Quand tu liras ceci, on connaîtra déjà le résultat du match Algérie-Egypte. Que se sera-t-il passé ? L’oracle ne le dit pas. Pas encore. Mais avant le match, tous ces derniers jours avant le match, c’est la frénésie. Y’en a-t-il parmi nous qui n’aient pas parlé du match Egypte-Algérie du lever au coucher du soleil ? Quelqu’un a-t-il eu l’audace ou l’inconscience de penser à autre chose, de diriger ses focales sur d’autres stades que celui où va se jouer la validité génésique de la nation ? Qui a poussé l’antinationalisme jusqu’à ne pas regarder le match ?
Suivez mon regard… Il y a des vilains petits canards partout. Tu es, mon pauvre, en cette minute même, en train de rater grave une occasion de te taire. Ça coûte quoi de la verrouiller à double tours ? Ce ne serait pas mieux que de dire ce que tout le monde dit car c’est ce que tout le monde veut entendre. On parle foot, et rien d’autre, même si l’hystérie égyptienne d’avant le match nous inclinerait plutôt à adopter la loi du Talion comme lien. Ils veulent nous…
Eh, bien, on les pliera, nous, avant !... Si les Fennecs — quel drôle de nom pour des footeux — donnent la leçon de foot et de fairplay, et rien d’autre, qu’ils méritent aux Egyptiens, on te pardonnera ton indifférence à ce qui exalte la nation toutes affaires cessantes. Les vainqueurs sont toujours théoriquement pusillanimes. Si, par contre, les «nôtres» perdent, t’es deux fois perdu, toi ! Tu t’en tapes du foot, voilà tout, et tu le dis ! Urbi et orbi, pal et secam, couleur et noir-blanc, vice et versa ! Ça va comme ça ? On la refait, en ralenti : tut’en- ta-pes-du-fo-ot ! Si l’Algérie gagne, ce n’est pas déplaisant évidemment ! C’est toujours plus flatteur pour l’ego individuel et collectif de gagner que de perdre.
C’est d’avoir méconnu cette règle qui a perdu La Palice. Mais si l’Algérie est éliminée de la Coupe du monde, eh bien, quoi, Koléa tombera ? Il a suffi d’un match pour que la morosité et même la désespérance dans laquelle étaient plongées nos compatriotes se dissipent. Faussement. L’exaltation autour du foot est un leurre. Un écran de fumée. Voilà un peuple qui apprend à se faire à la gagne en oubliant, l’espace d’un match vécu comme une renaissance de sa dignité, la malvie dans laquelle il croupit.
Kif kif d’ailleurs pour les Egyptiens. Un peuple, eux aussi, qui, comme les Algériens, souffre de l’autoritarisme, de l’absence de démocratie, des inégalités du néo-libéralisme de bazar, et qu’on convoque pour refaire l’unité nationale derrière un ballon. Un tel déchaînement d’hostilités, de noms d’oiseaux, de politesse de maquignon de part et d’autre, doit bien profiter à quelqu’un. Depuis plusieurs semaines, des journalistes égyptiens à cran se lâchent pour casser de l’Algérien et pas seulement du sportif.
On aura entendu les pires choses sur nous dans la bouche de ces commentateurs. Y’en a un qui affirmait même que c’est l’Egypte qui a appris à l’Algérie à être… arabe ! C’est trop de bonté. A l’inverse, chez nous, on sort du champ strictement sportif pour casser de l’Egyptien, du moins verbalement. L’escalade a atteint un point tel que des allumés ont tendu une embuscade aux joueurs algériens qui ont été caillassés sur le sol égyptien.
Un tel degré de violence pose évidemment à la Fifa le problème de la sécurisation des rencontres de football et à nous, Egyptiens et Algériens, celui de la disproportion, voire de la diversion. Disproportion entre d’un côté l’enjeu, sportif, et de l’autre, l’état d’échauffement belliqueux dans lequel le chauvinisme met les esprits. Diversion par rapport à tout ce qui ronge nos sociétés.
On se soude derrière les représentants de ce nationalisme à crampons en oubliant la corruption, les injustices, la déliquescence dans laquelle nos pouvoirs, algérien et égyptien confondus, ont dilapidé leurs pays respectifs. Et d’un côté comme de l’autre, le transfert des frustrations sur le foot et la haine de soi incarnée en l’autre sont si puissants que si les deux pays avaient des frontières communes, l’escalade verbale se serait sans doute continué en guerre pure et simple comme, en juillet 1969, le Salvador et le Honduras, deux républiques centraméricaines, qui en sont venues aux armes pendant cinq jours suite au déchaînement de violence lors d’un match éliminatoire pour la Coupe du monde.
Le foot, ce n’est que du foot. Et pendant qu’on glorifie l’héroïsme guerrier qui va au-delà de la dimension sportive du foot, la vie ne s’arrête pas. Corrompus, corrupteurs, victimes de la corruption, oppresseurs et opprimés, pauvres perpétuels et nouveaux riches, chefs et sous-chefs, enseignants grévistes tabassés et flics tabasseurs à tout-va, tout ce beau monde est censé taire les conflits sociaux, les différences, les intérêts antagoniques, pour supporter l’équipe nationale de foot.
Et ceux qui gardent la conscience vive du leurre, eh bien, ce sont des «vendus», des antinationaux. Quand je vois comme se délite la grève des enseignants dans laquelle se joue un enjeu considérable, celui de l’éducation de nos enfants, je me dis qu’il y a un grave déplacement de l’attention. C’est de ça qu’on devrait parler du lever au coucher de soleil !
Par Arezki Metref
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