit pas à en garder la fréquence pour autant. En 2008, on n’a pas réussi à organiser le rituel. Aucune raison n’est avancée pour justifier ce trou. Cette année, Timechrit est, donc, célébrée, comme à l’accoutumée à Herthadem, une partie de l’automne consacrée pour le début des grands semis et annonciatrice de la saison agraire. Elle est appelée aussi «Thabourth Ousseguass».

Dans le temps, aucun grain ne pouvait être servie avant Timechrit. Et aucun travail champêtre n’était entrepris avant cette fête. Et c’était Akherouv N’Athoukerou qui était en charge d’organiser cet événement.

Ce sont eux aussi qui donnent le coup d’envoi des semis. On ne semait ni on ne plantait, donc, qu’après le sacrifice de Timechrit et qu’Akherouv n’Athoukerou ait répandu les premières semences (Thifellahin). Timechrit, synonyme de partage, d’égalité et de bonté était également un symbole précurseur de la prospérité des récoltes. A Taguemount Azouz, Timechrit se tient toujours à la même période mais ne précède aucun événement précis, si ce n’est la préparation des champs d’oliviers à la récolte d’hiver. On choisit généralement les jours fériés pour permettre aux Algérois et autres habitants de la ville d’assister au rituel tant attendu.

La population est d’une telle importance que Timechrit se tient dans deux endroits différents.

Les familles sont, donc, répartie en deux groupes, selon Ekhervane ; Athchemloul et Athoukerou, en l’occurrence.

Les premiers procèdent au sacrifice des bêtes au niveau de Tizi-Asker au centre du village. Les seconds, fideles aux traditions, élisent domicile au niveau de Thaourirth Bougni, un des multiples saints du village.

Comme dans le temps, les femmes préparent toujours, à la veille de Timechrit le fameux «Aghroum akourane», des galettes, à la forme rectangulaire, préparées à base de semoule, sel et huile d’olive à volonté, du moins pour les plus réussies! Si on tente des économies, les galettes n’ont pas le même goût, ni le même fondant. Aghroum Akourane et Thazerth (figues sèches) servent de repas aux hommes et enfants qui participent à l’événement. Les femmes ne sont pas admises à Timechrit. Elles se contentent d’attendre la «Touna», c'est-à-dire la part destinée à leur famille, pour la préparation du repas de Timechrit.

A chacun son menu !

Couscous ou berkoukes ? Chaque famille a son propre menu. On attend souvent les parts pour préparer le repas de Timechrit, le soir même.

Pour ceux qui habitent loin du village, on attend souvent le lendemain pour sa préparation. «J’ai roulé mon couscous hier soir et j’ai préparé Thaghediwth ce matin. Il ne reste plus que la viande pour continuer à préparer ma sauce. J’espère que Timechrit finira tôt pour qu’on puisse manger le repas ce soir. Sinon je serai obligée de faire appel à ma cocotte minute !

Ce ne sera pas un repas purement traditionnel que s’il est cuit à la manière d’avant», nous confie Saâdia, 48 ans. Hayet, sa belle-sœur qui habite en ville, avoue avoir préparé un repas de substitution au cas où le partage de timechrit ne se fasse pas tôt. «Je suis convaincue que je n’aurai ma part que tard dans la journée. Et ce n’est pas en rentrant au-delà de 18 heures que je préparerai mon couscous.

C’est pour cela que j’ai préparé une sauce tomate, tôt ce matin. Pâtes au programme de la journée de Timechrit ! Je préparerai mon couscous demain. Mon mari a hâte !», nous confie Hayet qui attend la prochaine Timechrit pour faire une grande waâda. Elle prévoit d’envoyer son fils qui aura bouclé ses deux années, pour assister au prochain rendez-vous de cette fête ancestrale qui perdure depuis des décennies. Pour Nna Fadhma, le programme est le même depuis quelques années. le repas aussi. «Nous avons décidé de réunir toute la famille pour partager le repas de Timechrit. Mes deux enfants mariés ont ramené leurs femmes et enfants ce matin et sont partis ramener leurs Tounas.

Ces dernières serviront au repas familial de ce soir. Pour nous Timechrit est comme l’Aïd. Nous devons nous réunir pour que cet événement ait du goût. Mon fils aîné habite Alger. C’est une occasion pour moi de les voir lui et sa petite famille. C’est moi qui m’occupe de rouler El Berkoukes (un couscous au grain épais) et des galettes que mes enfants emmènent tôt le matin. Mes belles-filles s’occupent de la sauce et des beignets. Un de mes petits-enfants participe pour la première fois à Timechrit. Nous préparons, donc, Lesfendj pour célébrer cet événement», nous raconte Nna Fadhma, une septuagénaire du village. Nna Fadhma attend également la tête de bœuf que son fils lui a promis pour l’occasion.

