L’Algérie et l’Union européenne (UE) sont finalement parvenues, l’été dernier, après deux ans de difficiles négociations, à un accord sur le dossier relatif au différentiel entre les prix internationaux du gaz nature (GN) et ceux pratiqués sur nos marchés domestiques. Cependant, l’annonce n’en a été faite par le ministre algérien du commerce que le lundi 26 octobre 2009 sous réserve d’une confirmation écrite de la part de la Commission de l’UE. Rappelons les raisons de la discorde.
Dès la fin de la décennie 1990, l’UE imposait déjà une taxation sur les engrais liquides exportés par la société algérienne privée Fertalge à partir de son usine d’Arzew. En 2007, l’UE reproche de nouveau à l’Algérie de subventionner le GN utilisé dans l’industrie pétrochimique et instaure de façon unilatérale une taxe de 13% sur les engrais exportés cette fois-ci par l’entreprise nationale Fertial. Il fallait donc attendre dix ans pour que les arguments algériens portant sur le fait que les prix du GN pratiqués n’étaient pas subventionnés, donc ne constituent pas une distorsion aux règles de l’UE sur la concurrence, finissent par être acceptés.
En effet, il a été démontré que ces prix couvrent bien les frais de l'exploration, l'extraction et le transport du GN et dégagent même une marge bénéficiaire suffisante pour les réinvestissements. Notons au passage l’effet collatéral positif que devrait produire cet accord avec l’UE sur la poursuite des négociations avec l’OMC qui butent toujours sur ce “double prix”. Cela étant réglé, il subsiste une autre vraie question algéro-algérienne, celle-là relative aux industries à haute intensité énergétique.
C’est celle des niveaux des prix du gaz fixés par décret, car il faut veiller aussi à ce que ces prix incitatifs de gaz naturel concédés pour stimuler les industries algériennes de la pétrochimie et celles des engrais soient certes attractifs, mais équilibrés de sorte qu’ils ne participent pas non plus à un transfert massif de rente et n’exercent pas une trop forte pression sur la gestion à long terme des réserves de GN.
Je vous invite à lire à ce propos le rapport 2009 de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) portant “programme indicatif d’approvisionnement du marché national en gaz 2009-2018” pour vous rendre compte de l’explosion de la demande domestique gazière qu’il faudra couvrir à cet horizon. Ainsi, selon le scénario moyen établi par la Creg, la demande nationale de gaz en Algérie va plus que doubler en une décennie, passant de 26,6 milliards de m3 en 2008 à 54,22 milliards en 2018. Toute la difficulté réside dans l’appréciation de la frontière entre le prix raisonnable et celui actuellement concédé aux opérateurs industriels, notamment étrangers et, faut-il le dire, au soutien de la facture énergétique des ménages.
Je formulerai plus directement la question : y a-t-il risque, ce faisant, de gaspillage et/ou de transfert d’une partie de la rente des hydrocarbures par cette utilisation intensive du fait de faibles prix au détriment des prochaines générations ? À la pression sur les prix s’ajoute donc une pression sur les quantités. Un débat transparent sur la gestion de cette double contrainte devra être initié. Sans attendre le réseau des algériens diplômés des grandes écoles et universités françaises Reage s’est invité, à juste titre, à ce débat en consacrant une table ronde énergie le samedi 7 novembre à Paris lors de son 1er Forum économique euro-algérien.
J’ai déjà, pour ce qui me concerne et pour alimenter la réflexion, deux observations à formuler sur les problématiques de cette table ronde. La première porte sur la question posée par les organisateurs sur “quel mix pour la production d’électricité en Algérie ?” Alors que la vraie question préjudicielle, en tout cas pour la prochaine décade, est celle du profil d’exploitation optimale de la rente gazière en agissant sur les quantités et les prix. Ma deuxième observation est de même nature : au lieu de la question “quelle place pour l’Algérie dans l’écosystème énergétique de l’espace euromaghrébin ?” qui est prospective, on aurait dû poser d’abord celle des systèmes datés et actuels d’approvisionnement gazier de l’Europe à partir de l’Algérie, notamment, et au passage, les difficultés rencontrées par exemple en Espagne.
Cela étant, nous ne sommes pas les seuls à considérer que la disponibilité du gaz naturel est un facteur compétitif pour développer certains segments industriels. Les Émirats arabes unis (UAE) s’inscrivent également dans cette démarche. Dans la page analyse du quotidien anglais Financial Times du 23 octobre 2009, Khaldoon al-Mubarak, directeur général du fonds souverain Mubadala, déclare que l’UAE se tourne vers les “industries à haute intensité capitalistique et à haute intensité énergétique” qui sont “les deux avantages compétitifs que nous avons”. Cela explique l’intérêt manifesté par Mubadala pour les projets pétrochimiques et électro-métallurgiques de la Sonatrach. Un partenariat gagnant-gagnant est toujours possible sous réserve, cependant, des limites indiquées plus haut.
Par : Mustapha Mekideche
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