Comme le monde entier le sait, la société saoudienne est une société très fermée qui veut offrir au monde l'image d'un sanctuaire de la vertu, fermé à toutes les tentations. Faux : les Saoudiens ne consomment pas d'alcool entre la dernière prière du soir et la première prière du jour.
Vrai : les Saoudiens ont construit un pont reliant le royaume à Bahreïn pour renforcer l'unité arabe. Faux : les Saoudiens ne vont pas à Bahreïn en processions pour boire et voir les filles blondes venues d'ailleurs. Ils ne regardent pas aussi, en petits comités, des films «X», et ce n'est pas seulement à cause de la ressemblance du «X» avec la croix. Vrai : la société punit sévèrement ceux qui brisent la loi du silence ou soulèvent un pan du voile qui cache les débordements libertins et licencieux. Malheur à celui ou à celle par qui le scandale arrive ! Pour avoir cru à l'ouverture supposée du royaume, Rosanna Alyami, journaliste et animatrice de la télévision libanaise LBC, s'est retrouvée au banc de l'infamie.
Elle a été condamnée la semaine dernière à recevoir soixante coups de fouet pour atteinte aux bonnes mœurs saoudiennes. Rosanna n'a pas été surprise en flagrant délit de mixité illégale, c'est-à-dire en compagnie d'un homme qui n'est ni son frère ni son mari. Elle n'a pas retiré sa tenue de camouflage pour dévoiler au monde des appâts exclusivement réservés à l'époux. Elle a fait pire aux yeux de la société saoudienne et de sa justice, et ce, en filmant, pour la première fois, un Saoudien qui parle de sa vie sexuelle. Le 15 juillet 2009, la LBC, réseau satellite, avait présenté dans son talk-show, intitulé «Ligne rouge», un sujet réalisé par Rosanna Elyami sur la vie sexuelle d'un jeune homme saoudien.
Mazen Abdeldjawad, avait reçu l'équipe de tournage sur le lieu de ses exploits amoureux, en l'occurrence un spacieux appartement de Djeddah. Dans ses confessions intimes qui ont choqué les téléspectateurs saoudiens, Mazen révèle qu'il a été déniaisé à l'âge de 14 ans par une voisine et qu'il mène depuis une activité soutenue dans ce domaine. Ainsi, il a choisi comme lieu de tournage la pièce qu'il utilise le plus dans son appartement, la chambre à coucher. C'est dans ce cadre qu'il reçoit des amis de passage à qui il expose les techniques qu'il utilise pour ses «conquêtes», en particulier le Bluetooth du téléphone portable. Ces «révélations» ont donc fait l'effet d'une bombe en Arabie saoudite où le ministre de l'Intérieur a décidé de fermer immédiatement les bureaux de la LBC.
La chaîne, dont le prince Saoudien Walid Ibn-Talal détient la majorité des actions, a présenté des excuses, mais a rediffusé le talk-show sur son réseau terrestre. C'est d'ailleurs sur ce réseau terrestre que «Ligne rouge» a été rediffusée après une suspension de plusieurs semaines, le temps que la température refroidisse. Quant à Rosanna Alyami, elle a affirmé au cours de son procès qu'elle n'avait pas mesuré les conséquences de sa contribution à la LBC. Elle a donc été condamnée à la flagellation publique par un juge, pourtant surnommé Al- Naswandji (l'homme à femmes), s'empresse de préciser le journal électronique d'opposition El Watan.
Mais comme derrière le bras du bourreau se profile toujours la main du seigneur, Rosanna a été graciée par le roi Abdallah et elle échappe ainsi au fouet. Ce qui semble être devenu une méthode de gouvernance et une façon de rendre la justice : on rend des sentences en application de la loi, mais on ne les exécute pas par le fait du prince. Ce qui donne tout loisir au condamné de remercier son bienfaiteur après avoir maudit le juge qui a rendu son verdict au nom du même bienfaiteur.