Timechrit… une fête pour les enfants !

Pour les enfants qui participent pour la première fois à Timechrit, c’est un jour de fête où ils sont traités comme des petits princes. Comme pour la première Thiseouikth N’ Laïdh, on marque la première participation d’un garçon à Timechrit avec l’acquisition d’une tête de bœuf. Ces dernières sont mises aux enchères dans le souci d’éviter le favoritisme.

C’est le mieux disant qui y a droit. La tête de bœuf est préparée à l’ancienne, avec un couscous ou un berkoukes. Cette waâda est répartie en plats entre les parents et voisins et nécessiteux. Pour éviter le «favoritisme», certaines familles préfèrent envoyer cette waâda à la place du village, histoire de faire bénéficier le maximum de personnes, notamment parmi les nécessiteux. Des beignets sont préparés pour célébrer l’événement. Pourquoi des beignets ? Mais tout simplement pour ce que cela représente comme symboliques. Comme les beignets montent et gonflent grâce à la levure que la pâte contient tout simplement, la vie du petit est destinée à un avenir des plus florissants. « Adhifthi Am Lesfendj», nous dit Nna Fadhma pour souhaiter une vie prospère pour son petit-fils. On évite, donc, tout ce qui est crêpes (Thghrifine), feuilleté de pâte (Lemsemen). Dans certaines familles c’est le garçon concerné par la fête qui coupe le premier morceau de chair extraite de la tête de bœuf. C’est également lui qui y goûte le premier. Nna Fadhma a voulu également que ce soit son petit-fils qui préside la table le soir de Timechrit. «Je lui cède ma place aujourd’hui.

C’est sa fête. Il comprendra ses responsabilités dorénavant. Il appréciera son rôle à l’avenir», ajoutera bien Nna fadhma qui nous explique que les enfants qui participent pour la première fois à Timechrit sont appelés à contribuer activement pour celle d’après. C’est pour cela que pour certaines familles, le garçon ne va à Timechrit que quand il est en mesure, physiquement, de travailler. Car Timechrit n’est pas seulement un jour de fête. C’est également un jour de besogne auquel tous les hommes doivent prendre part.

Timechrit… une question d’organisation

Timechrit est donc un jour exceptionnel où riches et moins nantis sont au même rang. S’ils ont droit à la même part, ils doivent aussi contribuer de la même manière. Il faut dire que toute aide est la bienvenue. Les spectateurs ne sont d’ailleurs pas les bienvenus. D’ailleurs dans certains villages, on préfère engager des bouchers. Histoire d’aller plus vite et éviter les iniquités dans les efforts. Car c’est la seule injustice qu’il puisse y avoir à Timechrit, cette dernière étant symbole d’équité sociale. A Taguemount Azouz, il a été question de se passer le mot. On ne vient pas pour se croiser les bras et regarder les autres travailler. Il ne suffit pas de payer sa cotisation. Il est impératif que tout le monde se sente concerné par l’évènement et y contribue activement. Surtout qu’on n’y laisse ni bras ni jambe! Le message était, notamment destiné aux gens qui habitent hors village. Certains, heureusement pas tous, n’ont de lien avec Timechrit que le jour où ils côtisent et à la fin de la besogne quand ils vont chercher leurs parts. Cette année, il a été remarqué une grande affluence dès vendredi après-midi. Le message est certainement passé. Et c’est tant mieux. Rappelons que les cotisations ont débuté il y a plus de deux mois. La recette a permis l’acquisition de 12 bœufs pour l’ensemble du village. Comme partout ailleurs en Kabylie, à Taguemount Azouz on continue à organiser Timechrit, selon la tradition. A l’approche de cette fête, les responsables des Ikhervanes donnent le mot lors de la réunion du village. Les cotisations, 1000 DA par Touna, sont récoltés. Chaque famille désigne un responsable. Ce sont ces derniers qui s’occupent de l’achat des bœufs. Le jour “J”, les bœufs sont égorgés et dépecés. Les morceaux répartis en Touna. Le nombre de morceaux de viande doit être égal d’une Touna à une autre. Les familles nombreuses ont la possibilité de demander plus d’une Touna. Certaines familles demandent plusieurs Tounas en plus qu’elles laissent pour les nécessiteux. Dans certaines localités, ce sont les riches du village qui font un don d’argent à Tadjmaït, constituée des notables du village. Cette dernière prend en charge l’opération d’achat de bœufs.

Par : Samia Ayouni B.

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