Ils ne sont pas connus, n’ont ni visage ni nom mais possèdent une caisse noire, une redoutable efficacité et une conscience aiguë de leur travail. Bien que puissants, ils n’ont ni chars, ni couffins, ni armes, ni bagages mais des balais durs et de grands sacs plastique noirs dont on dit qu’ils les utilisent pour voler dans les airs pour passer de lieu en lieu sans se faire voir par la population. Les nettoyeurs dorment sous vide, n’ont pas d’âme mais une fonction, n’ont pas de cœur mais une raison.
Le soir des émeutes de Diar Echems, on a pu les voir arriver en petits groupes, discrètement, sans bruit, ni sirènes, sans appels de phare, escortes ou gyrophares. En quelques minutes, ils ont tout nettoyé et effacé les traces de cette nouvelle infamie. En quelques minutes, on aurait pu croire qu’il ne s’était rien passé et d’après tous ceux qui sont passés après, il ne s’est effectivement rien passé.
Les nettoyeurs sont partout, ils relisent l’histoire qu’ils nettoient des taches, des fautes et des incorrections, corrigent les déviations, rayent les femmes, effacent les hommes, les associations et les syndicats non conformes. Gomment les erreurs des puissants et les dérapages des gouvernants, passent à l’eau de Javel les cris des démunis et les scandales, lavent les mains sales et barrent toutes les mentions inutiles.
A l’aube, pendant que l’Algérie dort sur ses rêves de propreté déchue, ils passent anonymement dans les maisons, les institutions et les événements. Au Salon du livre pour nettoyer les rayons des livres impurs, mettre dans des poubelles hermétiques les auteurs impropres et effacer les traces de sang et de torture sur les exemplaires en vente.
Dans les administrations pour nettoyer les cadres qui ne se tiennent pas droit, dans les journaux pour lisser les éditoriaux. La nuit, quand il n’y a rien à nettoyer, les nettoyeurs se nettoient eux-mêmes.
Par Chawki Amari
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