samedi 7 novembre 2009

Du livre à la boucherie et au carnage !



Par Hakim Laâlam  
Email : laalamh@yahoo.fr Commission ad hoc de lutte contre la corruption. Où va-t-elle élire domicile ? Dans l’ancien siège de…

… Khalifa

La discussion s’était franchement engagée avec cet homme. Très agréable. D’autant plus que le sujet, la disparition des espaces de lecture dans nos villes et villages, m’intéressait au plus haut point. Mon interlocuteur, universitaire chevronné et bardé de diplômes, avait plusieurs théories là-dessus. J’en avais aussi quelques-unes. Et je dois bien avouer que le fait de les confronter amicalement m’a réconcilié avec l’échange entre êtres humains civilisés. Car oui, si ce n’est pas le seul problème qui nous mine sur cette bonne terre d’Algérie, il reste que la disparition progressive et massive des bibliothèques municipales est un véritable drame. Surtout dans ce qu’il induit ensuite comme conséquences sur le niveau scolaire, sur l’ouverture d’esprit de nos potaches ou encore sur leur culture générale. Mon vis-à-vis, toujours sur le ton courtois et en même temps impliqué de l’échange discursif, évoqua ce temps pas si lointain où, jeune lycéen, il allait s’approvisionner en livres dans la bibliothèque de son quartier. Un lieu qu’il évoquait avec beaucoup d’émotions, la larme à l’œil ou presque. Au-delà de l’aspect strictement émotif, il me rappela un fait sur lequel nous étions parfaitement d’accord lui et moi : on lit beaucoup moins aujourd’hui, surtout dans la jeune tranche d’âge. Quoi qu’il en soit, je passais là, avec cet interlocuteur un bien agréable moment. Jusqu’à l’instant où, arrivant à notre hauteur, une connaissance commune, un ami nous apostropha avec cette question : «Et le 14 novembre, qu’est-ce que nous allons faire contre l’Egypte ?». J’ai alors assisté en direct-live, aux premières loges, à une mutation génétique extraordinaire, difficile à décrire fidèlement tant elle dépasse l’entendement. Mon interlocuteur, qui évoquait il y a cinq minutes à peine avec douceur et sur un ton docte et savant le sort malheureux des espaces de lecture dans nos villes et villages et qui analysait avec une rigueur toute scientifique l’apport du livre dans l’équilibre civilisationnel d’une nation et d’un peuple, se transforma brutalement en guerrier fou. La bave aux commissures des lèvres, les yeux soudain injectés de sang, les mains tremblantes, la lippe agitée de frémissements de plus en plus saccadés et inquiétants, il lança en guise de réponse à celui qui venait de nous apostropher : «Les Egyptiens ? On va les massacrer chez eux. On va leur marcher dessus. On va en faire de la charpie. Ce n’est pas par deux ou trois buts qu’on va les battre, mais sur un score de basket-ball. Ils s’en souviendront longtemps de la raclée qu’on va leur administrer à ces pseudos Oum eddenya. Et y a pas de solidarité et d’union arabe qui tienne ! On y va pour les pulvériser ! A mort Lem’ssaroua!». Je dois dire qu’en tant que témoin de cette mutation génétique, j’ai un peu mieux compris l’apport des bibliothèques et des livres dans l’éducation et le déséquilibre profond que leur disparition avait provoqué chez nous. Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue.

H. L.

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