Lors d’une visite à Moscou en novembre 2008, le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, dont les liens avec les ultraconservateurs du clan Bush étaient de notoriété publique, étrennait son humour fruste à propos de Barack Obama qui venait de prononcer son discours d’investiture. Il le traitait de «bronzé» avec cette pointe d’ironie qui possède la finesse d’une blague de salle de garde. Un sarcasme gras et niais, que le sourire auto satisfait du Cavalière accompagnait comme s’il s’agissait d’un mot d’esprit.
Ça volait haut ! La blague avait indigné l’opposition italienne, estimant, à juste titre, qu’il fallait sérieusement s’inquiéter de l’image de l’Italie, celle que Berlusconi en donnait étant tout simplement calamiteuse. Moins d’une année après, fin septembre 2009, Berlusconi remettait ça. En mieux, même. De retour de Pittsburgh, il annonçait à ses ministres et à ses partisans lors d’une réunion de son parti : «Je dois vous porter les salutations d'un homme qui s'appelle, qui s'appelle... attendez, c'était quelqu'un de bronzé : Barack Obama!» en poursuivant, porté par la volée de rires de ses fans : «Vous ne le croirez pas, mais ils sont deux à être allés à la plage pour prendre le soleil parce que même sa femme est bronzée !» Une sorte de complexe de supériorité ou, au mieux, de paternalisme — plutôt de blanc à bronzé que d’aîné à cadet —doit certainement roder à l’étage culturel où sévit Berlusconi.
Et voilà que, au moment même, où quinze juges constitutionnels italiens décident de retirer à Silvio Berlusconi son immunité pénale, les cinq membres — dont quatre femmes, cette année — du Comité norvégien distinguent Barack Obama en lui attribuant le prix Nobel de la Paix 2009. Quel rapport entre l’un et l’autre ? Aucun. Ou plutôt si... Au lieu de ressortir son éternelle blague éculée sur le bronzage du locataire de la Maison-Blanche, Berlusconi a consenti à présenter ses félicitations au récipiendaire. Pas moyen de faire autrement, mon vieux. Et pas moyen non plus d’espérer en retour un appui pour le feuilleton judiciaire que, selon la coutume, Berlusconi va tout faire pour éviter.
L’attribution du Nobel de la Paix à Obama fait des heureux certes mais aussi des envieux, des jaloux, des sceptiques, des dubitatifs. Ils ont tous en commun, d’ailleurs, la surprise. Tout le monde a été surpris par ce prix. A tout seigneur tout honneur, il achève ses ennemis politiques, de plus en plus atterrés par l’aura du président américain dans le monde. A quoi sert une aura ? Ça dépend ! Mais celle d’Obama va croissante. Est-il de la dernière anomalie que ses adversaires républicains, qui s’agitent en interne pour lui rendre la vie impossible, s’étranglent à cette annonce ? Que non ! Il n’est pas non plus surprenant que Lech Walesa, lui-même prix Nobel de la paix en 1983, soit dubitatif devant le fait qu’Obama l’obtienne «si vite ?» «Trop tôt. Il n'a aucune contribution jusqu'à présent. Il n'en est qu'au début.
Il commence seulement à agir», a déclaré l'ancien président polonais. Que la droite populiste américaine l’éreinte, ce n’est pas non plus un scoop. Rush Limbaugh, le héraut de ce courant de droite, s’est moqué d’un Obama qui «n'est pas seulement le premier président post-racial. Il est aussi le premier président postaccompli [...]. Sa tête a tellement grossi que maintenant ses oreilles lui vont.» Mais ce qui est surprenant, c’est que lui-même, Obama, en soit étonné. Sa première réaction est de dire qu’il ne le «mérite pas», ce qui est à son honneur, en précisant qu’il est tout de même «le commandant en chef d'un pays qui a une guerre à terminer».
Le commentateur progressiste américain David Sirota note qu’«un président qui commande deux guerres, en plein cœur du monde musulman, ne mérite pas de prix, surtout s'il réfléchit à une escalade». Pourtant, Obama Prix Nobel de la Paix n’est pas désapprouvé par des irréductibles comme Fidel Castro qui, tout en précisant ne pas être d’accord avec le président américain sur quantité de sujets, trouve positive cette décision. Il y voit «plus qu'un prix au président des Etats-Unis, une critique contre la politique génocidaire qu'ont suivie nombre de présidents de ce pays, une exhortation à la paix et à la recherche de solutions conduisant à la survie de l'espèce ».
Mais le Prix Nobel est là. Il n’a pas été attribué à l'opposant au régime chinois, Hu Jia, ni à l'avocate tchétchène Lidia Ioussoupova, donnés favoris. D’autres lauréats potentiels : le moine bouddhiste vietnamien Thich Quang Do, le leader d'opposition zimbabwéen Morgan Tsvangirai, le dissident cubain Oswaldo Paya, Ingrid Betancourt, l’ancienne otage franco-colombienne des Farc, qui avait même prévu une conférence de presse. Ce n’est aucun des 197 noms de personnes ou d’organisations qui étaient en lice cette année.
C’est Barack Obama qui, poussant l’atypisme jusqu’au bout, et à son corps défendant, a été élu président des Etats-Unis douze jours seulement après que le délai de clôture de la liste des nominés n’intervienne. Les membres du Nobel de la Paix n’avaient donc pas encore vu ce qu’il pouvait donner à la paix. Mais ils n’ont pas manqué de flair car c’est un symbole qui est distingué. Et pas seulement un symbole.
Même en ayant hérité de deux guerres qui sont encore sur le feu, Barack Obama a déjà transformé le climat international en mettant un frein à l’unilatéralisme de Bush, en revenant sur la «guerre des civilisations» qui tenait lieu de concept fondamental aux faucons ultralibéraux du clan du précédent président. Puisse ce prix ajouter de son aura pour aider à apporter la paix au Proche-Orient car c’est là la vérité du monde depuis soixante ans.
Par Arezki Metref
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