Quant au héros malheureux du feuilleton, à savoir Mazen Abdeldjawad, il a été condamné au début du mois dernier à cinq ans de prison et à mille coups de fouet pour adultère et «apologie publique du vice». Son cas a donné lieu à de graves et longs débats entre théologiens sur les chaînes satellitaires et sur le Net. Il s'agissait de savoir si un acte d'adultère devait être établi sur la foi de quatre témoignages concordants ou simplement sur la base d'une confession publique.
Comme les théologiens ont toujours réponse à tout, il y a eu ce hadith que Mazen Abdeldjawad a eu sans doute tort de ne pas connaître : le cas d'un contemporain du Prophète condamné à la lapidation après avoir confessé lui même son «crime». Or, le pauvre Mazen ne s'est pas contenté d'un simple aveu, mais il a donné des détails «techniques», en montrant notamment les aphrodisiaques qu'il utilisait. Mazen Abdeldjawad aura encore le loisir d'apprendre, si ce n'est déjà fait, que les mille coups de fouet, également répartis et sous surveillance médicale pour ne pas choquer nos amis américains, ne sont pas mortels. Toutefois, il devra penser à trouver un nouveau terrain pour ses exploits, s'il en a encore l'envie après cinq ans de prison, car la vie dans le royaume ne sera pas facile.
Les vidéos de ses confessions largement disponibles sur le Net sont souvent accompagnées de commentaires peu encourageants. Ainsi, on se réfère au «fils de l'Egyptienne» pour désigner Mazen et bien montrer qu'il a de qui tenir. Puis, on extrapole en affirmant qu'on serait bien plus heureux entre Bédouins «s'il n'y avait tous ces migrants, ces restes de pèlerins, et parmi eux les Egyptiens, naturellement dépravés». D'où la certitude que le «fils de l'Egyptienne», Mazen Abdeldjawad, qui a osé briser le cercle de la fausse pudeur, n'est pas promis à un avenir radieux. A moins que d'ici cinq ans, à la sortie de prison de Mazen, l'exhibitionniste de mœurs sexuelles débridées, le royaume wahhabite ne soit devenu autre, comme le prophétisent certains.
Outre les grâces royales annulant des décisions de justice archaïques, on relève des signes annonciateurs, comme la destitution récente de l'un des théologiens les plus réputés du royaume, Saâd Bennacer Al Chathri. Ce dernier était membre permanent du Conseil des grands ulémas, la plus haute institution religieuse de l'Etat saoudien. Le décret le démettant de ses fonctions au sein de ce haut conseil a été publié, dans la discrétion, au début du mois dernier.
Le Cheikh Al-Chathri a simplement commis la maladresse de se prononcer quelque temps auparavant contre la mixité dans la nouvelle université du roi Abdallah. Or, le souverain avait tranché définitivement ce débat en optant pour une université ouverte aux représentants des deux sexes. Depuis ce coup de semonce royal, de nombreux théologiens saoudiens s'ingénient à trouver des charmes à la mixité : le dernier en date affirme même que la mixité «ikhtilate» n'existe pas dans la terminologie de la charia.
Par conséquent, tout ce qui n'est pas formellement interdit est permis. Il suffit parfois d'un exemple, mais ce n'est pas toujours vrai. En mars dernier, l'un des docteurs d'Al- Azhar avait publié, dans l'hebdomadaire Rose-al-Youssef, un texte retentissant dans lequel il affirmait que le hidjab n'existait pas dans les textes fondamentaux de l'Islam. Il avait essuyé une volée de bois vert de la part de ceux qui ont imposé le voile comme 6e canon de l'islam. Désespérant de se voir entendu et compris par ses coreligionnaires, le Cheikh Mustapha Mohamed Rashed est allé voir ailleurs. Cet été, il a quitté l'islam pour le christianisme, imposant ainsi une nouvelle et cruelle déconvenue à Al-Azhar.
Par Ahmed HALLI
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