Le directeur et son adjoint avaient encaissé mon laïus sans ciller. Le débit rapide et continu les avait laissés sans voix surtout qu’il était ponctué de gestes des bras, des mains, de coups d’oeil. Je ne manquais pas d’y ajouter mes propres tics, en me grattant la tête comme pour titiller une inspiration assoupie. Un sourire amusé s’ébauchait sur les lèvres du directeur, tandis que son adjoint ouvrait des yeux d’ahuri. Il ne s’attendait pas à voir le visiteur intimidé qu’il avait accueilli se transformer en un narrateur exubérant.
Quand je m’arrêtai enfin, à bout de souffle, le directeur reprit mes feuilles, les ajusta et exhala dans un soupir: «C’est bien beau tout cela et je dois vous avouer que c’est prometteur, mais...» Au «mais», mon coeur a failli cesser de battre, je savais bien qu’il y avait toujours un «mais» dans ces histoires d’embauche.
Je m’attendais à ce qu’il continue pour me dire «mais pour l’instant, nous sommes complet, on vous écrira dès qu’une nouvelle pagination à l’étude sera achevée...» C’était le vieux truc pour éconduire poliment quelqu’un qui ne convenait pas ou qui ne présentait pas le profil idéal. Il continua sur un ton un peu gêné: «...Je dois vous demander, si vous avez déjà écrit quelque part.
Je suis très satisfait du spécimen que vous m’avez fait parvenir, mais moi, je dois m’engager dans la durée...Vous comprenez?» Je comprends très bien votre hésitation, avais-je répondu en me préparant mentalement à une réponse négative de sa part, mais je n’ai point amené avec moi des articles que j’avais écrits jadis dans un journal satirique. Vous savez, j’ai travaillé dans une entreprise de communication et pendant vingt-quatre ans, je n’ai pas écrit une seule ligne d’un texte librement pensé.
J’ai bien écrit pour mes collègues, des demandes adressées à l’administration pour leur mutation ou leur reclassement...mais il a fallu attendre la libéralisation de la presse pour que je me mette enfin à écrire. Et il m’a fallu beaucoup de courage pour surmonter mes appréhensions. J’avais peur de faire un flop. Mais, à l’époque, les journaux n’étaient pas encore sur Internet, alors, il m’est difficile de vous présenter un échantillon de mes oeuvres.
- Vous écriviez sous un pseudonyme?
- Bien sûr. J’ai horreur de mêler mon nom de famille à mes activités littéraires..
- Quel était votre pseudo?
- K...Cela va vous faire sourire car ce n’est point un nom de chez nous. Cela m’est venu d’un caricaturiste de mes amis qui avait entamé une bande dessinée qu’il n’avait jamais achevée puisqu’il était resté à son premier et unique dessin: c’était une scène qui se passait dans un vaste hall, dans un décor futuriste.
Un chef entouré de gardes munis de boucliers et de lances, lançait un ordre sec: «Cours, va me chercher K...», le nom a tellement plu à un de mes amis bédéistes, qu’il n’avait cessé de m’appeler depuis, K...Cela remonte à presque quarante ans.
Depuis, même un Premier minis-tre m’avait gentiment harcelé pour connaître l’origine du pseudonyme. Il n’a jamais cru à mes explications. Pourtant avec Internet, j’ai appris par la suite que c’est simplement un mot d’origine polonaise qui voulait dire «cours!»
Selim M’SILI
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