mercredi 7 octobre 2009

Acteur halal

Le métier de saltimbanque a toujours été mal vu: c’est une profession incertaine, chaotique. C’est la raison pour laquelle, depuis le Moyen Age, les artistes sont marginalisés, traités d’intouchables. Ils ne connaissent que les routes aventureuses qui les mènent de palais en estaminets et dînent souvent à la fortune du pot.

Les romans qui traitent des tribulations picaresques des hommes de théâtre sont nombreux et ils illustrent tous la dure condition de ceux dont le métier est de ramener la joie chez les autres, de changer le morne quotidien et d’entretenir la flamme de la culture d’une manière vivante.

Le capitaine Fracasse et Sans famille donnent des aspects différents des bohémiens du spectacle. Si la société a été souvent dure envers ces gens-là, (qu’on traite souvent de parasites), car la plus-value que leur travail produit n’est pas quantifiable et pas concrète, c’est souvent à cause de l’interprétation étroite des textes religieux: on ne crée pas innocemment des personnages en leur donnant vie et émotions sur un plateau.

Et avec l’arrivée des intégrismes, le sort de ces éternels maudits ne s’arrange guère: le regretté Youssef Chahine, dans une émission-hommage qui lui est consacrée, a montré sa peine en constatant le changement de comportement de son jeune acteur fétiche qu’il a contribué à transformer en idole: il ne répondait plus à son salut.


Chahine était un copte ouvert à la culture universelle, au cosmopolitisme, le jeune acteur était victime du travail en profondeur des islamistes qui ont réussi à transformer la société égyptienne. Et le monde du cinéma est plus visé que les autres secteurs, car c’est lui qui a reflété le mieux, jusqu’à ces derniers temps, les états d’âme du peuple égyptien. Chahine avait reçu des menaces et a été traîné en justice pour son film L’Emigrant et des pressions intolérables sont exercées sur les comédiens afin qu’ils changent de registre et de comportement.

La censure n’est plus sur le contenu du film, comme l’avait montré si bien Abdou B. dans un de ses magnifiques articles sur le cinéma arabe, Ni Dieu, ni sexe, mais sur les rôles eux-mêmes. Un comédien a reçu des menaces pour avoir interprété le rôle d’un ecclésiastique. Le comble! La dernière mauvaise surprise nous vient d’un reportage de Thalassa sur le plateau de tournage du dernier film de Merzak Allouache, sur le dernier phénomène en «vogue»: les harraga. Le talentueux cinéaste algérien (Omar Gatlatou), avec son humour habituel, a fait montre de son étonnement quand son principal comédien, pour des raisons «religieuses», a refusé de donner un baiser à sa fiancée qui était, ma foi, fort avenante.

Il est bien entendu que l’aventure des harraga n’a rien d’un «Embarquement pour Cythère», mais de là à se proclamer comme comédien «halal», c’est un comble! Donc, il y a des comédiens «haram», et que le «jeu» est vécu comme un acte authentique. Cet effacement progressif des sentiments par l’autocensure s’accomplit d’une manière rampante. Petit à petit, la société va se retrouver dans les attitudes hypocrites du Moyen Age et il n’est pas loin le temps où les rôles de femmes seront tenus par des hommes, si toutefois, le théâtre survit à la vague intégriste, comme dans les années trente...

Encore un peu et on pourra dire à nos petits enfants que les bébés naissent dans les fleurs de cactus. Pour donner un peu de piquant à l’histoire!

Selim M’SILI

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